Nous sommes colonisés. C’est la seule réaction que j’ai eue après avoir lu ce magnifique texte de [Facundo Medina, dans le Devoir->23550]. Nous sommes une forêt que nous avons défrichée, une terre raclée où on a planté en nous les graines de notre propre abrutissement. Si nous sommes pauvres aujourd’hui, c’est la pauvreté du champ surexploité, d’une terre autrefois féconde mais qui est devenue stérile à force de nous renier. Tout ce qui reste de nous, c’est peut-être cette vieille souche aux racines trop profondes pour être enlevée.
Medina a écrit:
Si j’avais décidé de vivre et d’éduquer mes enfants en anglais, j’aurais pu m’installer à Toronto ou à Vancouver. Si j’avais voulu vivre dans une province officiellement bilingue, je serais allé au Nouveau-Brunswick. [...] On voudrait réduire la question à une querelle entre gens purs et durs et gens flexibles, entre francophones intransigeants et monsieur l’opprimé qui ne veut que choisir en toute liberté. C’est une absurdité. Aucun Italien ne pourrait exiger de Rome que l’État paye pour l’éducation de ses enfants dans une langue autre que l’italien, et je vous épargne la liste des exemples. Cela va de soi. [...] Je sais que ces mêmes mots, sous la plume d’un Québécois de souche, seraient qualifiés d’intolérants, voire de racistes.
L’excellence du texte n’a d’égale que l’irréprochabilité de son auteur. C’est un immigrant. Il a droit de parole, lui. Le Québécois de souche, celui dont les ancêtres sont ici depuis assez longtemps pour qu’on ne puisse plus y voir d’exotisme dans son nom, un quelconque accent dans ses paroles ou la moindre nuance basanée sur son visage, celui-ci n’aurait pu écrire ce papier. On l’aurait probablement qualifié de « pur et dur », de radical, d’extrémiste, de xénophobe, de raciste. Au Québec, le Québécois de souche n’a pas de droits; il a seulement la responsabilité de se la fermer. Et on veut convaincre les immigrants de devenir comme nous? « Intégrez-vous, mes amis, apprenez le français, et vous aussi aurez le droit de subir et de fermer vos gueules! »
La voilà, la vraie force de ce billet. Il nous rappelle une vérité indéniable: les Québécois de souche ont perdu la capacité et le droit de se questionner sur le réel. Ce sont des sous-citoyens, des hommes seulement respectables dans la mesure où ils acceptent sans broncher notre dépossession de nous-même. S’ils parlent anglais, s’ils se félicitent de l’augmentation du nombre d’immigrants sans se questionner sur notre capacité d’intégration, s’ils chantent les vertus des autres et le déni des nôtres, ils progressent sur le plan social, ils se respectabilisent, ils se sanctifient dans leur œuvre de destruction de ces racines qu’ils méprisent.
En fait, le mot-même est suspect: « de souche », ça rappelle un vieux tronc d’arbre qui a été coupé et dont la base pourrit sous les éléments. C’est peut-être ce que nous sommes. Mais le but, à terme, n’est-il pas d’intégrer suffisamment les immigrants pour qu’ils soient eux-aussi assez enracinés à ce Québec pour qu’en deux ou trois générations ils deviennent eux aussi des Québécois de souche? Pour qu’eux aussi partagent notre destin commun, notre amour du français, notre désir de voir de nouvelles pousses croître sur le chicot de notre dépossession?
Malheureusement, il faut être réaliste. Tant que nous serons un peuple veule, craintif, chétif, ayant tellement peur d’exister qu’il se précipite lui-même au-devant de sa disparition, tant que nous déciderons de nous adresser dans une langue étrangère aux immigrants, aux touristes, à nos propres concitoyens, nous ne donnerons pas le goût aux nouveaux immigrants de s’intégrer à notre destin commun. Nous serons cette vieille souche sur laquelle ils s’assoiront en attendant de trouver mieux.
Des Facundo Medina, il y en a peut-être un sur vingt. J’en veux des milliers, mais c’est impossible: Facundo Medina, c’est l’erreur dans le système, la défaillance dans la matrice, l’écran bleu sur l’ordinateur qui gèle tout et qui force à redémarrer l’ordinateur. C’est celui qui a vu la vieille souche, qui a pris le temps d’observer les rainures et les cicatrices de sa vieille écorce, qui a voulu s’interroger sur le futur et le destin de ce peuple qui se meurt faute d’avoir su se donner les moyens de survivre. Medina, c’est la succulente et improbable recette d’ingrédients qui auraient dû être mélangés pour donner un goût autrement plus amer. Medina, c’est l’exception.
Ne soyons pas dupes. Nous recevons, actuellement, trop d’immigrants pour notre capacité à les intégrer harmonieusement. En fonction de notre population, nous donnerons, dès 2010, l’hospitalité à plus de deux fois le nombre d’immigrants que reçoivent les États-Unis, l’Italie et la Belgique, trois fois l’Allemagne, la France et la Finlande, sept fois le Portugal, et douze fois le Japon! Et nous accueillerons près de trois fois plus d’immigrants qu’au début des années 80 pour un taux de natalité semblable!
La plupart de ces nouveaux arrivants ont des considérations hautement plus pragmatiques que celles d’un individu aussi exceptionnel que Facundo Medina. Ils veulent travailler, ils veulent manger, ils veulent se loger. Et à Montréal, tous les petits Québécois mous se dépêchent de les servir en anglais dès qu’ils osent un mot ou deux dans cette langue. Ils ne sont pas cons. Ils apprennent la langue du continent puisqu’elle leur permet de vivre et de travailler ici. Pourquoi apprendraient-ils le français, cette langue morte, cette vieille souche pourrissante, alors que même les francophones ont placé l’apprentissage et l’utilisation systématique de l’anglais en haut de leur liste des priorités?
Je rêve du jour où l’exception ne sera pas un immigrant qui s’intègre à notre culture, mais le contraire. Je rêve du jour où les Québécois, suffisamment fiers de ce qu’ils sont et insensibles aux critiques ancestrales dont on les affuble s’ils osent relever le menton, se donnent les moyens d’assurer la pérennité de leur langue en la parlant partout, en toutes circonstances. Je rêve du jour où ils se donneront un pays non pas seulement pour avoir leur nom sur la « mappe », mais pour se débarrasser d’institutions contrôlantes et méprisantes de ce qu’ils sont. Je rêve du jour où nous cesserons de financer avec nos deniers publics l’apprentissage d’une langue autre que le français. Je rêve du jour où nous nous respecterons assez pour assurer notre survie.
Merci, M. Medina, de m’avoir fait rêvé. J’espère que vous pourrez constituer un exemple à suivre pour tous ceux qui, assis sur la souche de nos idéaux, offrent leur postérieur à tous nos arguments.
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