Depuis son élection, la députée de Saint-Laurent, Marwah Rizqy, n’a pas eu peur d’aller à contre-courant des positions traditionnelles de sa famille politique, au risque de se faire rabrouer. Il fallait une certaine audace pour suggérer à son parti de présenter des excuses pour les inconvénients que les politiques d’austérité du gouvernement Couillard ont causés à la population. Sans surprise, elle s’est heurtée à un mur.
Au cours des dernières années, le PLQ a largement prouvé qu’il pouvait se montrer obtus. Ceux qui suggéraient un ralliement au « consensus » du rapport Bouchard-Taylor sur le port de signes religieux, pour se rapprocher de la majorité francophone, ont été aussitôt rembarrés.
À la fin de février, Marwah Rizqy a déclaré que le PLQ pourrait revoir sa position sur la réforme du mode de scrutin, à laquelle le gouvernement Couillard était catégoriquement opposé. « Sur cette proposition, non, il n’y a pas de discussion à avoir parce que ça nuit aux régions », avait répété le premier ministre une semaine avant l’élection du 1er octobre dernier.
Avant que sa maladresse finisse par lui coûter son poste, l’ancienne ministre responsable de la Réforme des institutions démocratiques, Rita de Santis, avait cependant renforcé l’idée qu’il s’agissait surtout de maintenir un mode de scrutin qui avait bien servi les libéraux.
Le PLQ n’a encore donné aucun signe de l’ouverture évoquée par Mme Rizqy. Les résultats du dernier sondage Léger devraient cependant le faire réfléchir aux avantages qu’il pourrait tirer de l’introduction d’un élément de proportionnelle dans le système.
Au lendemain de l’élection du 30 novembre 1998, que les libéraux avaient perdue même s’ils avaient obtenu 27 618 voix de plus que le PQ, Jean Charest était devenu un ardent partisan d’une réforme du mode de scrutin.
Après la victoire d’avril 2003, son gouvernement avait présenté un avant-projet de loi qui prévoyait un système proportionnel mixte à compensation régionale, et une commission spéciale composée de députés et de citoyens avait mené des consultations dans 16 villes du Québec.
La réforme promise a cependant été placée très vite sur une voie de garage. Les distorsions qui avaient provoqué tant de lamentations ont été soudainement oubliées. Les libéraux ont plutôt redécouvert les mérites du système qui les avait ramenés au pouvoir. La plus grande stabilité gouvernementale qu’il favorise est soudainement une vertu cardinale à leurs yeux.
Le dernier sondage Léger laisse maintenant entrevoir le risque que le PLQ fasse longtemps les frais de cette stabilité. Les 44 % d’intentions de vote dont la CAQ est créditée pourraient lui valoir jusqu’à 96 sièges, selon les projections du site Too Close To Call. Du jamais vu depuis plus de 30 ans. Avec 21 %, le PLQ n’en compterait plus que 19. Avec 15 % chacun, le PQ et QS feraient élire 3 et 7 députés respectivement.
Bien sûr, il s’agit de projections très aléatoires, et bien des choses risquent de changer en trois ans et demi, mais la faiblesse des libéraux dans l’électorat francophone a de quoi l’inquiéter sérieusement.
Avec un appui de seulement 10 % chez les francophones, le PLQ serait cantonné dans les circonscriptions à majorité non francophone de l’île de Montréal, où il ne tire aucun profit de ses écrasantes majorités. Un mode de scrutin proportionnel lui offrirait une certaine compensation.
Même si la CAQ profite à son tour des distorsions du système, le gouvernement Legault maintient officiellement le cap sur la réforme promise. Le 26 février, la ministre de la Justice, Sonia LeBel, a réitéré qu’un projet de loi serait présenté à l’Assemblée nationale avant le 1er octobre 2019 et qu’elle entendait le faire adopter. Le passé invite sans doute à la méfiance, mais il faut se fier à sa parole.
Même si la tradition veut que les lois touchant le processus électoral soient adoptées à l’unanimité et que le gouvernement souhaite modifier le mode de scrutin de façon « consensuelle et non partisane », le « pacte » qui a été signé l’an dernier par la CAQ, le PQ et QS les engage à procéder malgré les objections des libéraux.
Il va de soi que l’opération serait grandement facilitée si le PLQ donnait son accord. Même si les autres partis s’entendent, l’opposition officielle dispose d’un pouvoir de blocage considérable. Il y aura déjà suffisamment de modalités à discuter sans cela.
Si jamais les libéraux se ravisent, tout le monde comprendra qu’ils le font davantage par intérêt que par vertu, mais cela n’a rien d’exceptionnel en politique. On a même souvent l’impression que l’intérêt commande la vertu.
Depuis un quart de siècle, le PLQ n’a pas fait grand-chose pour contribuer à l’affirmation de la « société distincte ». La réforme du mode de scrutin lui offre une occasion de se rattraper un peu.