La stratégie antidialogique

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012


En 1969, Paulo Freire, pédagogue brésilien, commence l'écriture de Pédagogie des opprimés, un livre dans lequel se construit une vision de l'éducation se voulant être humaniste et libératrice. Il y rapporte les paroles d'un homme politique anglais s'opposant à un projet de loi anglais de 1807 proposant la mise en place d'écoles subventionnées.

«Tout bénéfique que puisse être, en théorie, le projet de donner une éducation aux travailleurs des classes pauvres, il serait préjudiciable pour leur moral et leur bonheur. Il leur apprendrait à mépriser leur tâche dans la société, au lieu de faire d'eux de bons serviteurs pour l'agriculture et d'autres emplois. [...] Il les rendrait insolents envers leurs supérieurs et, en peu d'années, le législateur serait contraint de lever sur eux le bras fort du pouvoir.» (Freire, 1980, p. 124).


Ce discours, qui est celui de l'élite au pouvoir, renvoie à une réalité qui échappe en partie à la société québécoise. Aucun barbelé, comme c'est le cas à Recife, ne sépare les quartiers pauvres des quartiers cossus au Québec, bien qu'ici même à Montréal, un mur de la honte sépare les quartiers de Mont-Royal et de Parc-Extension. Toutefois, un certain nombre de parallèles pertinents peuvent être faits entre la pensée de Freire et la situation actuelle concernant la hausse des droits de scolarité, et plus précisément, le mutisme du gouvernement, son antidialogue.
La théorie de l'action antidialogique présuppose qu'un pouvoir utilise diverses stratégies afin de préserver l'aliénation des masses, laquelle est garante de la préservation de leurs intérêts. Ses stratégies antidialogiques sont au nombre de quatre: la conquête, la manipulation, la division et l'invasion culturelle.
La conquête se résume à prendre l'ascendance sur la masse en inculquant des mythes par le biais de «l'éducation par dépôt». Le gouvernement du Québec a souvent recours à ces mythes par le discours interposé de ses ministres: «le mythe de l'éducation pour tous», «le mythe de la propriété privée comme fondement de la personne humaine» (Freire, 1980, p. 132).
La division, quant à elle, est moins subtile. La ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, a ouvertement usé de cette stratégie lors de son allocution de dimanche lorsqu'elle a «promu» au sein de son gouvernement la FEUQ pour laisser de côté la CLASSE. Freire présente la division comme suit: «La nécessité de diviser pour pouvoir maintenir l'état d'oppression se manifeste dans tous les actes de la classe dominante. Les interférences dans les syndicats, en faveur de certains représentants de la classe dominée qui, en réalité, sont des représentants de la classe dominatrice et non ceux de leurs compagnons; la promotion d'individus qui, faisant preuve d'une certaine capacité de leaders, pouvaient signifier une menace, et qui, une fois promus, deviennent souples; la distribution de subsides pour les uns, et la dureté pour les autres, toutes façons de diviser pour maintenir l'ordre à tout prix.»
La manipulation vise à appâter le non-informé, et à l'éloigner de la réelle situation dans laquelle il se trouve pour inculquer chez lui «l'appétit bourgeois de la réussite individuelle». Il s'agit là de la reprise des mythes mis de l'avant dans la stratégie de conquête.
Et il y a l'invasion culturelle, l'ultime stratégie antidialogique visant à convaincre les masses de leur infériorité intrinsèque.
«À mesure que la conscientisation, dans et par la révolution culturelle, gagne en profondeur, dans la praxis créatrice de la société nouvelle, les hommes découvrent les raisons des survivances mythiques qui sont, en réalité, des thèmes forgés au temps de l'ancienne société.»


Le gouvernement libéral, depuis toujours, utilise ces différentes stratégies à la fois sur ce que l'on se plaît maintenant à appeler l'opinion publique et sur les groupes distincts, tels que les travailleurs, les étudiants, les familles, etc. C'est au nom du dialogue qu'il les utilise, se gardant bien de les rendre explicites.
Force est de constater qu'il s'agit d'un antidialogue, d'un dialogue dirigé n'opposant pas deux sujets, mais plutôt un sujet et un objet. Considérant que l'action antidialogique est pernicieuse, et qu'elle a toujours été l'apanage des minorités oppressantes, des régimes totalitaires, Mme Beauchamp devrait peser ses mots lorsqu'elle utilise les mots «dialogue» et ma «porte est toujours ouverte», car le peuple s'est maintenant débarrassé de ses oeillères, et la coopération, l'union et l'organisation apparaissent dorénavant comme les remplaçants de la conquête, de la division et de la manipulation.
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Jonathan Cloutier, Enseignant en univers social au secondaire à sa dernière année de formation à l'Université de Montréal

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