Jeudi, à la Commission parlementaire de la culture et de l'éducation sur le projet de loi 103 sur les écoles dites «passerelles», l'ancien chef de cabinet de René Lévesque, Louis Bernard, a présenté ce qu'il a appelé une solution de «compromis» entre les positions du gouvernement et celle du PQ.
(Et portez-y bien attention parce que ce jeudi matin, la ministre responsable, Christine St-Pierre, a déclaré ceci en commission: «c'est une avenue, à mon avis, qui devrait être privilégiée». Quant au critique de l'opposition officielle, Pierre Curzi, il affirmait qu'après réflexion, la proposition de M. Bernard «n'a pas de bon sens».)
Donc, la «solution» suggérée par Louis Bernard dans son mémoire est celle-ci: «Au moment de l'inscription d'un enfant dans une EPNS (école privée non subventionnée) de langue anglaise, ses parents devront produire une déclaration solennelle écrite à l'effet que cette inscription n'a pas pour but de contourner les exigences de la CLF (Charte de la langue française) mais s'inscrit dans le cadre d'un parcours scolaire complètement prévu au sein d'institutions qui ne sont pas subventionnées. De cette façon, le parcours scolaire authentique de l'enfant sera précisé dès le départ (et non a posteriori).»
Par contre, «si, malgré cette déclaration initiale, une demande est faite, en vertu de l'articel 23(2) de la Charte canadienne des droits, pour un transfert dans une école de langue anglaise subventionnée, la personne chargée par le ministre d'examiner cette demande ne pourra l'accepter que si la preuve lui est faite qu'un tel changement dans le parcours scolaire prévu de l'enfant est justifié par un changement intervenu depuis la déclaration initiale dans les circonstances affectant l'enfant ou la famille.»
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Malheureusement, cette «solution» ne tient tout simplement pas la route. Et ce, pour deux raisons.
Primo: de quel droit un État exigerait-il une «déclaration solennelle écrite» de parents francophones ou allophones qui, du moment où le projet de Loi 103 aurait été adopté, seraient considérés par cette même loi comme parfaitement libres d'inscrire leur enfant à une école anglaise privée non subventionnée?
Secundo: quels parents accepteraient de signer une telle chose alors que dans les faits, la plupart inscrivent à grand prix leur enfant dans une école anglaise privée non subventionnée précisément dans le but express de s'en servir ensuite pour obtenir un certificat d'éligibilité à l'école anglaise subventionnée?
Bref, la «solution» est inapplicable parce qu'elle va à l'encontre même de l'intention du gouvernement, qui est de «baliser» et non d'«interdire» la possibilité d'«acheter» le droit à l'école anglaise subventionnée en passant au préalable par une école anglaise privée non subventionnée.
Retour sur le vrai problème
Car, comme j'avançais dans mon billet d'hier, le vrai problème à régler est le suivant: le passage onéreux d'un enfant par une école privée anglaise NON subventionnée ne doit pas permettre aux parents francophones et allophones de s'en servir par la suite pour ce qui, dans les faits, revient à «ACHETER» pour cet enfant un certificat d'éligibilité (*) lui donnant alors droit de fréquenter une école primaire ou secondaire de langue anglaise subventionnée, qu'elle soit privée ou publique. Un point, c'est tout. On ne saurait permettre à quiconque d'«acheter» un droit constitutionnel.
Retour à 2002
Mais pour mieux comprendre cette problématique des écoles passerelles, il importe aussi, je crois, de remonter au pourquoi de la décision du gouvernement Landry en 2002 de mettre fin à cette échappatoire à la Loi 101 en adoptant le projet de loi 104. (Lequel fut adopté par tous les partis).
Pour ce faire, je citerai des extraits de la présentation du projet de loi 104 que faisait le 28 mai 2002 à l'Assemblée nationale, la ministre responsable de l'époque, Diane Lemieux.
(Vous verrez à quel point ce projet de loi s'adressait directement à la nécessité de régler le «vrai» problème dont je fais état ci-haut. Le tout en préservant le droit des parents francos et allos d'inscrire leur enfant à une école privée anglaise non subventionnée, mais en leur interdisant dorénavant que cela serve à «acheter» le droit de passer ensuite à une école anglaise subventionnée, publique ou privée.)
Par contre, la Cour suprême l'ayant invalidée en 2009, il demeure quelques avenues possibles, dont, entre autres: 1. soit adopter à nouveau la section de la Loi 104 sur les écoles passerelles en la protégeant cette fois-ci du bouclier de la clause dérogatoire;
2. soit étendre la Loi 101 aux écoles privées non subventionnées, ce qui, possiblement, nécessiterait aussi la clause dérogatoire.
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Donc, citons quelques extraits éclairants de la présentation faite par la ministre en 2002:
Ce projet de loi 104 «apporte également des correctifs plus que nécessaires au chapitre de la langue d'enseignement afin que le passage à l'école privée non subventionnée de langue anglaise ne serve pas de passerelle vers l'école anglaise publique ou privée subventionnée».
«La question de la fréquentation de l'école privée non subventionnée comme passerelle vers l'école publique ou l'école privée subventionnée de langue anglaise soulève également problème. Il en résulte de plus en plus de situations où des enfants, après avoir fréquenté une école anglaise privée non subventionnée, soient déclarés admissibles, ainsi que leurs frères et leurs soeurs, à l'enseignement public ou privé subventionné en langue anglaise. Le nombre d'enfants qui ont été déclarés admissibles à l'enseignement en anglais en achetant en quelque sorte ce droit n'a cessé d'augmenter. Depuis 1997, plus de 4 000 enfants, y compris les frères et les soeurs, ont été déclarés admissibles à l'école publique anglaise ou à l'école privée subventionnée par ce procédé.»
«Il est temps de mettre fin à cette situation. Pour ce faire, le projet de loi n° 104 vient préciser que les études faites par un enfant ou par un des ses frères ou une de ses soeurs dans une école privée non subventionnée ne peuvent pas être prises en compte pour déterminer si cet enfant est admissible à l'enseignement en anglais dans une école publique ou une école privée subventionnée. Ainsi, un enfant ne pourra plus être déclaré admissible à l'école anglaise publique ou privée subventionnée par l'enseignement qu'il a reçu ou qu'il reçoit dans un établissement privé non subventionné ou encore en invoquant l'enseignement reçu dans un tel enseignement par un de ses frères ou l'une de ses soeurs.»
«M. le Président, vous me permettrez de rappeler que le principe de la fréquentation de l'école française pour les études primaires et secondaires vise principalement à favoriser l'intégration linguistique des allophones à la société québécoise majoritairement de langue française.»
«L'importance des dispositions de la Charte de la langue française relatives à la scolarisation en français n'est plus à démontrer. Elles doivent continuer de jouer un rôle déterminant en matière d'orientation linguistique vers la société d'accueil majoritairement de langue française au Québec. Cette fréquentation de l'école dispensant l'enseignement en français, langue commune de la société québécoise, par les jeunes allophones au Québec ne fait pourtant que traduire une situation qui prévaut naturellement par la force des choses dans le reste du Canada, aux États-Unis et dans plusieurs autres États. Pour la réaliser au Québec, il a fallu l'induire par la Charte de la langue française à cause de la force d'attraction qu'exerce l'anglais. Encore aujourd'hui, cet acquis demeure fragile, puisque certains s'emploient à contester sans relâche le principe de la scolarisation en français au Québec.»
Extraits de: http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/assemblee-nationale/36-2/journal-debats/20020528/9651.html#_Toc10455181
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La «solution» Mulcair:
Quant au député du NPD, Thomas Mulcair, il proposait ceci en commission:
Permettre aux enfants dont les parents remplissent déjà les conditions constitutionnellement reconnues qui leur donneraient accès à l'école anglaise subventionnée, d'être «réputés» par la Loi comme ayant droit à un certificat d'éligibilité à l'école anglaise subventionnée même s'ils ont choisi de fréquenter au préalable une école anglaise non subventionnée.
Ce qui, normalement, ne s'appliqueraient ni aux parents francophones, ni aux parents allophones et/ou immigrants.
La «solution» Louis Bernard
Malheureusement, cette «solution» ne tient tout simplement pas la route. Et ce, pour deux raisons.
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