Alors que le nihilisme moderne atteint le degré zéro de l’humanité

La révolution spirituelle

Spiritualité et politique peuvent faire bon ménage

Chronique de Patrice-Hans Perrier

Il y a toute une controverse autour d’une phrase que le grand écrivain André Malraux n’aurait jamais prononcée. «Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas». Certains remplaceront le terme religieux par spirituel afin d’adoucir une exhortation qui, certes, ne cadre pas avec les canons de la rectitude politique actuelle. Il faut dire que certains persistent à défendre le concept d’un pouvoir de l’esprit préfigurant toute action sur la matière. «Au commencement était le Verbe, la Parole de Dieu, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.», précise Saint-Jean l’évangéliste.

Voici venu le temps de réhabiliter le rôle de la spiritualité sur la place publique. Alors qu’un communautarisme britannique fait parader des avatars de symboles religieux, l’esprit républicain – à contrario – propose d’interdire ce genre de manifestations à l’intérieur d’une agora qui serait désormais laïque, de façon imperméable et sans appel. Encore des dichotomies qui font l’affaire de la désinformation et de la manipulation au bénéfice des puissances d’argent. Sachant ce débat miné d’avance, nous allons procéder avec circonspection.

Le paradigme du politique

Le terme «politique», prend sa source dans l'expression grecque de «polis», qui signifie ville. Et, in extenso, la politique correspondrait à «l’art de gérer les rapports citoyens à l’intérieur de la cité». Nul besoin de lancer un débat étymologique, et même herméneutique, alors que l’évangéliste Mathieu fait la distinction entre la «polis» - ville natale – et la «polis» - Jérusalem céleste. Tout est dit, d’entrée de jeu. Nous sommes au cœur du propos, entre le temporel et le spirituel, à notre époque où certains théocrates fanatiques s’opposent avec fracas aux censeurs d’une laïcité des lumières. Un autre débat vain, sous faux drapeaux, où les enjeux sont décalés au point que le simple quidam en perde … le peu de latin qu’il lui restait !

À l’époque de la cité hellène, le temple est la demeure des dieux et on le met en valeur sur sa propre cité – Acropolis – dominant en perspective la ville des mortels. De nos jours, c’est le «Stock exchange» qui a remplacé le temple grec. La médiation ne s’effectue plus entre les mortels et les dieux, mais bien entre les forces de production (le fruit du travail) et le grand capital financier (la spéculation sur la valeur ajoutée). La médiation se joue sur la valeur marchande des échanges, non plus une verticalité ontologique. Le Veau d’or (le fameux BULL sur la Place du Stock Market), pourtant conspué dans la Bible – ancien et nouveau testaments – a retrouvé sa place à New-York, Babylone des temps modernes. Et, ses vestales sont les opérateurs de transactions opaques qui ressemblent de plus en plus à des incantations qui échappent aux citoyens.

Les symboles du matérialisme

Les économistes ont remplacé les oracles et ils lisent dans les entrailles des cadavres de faillites les prédictions qui traceront la voie aux politiques. Les politiques tiennent la place des membres d’une agora qui aura été transformée en parlements et autres «chambres des représentants». La doxa (propagande officielle) du pouvoir porte sur la prospérité économique et c’est une ontologie de la consommation que l’on utilise afin de pervertir jusqu’aux désirs les plus intimes de l’humanité. Les prêtres de la haute-finance ne sont plus des «médecins de l’âme», ce sont des apprenti-sorciers qui spéculent sur l’antimatière, soit la monnaie scripturale et ses nombreux avatars en nous promettant un rendement qui fera en sorte de transformer le plomb (le fruit du labeur des serfs) en or (une plus-values obtenues au moyen de la spéculation).

Les rituels des nouveaux prêtres du matérialisme financier requièrent toujours des victimes sacrificielles. Mais, alors que les religions du Livre auront remplacé les humains par des animaux et, finalement, par des offrandes symboliques, la caste financière égorge le prolétariat et le fruit de son labeur sur l’autel de la Bourse. En fait, c’est le Capital qui se suicide en emportant dans son naufrage la masse des consommateurs indifférenciés. Les consommateurs ayant remplacé les croyants, nos élites les ont lobotomisés au moyen d’une doxa prêchant le progrès économique comme unique source de salut vers la libération de l’être. La modernité aura, pratiquement, réussi à expurger l’idée d’un salut de l’âme pour la remplacer par celle – faussement libératrice – de salvation du corps. La religion du matérialisme était née.

Quand la perversion est érigée en vertu

L’observation du fonctionnement des médias est révélatrice. Les derniers grands pontifes – comme le Pape (nous ne posons pas ici la question de sa légitimité pour les croyants) – sont ridiculisés ou pris à parti par la propagande officielle. On leur reproche leur dogmatisme, des travers de comportement ou le fait d’être les vivantes reliques d’une époque révolue. Au même moment, les nouveaux grands prêtres de la religion matérialiste (Veau d’or et ses victimes expiatoires) – Lady Gaga et consorts – prêchent le chacun-pour-soi, l’obscénité ou le meurtre rituel comme éléments d’une liturgie qui ne cache même plus ses accointances. Derrière le nihilisme de ce matérialisme nauséeux, se profile enfin la silhouette du mal qui triomphe en toute impunité.

Et, au service des œuvres de cette nouvelle religion, une armée de conscrits «new age» s’active aux quatre coins du monde afin de propager la bonne nouvelle. Les activistes ont remplacé les missionnaires afin d’aller porter la bonne nouvelle auprès des peuples qui résistent encore … au totalitarisme des marchés financiers. Les «droits de l’homme» ont remplacé la célèbre exhortation «tu aimeras ton prochain comme toi-même». Et, fort curieusement, les nouveaux apôtres au service de cette doxa sont des individualistes forcenés qui profitent des forums de discussion sur les médias sociaux, s’investissent dans des ONG ou occupent les premières places au sein d’une société civile à qui ont fait miroiter l’illusion d’une «démocratie participative». Il s’agit, bel et bien (et pas besoin d’être croyant pour le comprendre) d’une sinistre farce qui illustre l’état des lieux.

La confusion des genres

L’instrumentalisation, dans un tel contexte, est donc de première nécessité. Il s’agit de porter aux nues le Petit Djihad (guerre contre les infidèles) au détriment du Grand Djihad (lutte contre le mal à l’intérieur de soi) chez les Musulmans. Dans le même ordre d’idée, les franges évangélistes du mouvement néoconservateur (NeoCon) prêcheront une croisade sans pitié contre «les forces du mal», en jetant aux orties les exhortations du Christ à se faire violence (lutte contre le mal à l’intérieur de soi). Il ne s’agit plus de se transformer au gré d’une pratique qui inclurait une socratique (se connaître soi-même) salutaire. Non, c’est l’autre qui incarne le mal qu’il convient de combattre en oubliant de faire le ménage dans son propre jardin. C’est l’altérité (la différence au sein du genre humain) qui est battue en brèche pas cette théologie de l’égoïsme et du pharisaïsme.

Curieusement, on le constate avec certains épiphénomènes – ou excroissances des franges les plus extrémistes – des grandes religions (l’Hindouisme n’étant pas en reste), les parangons de vertus que sont les nouveaux croisés rêvent en secret au pactole … hollywoodien. Il n’y a qu’à voir le luxe obscène et américanisé des Émirs à la tête des états «fondamentalistes» du Golfe. On pourrait, tout autant, reprocher au Vatican son faste et ses ors qui contreviennent à la Parole biblique. Et, que dire de l’orgie d’opulence dont osent faire preuve certains Maharadja qui donnent des leçons de morale à ceux qui crèvent de faim à Bombay et ailleurs en Inde. Mais, c’est ici que s’illustre avec brio l’œuvre pernicieuse d’un matérialisme totalitaire qui prend toutes les apparences afin de pervertir les rapports humains et de fausser les dialogues.

La résurgence de la magie

À une époque où les signes religieux, dits ostentatoires, sont en voie d’être interdits sur la place publique, les amulettes et autres symboles de rituels magiques réhabilités sont tolérés comme autant d’expression d’une spiritualité «nouvel âge» libératrice et non politisée. Le subterfuge est fin, raffiné presque. Alors, qu’invariablement, les symboles religieux font référence à une domination patriarcale qu’il conviendrait d’abolir, les pentacles et autres grigris sont perçus comme d’inoffensifs symboles d’une spiritualité qui renouerait avec ses fondamentaux terriens. L’horoscope, les divinations, les offrandes et, dans certains rituels, les sacrifices de bêtes ou d’humains sont remis au goût du jour. En fait, c’est tout l’arbitraire des anciens rituels païns qui reprend sa place. Rituels inscrit dans une magie (en lien avec la religion matérialiste) comme rapport de médiation entre l’ici et l’au-delà. Une cosmogonie laissant à l’être humain bien peu de place en définitive (en lien avec certains délires environnementalistes qui perçoivent l’humain comme une tare).

Loin de moi de faire le procès de certains cultes, de vilipender les adeptes du «Nouvel Âge» ou de tomber dans un esprit de complot d’essence eschatologique. Mais, cette authentique révolution spirituelle, appelée à grand cris par nombre de nos contemporains, ne se manifeste pas à travers l’étalage grotesque de l’horoscope à longueur de pages dans nos quotidiens gratuits. Cette spiritualité – dont les trois religions du Livre présagent l’éclosion – se fonde sur une intériorité salvatrice, dans un contexte où l’autre n’est plus un obstacle à notre libération. L’amour – terme galvaudé à dessein par Hollywood – représente le concept opératoire de cette spiritualité d’un monde qui ne serait plus prisonnier de la matérialité antédiluvienne, si l’on peut dire. Merveilleuse maïeutique (connaissance par l’intérieur de l’être) libératrice, l’amour remplace le sacrifice aux idoles (la haute finance et les «stars» du showbiz) par la rencontre véritable de l’INTIME avec l’ALTÉRITÉ. Sartre, grand prêtre du nihilisme par excellence, avait tort quand il professait : «l’Enfer, c’est les autres». Puisque c’est par le don de soi que l’on parvient, finalement, à transformer le plomb en or. C’est de cette authentique et juste alchimie que nous avons grandement besoin. Et, il est minuit moins cinq.

Merci à mon mentor, le grand philosophe et théologien Paul Ricœur à qui je dois TOUT.

Squared

Patrice-Hans Perrier181 articles

  • 203 524

Patrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les Affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. De fil en aiguille, il a acquis une maîtrise fine de l’analyse critique et un style littéraire qui se bonifie avec le temps. Disciple des penseurs de la lucidité – à l’instar des Guy Debord ou Hannah Arendt – Perrier se passionne pour l’éthique et tout ce qui concerne la culture étudiée de manière non-réductionniste. Dénonçant le marxisme culturel et ses avatars, Patrice-Hans Perrier s’attaque à produire une critique qui ambitionne de stimuler la pensée critique de ses lecteurs. Passant du journalisme à l’analyse critique, l’auteur québécois fourbit ses armes avant de passer au genre littéraire. De nouvelles avenues s’ouvriront bientôt et, d’ici là, vous pouvez le retrouver sur son propre site : patricehansperrier.wordpress.com





Laissez un commentaire



4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    5 octobre 2011

    Monsieur Perrier,
    Contrairement à ce que Malraux prévoyait, il est clair qu'il n'y a pas de retour à la spiritualité au 21e siècle. Si Malraux a dit ça, il s'est trompé. Le 21e siècle semble être le siècle du triomphe de la superficialité et du "m'as-tu vu".
    Avez-vous remarqué comment cette belle vertu qu'est la discrétion est en train de disparaître. Même chez les gens moins fortunés. Il n'y a qu'à regarder le nombre de jeunes qui veulent être "connus". Il n'y a qu'à penser à "Star Académie" par exemple. On est loin du spirituel.
    Si le "spirituel" régnait dans le monde, on n'aurait pas ce qu'on a aujourd'hui, c'est à dire un écart record de revenus entre riches et pauvres...

  • Jeannot Duchesne Répondre

    5 octobre 2011

    Je ne voudrais pas tomber dans un discours philosophique car trop souvent à mon goût on fait étalage des grands philosophes et des grands penseurs et on oublie d'écouter ce que disent les gens ordinaires dont je fais partie. Pourquoi rendre la vie plus compliquée qu'elle ne l'est? Le spirituel ne s'applique pas à la masse, c'est une quête personnelle.
    On ne peut parler d'altérité tout en parlant de se suffire à soi-même. Personne ne peut se suffire à lui-même, non plus l'humanité.
    L'autre c'est nos pairs ceux dans lesquels on devrait rencontrer l'Être spirituel. C'est ce qui est le plus difficile; et je pense que c'est de là qu'origine nos maux et problèmes de société. Ce ne sont pas les autres qui nous rendent esclaves et nous avilissent. La liberté est un état personnel; ce n'est pas un résultat, ce n'est pas une question de statut, de niveau, d'intouchabilité ou de position dans la cité; c'est un état spirituel et personnel.
    La maieutique c'est exactement ce que nous faisons présentement, en expliquant ce que nous comprenons de ce que nous connaissons et entendons, en ayant comme objectif un but noble et utile, je l'espère.
    Vous avez raison de mentionner Ghandi et Martin Luther King, de grands penseurs; mais bien avant eux je mentionnerais Rosa Park cette Afro-Américaine qui le premier décembre 1955 a décidé d'être Libre en refusant de donner sa place à un blanc; elle n'était pas la première à le faire. Elle a passé la nuit en prison et perdu son travail mais jamais on ne pu lui ravir sa Liberté fraîchement atteinte.
    Elle avait décidé d'Être. C'est vers ce seul but dont nous devrions tendre. Être soi-même et être comme peuple.
    J.Duchesne

  • Patrice-Hans Perrier Répondre

    4 octobre 2011

    pour répondre à vos questions:
    un extrait de WIKI:
    «L’ignorance ou l'aveuglement de soi-même fait l’homme dépendant et esclave de ses opinions ou données. En revanche, la connaissance ou l'observation de notre nature, de ce que nous sommes, nous rend libres et capables de nous suffire à nous-mêmes. C’est là proprement que se constitue l’idée d’une science morale dont l'observation nous rend heureux. Mais cette science socratique soulève plusieurs difficultés relatives à la méthode.»
    La Socratique - «connais-toi, toi-même» - est une forme d'éthique qui permet au sujet d'être LIBRE au sein de la cité.
    Je dirais que la Maïeutique est un dérivé de la Socratique, permettant que les fruits de la vérité de l'être naissent du dialogue au sein de la cité.
    Donc, l'éthique de l'altérité - la rencontre avec les autres - nous permet d'assumer notre position dans la cité.
    C'est la rencontre du spirituel (non pas magie) avec le temporel (le politique).
    À vous d'entendre ... ce que vous voulez ...
    Et, en guise de conclusion ... j'ai fait allusion (approche gnostique) à une alchimie du mal (la combinatoire des illusions) en opposition à une alchimie du bien (la combinatoire de l'amour «sorcier»), dans un contexte où la transformation intérieure peut entrer en contradiction avec les affaires du domaine public.
    Voilà, le spirituel et le temporel doivent être séparés - rappelons-nous l'exhortation christique «rendez à César ce qui est à César et...» - mais la conscience d'une verticalité ontologique (spiritualité) peut fort bien dialoguer avec le procès du politique.
    J'ai manqué d'espace et de temps pour ajouter un fait historique imparable : Martin Luther King, Gandi ou même le Che Guevara furent des croyants et même des mystiques qui ont mis leur FOI au service du COMBAT POLITIQUE. Mais, ça demeure exemplaire et difficile à concevoir, je vous l'accorde.

  • Jeannot Duchesne Répondre

    4 octobre 2011

    M. Perrier votre commentaire est très intéressant mais me laisse circonspect. Il faut dire que la religion avait aussi beaucoup de magie et que le message originel a fait place à des croyances, des dogmes et beaucoup de traditions plus ou moins fondés. Les religions ont eu leurs heures de gloire et de prospérité avec la politique. Religion et spiritualité peuvent être complètement opposées comme elles peuvent avoir une très étroite proximité.
    Je ne crois pas que la spiritualité et la politique fassent bon ménage un jour. Une saine spiritualité éveille l'homme à ce qui n'est pas matérialiste, il doit y avoir une quête, une recherche de l'identité, de l'Être tandis que la politique la plus honnête qu'elle puisse être limite l'homme à ce matérialisme qui me fait me rallier à votre dénonciation.
    Il se pourrait que des personnes ayant une spiritualité authentique donnent un sens plus éthéré à la politique mais ce ne sera que le temps de leur parcours. La politique appartient à ce monde, à ce matérialisme, à mamon.
    Votre alchimie est vraiment infernale et elle est très exactement la matrice de ce matérialisme et de cette magie que vous décriez avec raison.

    "La beauté dus Diable 1949 (Michel Simon dans le rôle du professeur Faust et Gérard Philippe dans celui du diable, Mephistophélès). Et non, on ne fait pas de l'or avec du plomb ou du sable, seul Mephistophélès peut vous le suggérer moyennant le don de votre âme.
    La spiritualité est le feu ardent dans lequel y brûlent toutes les imperfections et les scories de l'Être pour ni laisser que l'or fin qui le compose depuis la création (non créationniste). C'est ma vision de l'homme et je pense que les écritures vont en ce sens aussi. Nous pouvons retenir l'avilissement et la condamnation de l'homme ou nous émerveillez de ce qu'il est malgré les saletés et les scories qui rendent terne l'or fin qu'il est.
    C'est certains que pour Jean Charest il y a de nombreuses couches à gratter mais tout de même...
    ;-)
    J. Duchesne