La redécouverte de la parole

Présidentielle étatsunienne

Les deux conventions qui viennent de se terminer à Denver et à St. Paul avaient quelque chose de fascinant. Je ne pense pas tant à leur côté spectaculaire qu'à la qualité des discours. Plusieurs orateurs ont en effet livré de véritables pièces d'éloquence, conjuguant magistralement les ressorts de l'émotion, de la langue et de l'art oratoire.

Bien entendu, nous avons eu droit à tous les registres, passant de la promotion du partage de la richesse collective à la défense d'un régime fiscal favorable aux bien nantis, ou du recours à la guerre plutôt qu'au dialogue pour régler les conflits internationaux.
Les meilleurs des deux camps se rejoignaient toutefois pour démontrer l'efficacité de la parole quand on la déploie dans tout son éclat et son pouvoir d'évocation. Pour nous qui sommes peu familiers avec la culture politique de nos voisins, ces discours frappaient sous trois aspects.
Le souci de la langue
Dans plusieurs cas, la richesse du vocabulaire, la vivacité du rythme et la couleur des images témoignaient d'un effort soutenu d'expression. On ne pouvait qu'admirer le respect et la maitrise de la langue comme instrument de communication et s'incliner devant les fruits d'une heureuse collaboration d'orateurs et de rédacteurs de talent.
La personnalisation
De Barack Obama à John McCain, personne n'hésite à parler de soi, des péripéties de son enfance et des épreuves subies, à se vanter de ses bons coups, à repaître de détails personnels des milliers de délégués et 30 à 40 millions de téléspectateurs. Ces tentatives d'identification du candidat à l'électeur semblent réussir à nos voisins, mais on peut penser que notre électorat s'attend à plus de pudeur et de modestie de ses dirigeants. Convenons cependant de l'efficacité de ce ton intimiste pour créer entre électeurs et politiciens une empathie qui nous fait cruellement défaut.
Le recours à la technologie
Depuis longtemps, les politiciens américains utilisent couramment des télésouffleurs. Ce fut pour moi une révélation de voir le président Reagan en faire usage lors de sa visite officielle à Québec, en 1985. Les caméras de télé nous font voir à l'occasion les panneaux translucides, disposés de chaque côté du podium, et même, semble-t-il, au centre, qui affichent au fur et à mesure les paragraphes des discours. On dit que certains de nos chefs de partis ont récemment commencé à faire de même, mais c'est une nouveauté en politique canadienne. La virtuosité technique de Ronald Reagan ne peut s'acquérir qu'après une longue pratique. Je sais, pour avoir un jour tenté l'expérience, lors d'une manifestation organisée par le Mouvement Desjardins, combien il est difficile - et périlleux - de balayer une salle du regard, tout en gardant, à l'insu de tous, l'oeil sur les télésouffleurs et de le faire avec fluidité et naturel.
Je m'en suis autrement abstenu, à l'instar de mes collègues, n'ayant pas eu le courage d'affronter les critiques des médias. Mais, à l'évidence, le procédé, en affranchissant l'orateur de l'esclavage et de l'ennui du texte lu, lui confère présence et spontanéité, sans risquer les dérapages de l'improvisation ou l'embarras des trous de mémoire.
La campagne électorale canadienne nous donnera l'occasion de voir si les candidats tireront quelques leçons utiles des exemples américains. Sans doute, y a-t-il là à prendre et à laisser. Mais est-il besoin de rappeler que, par les temps qui courent, plusieurs sont tentés d'imputer la détérioration de l'influence de nos élus à la stérilisation de leurs messages par la langue de bois et à leur compression en capsules de microsecondes, largement imposées par les impératifs des médias?
Ce ne serait pas une mauvaise idée de redonner chez nous ses lettres de noblesse au discours politique des grands jours. Pour un, jamais Barack Obama n'aurait pu connaître son ascension fulgurante et enflammer le public américain par ses idées et l'espoir dont il est porteur, s'il ne les avaient (sic) communiqués par un discours à la fois passionné et construit, adressé au coeur et à l'intelligence.
Si on se donne la peine, les moyens et le temps de parler directement et candidement aux gens, il y a des chances qu'ils se remettent à écouter.


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