«Il faut être fou pour faire le saut en politique»: voilà une phrase qu'on entend à tout venant et souvent de la bouche de gens qui ne lèveraient pas le petit doigt pour aider leurs voisins. On peut même anticiper les critiques malveillantes à l'endroit de ceux qui font de la politique leur métier et que cette chronique veut louer. Quelles sont les personnes qui, mardi, enviaient ces trois chefs de parti soumis au stress d'un débat qu'ils savaient rempli d'embûches, de pièges et d'espoirs déçus? Pourquoi donc, de nos jours, des hommes et des femmes sont-ils prêts à sacrifier le confort de leur vie privée, un travail aux contraintes restreintes, parfois des revenus plus considérables et l'anonymat protecteur pour cette aventure incertaine, quelquefois brutale, toujours exigeante et rarement rassurante qu'est la politique active?
Nous vivons une période apparemment désertée par les grands personnages charismatiques dont on a tant d'exemples en tête et qui appartiennent à l'histoire passée. L'absence de crise grave comme on en a connu et la culture démocratique telle que nous la connaissons maintenant semblent mal s'accommoder de personnalités trop flamboyantes qui suscitent avec la même passion violente l'adhésion ou le rejet. La majorité des citoyens en Occident souhaite être gouvernée au centre et, au Québec comme en France actuellement, ces citoyens se laissent séduire par le troisième homme. Celui, à vrai dire, qui casse en quelque sorte le système, qui casse aussi la logique médiatique, oubliant les discours formatés et la tyrannie de l'image, qui se permet aussi le luxe d'échapper à cette chape de plomb qu'est le discours politiquement correct. Aux yeux de l'électorat, le troisième homme a l'air d'y croire, car le problème, c'est aussi de penser que les autres y croient moins et ne seraient là que pour le pouvoir.
Or personne n'entre en politique sans conviction. Ni l'ambition personnelle, ni la grosseur de l'ego, comme on dit dans le showbiz, ni la fascination du pouvoir n'expliquent à elles seules ce choix de vie. Il faut être habité par quelques idées fortes, aimer ces gens qu'on représentera, et ce, malgré la certitude que leur loyauté sera circonstancielle. La fonction représentative suppose des qualités humaines bien précises. Malgré ce qu'en pensent plusieurs, la modestie est essentielle. Il en faut pour accepter de se soumettre à la volonté des électeurs et surtout à leur jugement négatif quand ils excluent les élus d'un jour. Les candidats victorieux mais lucides ne pavoisent qu'un court laps de temps. Le reste de leur mandat, ce sont des hommes et des femmes aux aguets. Et la défaite est souvent injuste. Ils sont nombreux, les bons députés et les bons candidats qui seront battus le soir du 26 mars parce que leurs partis respectifs n'auront pas reçu l'assentiment populaire. De mauvais candidats seront inévitablement élus, mais ceux-ci devront vite déchanter alors que la pression des électeurs, surtout dans les circonscriptions en dehors des grandes villes, ne leur laissera guère de répit.
Car faire de la politique, c'est être tout à la fois législateur, travailleur social, confesseur, dépanneur. C'est vivre parmi les gens, et ils sont bien plus rares qu'on le croit, les élus qui sont coupés du monde ordinaire, comme on dit. Il faut les voir sur le terrain, dans leur bureau de comté, pour comprendre que, sauf exception, ce sont des gens plus altruistes que ceux qui s'appliquent à les dénigrer, soit par métier, soit par mépris, voire les deux à la fois. Faire de la politique en démocratie, c'est non seulement vouloir intervenir sur le cours des choses mais également jouer le jeu de gagner ou de perdre. Quand on côtoie des politiciens, on constate qu'avec l'expérience, et surtout quand ils sont talentueux et emphatiques, ils finissent par devenir spécialistes de la nature humaine. Ils connaissent non seulement les limites et les faiblesses d'autrui mais aussi les leurs. Ceux qui étaient cassants ou prétentieux à l'entrée deviennent souvent plus humbles à s'user sur les banquettes du Salon bleu. Les plus intelligents découvrent vite que les divergences politiques sont plus souvent qu'on le croit affaire de nuances et que les idées, même diamétralement opposées, gagnent à subir l'assaut de la contradiction.
Ce qui est dommage, c'est que les députés, et en particulier ceux de l'équipe gouvernementale, soient des politiciens de l'ombre. On le sait, les médias s'affairent essentiellement autour des ministres, et encore, ce sont ceux qui héritent de portefeuilles en vue. Les simples députés n'attirent les caméras que lorsqu'ils commettent des bourdes. En effet, quand a-t-on l'occasion d'entendre un député expliquer ses motivations et son travail? Quand peut-on le voir en action sur le terrain avec ses commettants? Les nouveaux élus apprennent à ne pas compter sur la reconnaissance sociale, sans quoi ils regretteront vite leur choix initial. Mais étonnamment, ceux qui ont choisi la politique demeurent fascinés par elle. Sans doute parce qu'au-delà des convictions qui ont guidé leurs pas, les hommes et les femmes qui ont subi cette épreuve du feu qu'est une élection ont bien perçu que la scène politique est une représentation ultime de la théâtralisation de la vie. Avoir le sentiment de vivre l'histoire, d'être au coeur des débats, de connaître l'exaltation de la victoire, de croire fugacement que le pouvoir nous frôle et qu'on modifie le cours des choses, voilà aussi ce qui anime ceux qui sollicitent notre appui.
denbombardier@vidéotron.ca
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