La nation et les idées sans trêve Louis Cornellier
LeDevoir 26.8.01
Dur métier que celui de lecteur d'essais professionnel et, donc, boulimique? Allons donc! Ceux et celles qui lisent des livres d'idées comme ils respirent savent que c'est la vie, et rien d'autre, qui éclate là à chaque page et que les essayistes québécois, plus en verve que jamais, ne sont pas près de les laisser tomber. Tant et si bien d'ailleurs, qu'il faudra choisir, puisque la manne s'avère, à chaque saison, si abondante que même les affamés peinent à tout absorber. Ce menu sélectif n'a d'autre ambition que de les aider à se faire judicieux.
La nation dans tous les sens
Un peu à l'écart du feu de l'action, qui oblige trop souvent au sacrifice de la profondeur sur l'autel des considérations stratégiques, une foule d'essayistes québécois nous livrent, cet automne, le fruit de leurs cogitations sur l'avenir de la nation.
Dès septembre, chez VLB éditeur, Stéphane Paquin annonce La Revanche des petites nations en analysant les cas québécois, écossais et catalan. En octobre, à l'Hexagone, le philosophe Michel Seymour dénoncera l'intransigeance du gouvernement fédéral à l'égard du Québec dans Le Pari de la démesure et Geneviève Mathieu, chez VLB, dans un essai qu'on dit prometteur, se demandera Qui est Québécois? après une lecture attentive des oeuvres de Fernand Dumont, Michel Seymour et Gérard Bouchard. Plus tard en saison chez le même éditeur, le collègue Michel Venne exposera ses convictions de souverainiste moderne c'est-à-dire sans ressentiment ni peur, dans Les porteurs de liberté.
Au Boréal, trois ouvrages alimenteront le débat, alors que Stéphane Kelly diagnostiquera Les Fins du Canada (titre provisoire) et que les Canadiens anglais Michael Ignatieff et Will Kymlicka, en septembre, traiteront, respectivement, de La Révolution des droits et de La Citoyenneté multiculturelle. Enfin, chez Stanké, le juge à la retraite Marc Brière nous offrira des «dialogues avec Charles Taylor, Claude Ryan et quelques autres sur le libéralisme et le nationalisme québécois» dans Le Québec, quel Québec?
Des personnages qui inspirent
Deux grandes biographies déjà bien entamées s'enrichiront de nouveaux épisodes dans les mois à venir puisque Fides annonce, pour octobre, la parution du tome 2 d'Olivar Asselin et son temps d'Hélène Pelletier-Baillargeon et que Boréal promet, pour novembre, L'Espoir et le chagrin, le tome 3 (1976-1980) de la biographie de René Lévesque signée par Pierre Godin. Toujours chez Boréal, mais en traduction, Sandra Djwa offrira au public québécois F. R. Scott : une vie, afin de lui faire découvrir cet avocat, poète et traducteur anglo-québécois qui fut aussi un militant social-démocrate. Aux Herbes rouges, le poète François Charron surprend un peu en publiant L'Obsession du mal de Saint-Denys Garneau et la crise identitaire au Canada français , un imposant essai biographique dont fait état le collègue David Cantin dans sa chronique. Aux Editions de l'Homme, Michel Vastel, le journaliste qui rédige plus vite que son ombre, racontera la vie du Premier ministre du Québec dans Bernard Landry, le grand dérangeant.
Au rayon des petites blographies, la collection «Les grandes figures» de XYZ éditeur ajoutera La Turluteuse du peuple, une présentation de La Bolduc par Christine Dufour, Marius Barbeau: le grand sourcier de Serge Gauthier et un ouvrage de John Wilson sur le médecin aventurier et militant Norman Bethune.
Études littéraires
Il faut s'attendre à un automne chargé dans ce champ. D'abord, grâce aux Editions Nota bene, championnes en la matière, qui publient, entre plusieurs autres, Le Testament de Zola de Jacques Pelletier, La Rhétorique épistolaire de Rabelais de Claude LaCharité, Approches de l'essai, une anthologie préparée par François Dumont, et Ces étrangers du dedans de Clément Moisan et Renate Hildebrand, qui trace l'histoire de l'apport des écrivains québécois d'origine étrangère à notre littérature.
Chez Liber, Simon Harel lance Promesses de fables. Pour une psychopoétique du récit en psychanalyse, et Line McMurray signe Pataphysique et créativité. Dans deux essais qui s'annoncent, eux aussi, plutôt pointus, Élisabeth Nardout-Lafarge, chez Fides, analyse Réjean Ducharme: une poétique du débris et Nathalie Fredette, chez XYZ, présente Les Figures baroques de Jean Genet. Aux Editions Balzac, Marie-Eve Draper s'intéresse au Libertinage et donjuanisme chez Kundera et Robert Richard propose une défense de la littérature dans L'Emotion européenne. A noter, surtout, chez le même éditeur, une bombe intitulée Plus jamais Peirce dans laquelle le sémioticien Francis Tremblay tire à boulets rouges sur le théoricien américain qu'il accuse de propagande esclavagiste et de mille autres torts.
En septembre, dans un registre que l'on pourrait qualifier de théo-littéraire, Mgr Guy Gaucher se penche sur L'Expérience de Dieu avec Bernanos, pendant que Gilles Marcotte fait de même avec Claudel, tous deux chez Fides.
Philosophie
Il revient aux Editions Liber, encore une fois, d'assurer une place à la philosophie dans l'édition québécoise en publiant L'Art et la vie de Pierre Bertrand, Une enquete historique sur la sagesse de Jacques Marchand, le premier d'une série de cinq ou six tomes qui souhaite retracer «la façon dont diverses civilisations ont envisagé l'autonomie individuelle et la recherche du bonheur», et Les Enjeux de la rationalité du Belge Jean Ladrière.
Chez Trait d'union dans la collection Spirale, Michaël La Chance dénoncera Les Penseurs de fer. Les sirènes de la cyberculture et Marc Angenot s'interrogera dans D'où venons-nous? Où allons-nous? La décomposition de l'idée de progrès. Pour sa part, Jean-Marc Piotte, dans les jours qui viennent, fera oeuvre pédagogique en nous offrant Les 9 Clés de la modernité aux Editions Québec Amérique. Dans un registre psychanalytique, Jean Forest, chez Triptyque, explorera les aleas modernes de la figure symbolique du père dans Dis papa, c'est quoi un père?.
Histoire
Fidèles au rendez-vous, les indispensables Éditions du Septentrion nous réservent quatre titres: Les Voyageurs d'autrefois de Gaston Deschênes, La Vie quotidienne dans la vallée du Saint-Laurent (1790-1835) de Jean-Pierre Hardy, Enquête sur une fille du Roi: Catherine de Baillon de Raymond Ouimet et Nicole Mauger et Espaces de vie-Espaces de rêve de Eric Waddell et Dean-Louder, une plongée dans l'art de vivre au sein d'une culture minoritaire tel que pratiqué par les francophones de partout en Amérique du Nord.
Chez Comeau & Nadeau éditeurs, les Lettres sur le Canada d'Arthur Buies et Les Rouges de Jean-Paul Bernard, une étude sur les radicaux du libéralisme canadien-français au XIXe siècle, retiendront l'attention. Avec Ouverture embryonnaire (1896-1914) Robert Lahaise, chez Lanctôt poursuivra son histoire du Québec par la littérature et, aux Editions Danielle Shelton, François Dallaire reconstituera La saga de l'amiante.
Des militants et des documents
Militant anarchiste et ancien chroniqueur du Devoir, le professeur Normand Baillargeon animera le débat à gauche avec deux ouvrages: La Lueur d'une bougie (Fides), un essai-conférence qui critique le faible apport du monde de l'éducation et des médias au développement de la pensée critique, et Les Chiens ont soif (Comeau & Nadeau) qui regroupe des «critiques et propositions libertaires». Chez Lanctôt, on pourra lire La Gauche à l'aube du 21e siècle, un ouvrage important, dit-on, de Marta Harnecker, une militante d'origine chilienne qui vit à Cuba. Aux Editions Ecosociété, le militant des luttes urbaines Marcel Sévigny fera paraître 30 ans de politique municipale.
Afin d'en oublier le moins possible, mentionnons en rafale quelques ouvrages que l'on qualifiera ici, faute de mieux, de documents. Travail considérable et inédit, le Dictionnaire des suicides (Liber) d'Eric Volant, qui contiendra plus de 300 articles sur des données statistiques, des suicidés célèbres et des théories, mérite de figurer en haut de cette liste. Dans La FTQ, ses syndicats et la société québécoise (Comeau & Nadeau), un collectif d'auteurs fera le point sur ce lieu important du mouvement ouvrier d'ici. Presque tout Falardeau (Stanké) regroupera en un seul volume l'oeuvre du cinéaste en colère. L'Attentat (Trait d'union) permettra au journaliste Michel Auger de raconter les événements qui ont entouré la fusillade à laquelle il a survécu. Enfin, au Boréal, Jane Jacobs explorera La Nature des économies.
Aurons-nous le temps de tout lire? Certainement pas, mais nous essaierons, c'est promis, de bien lire, de rendre justice et de rendre service.
Extrait Je suis né en 1960. J'ai grandi avec la Révolution tranquille. « Quand je suis arrivé à l'âge adulte, Québec inc. avait le vent dans les voiles. Le français était devenu la seule langue officielle. La culture québécoise était en pleine ébullition. Nous n'étions plus des porteurs d'eau. Nous n'avions plus de raison d'en vouloir aux Anglais. Je n'ai jamais eu le sentiment d'être exploité ni opprimé au sein du Canada. Aux yeux des fédéralistes je ne devrais donc avoir aucun motif valable de vouloir la souveraineté du Québec. Et pourtant je la veux, un peu plus chaque jour qu passe, pour moi et pour mes descendants. J'a la convction que la nation que les Québécois se sont forgée au fil des siècles se doit, plus que jamais à l'ère de la mondialisation, d'assumer sa souveraineté. Devenus des porteurs de liberté, nous ne pourrons pas toujours nous passer d'un pays...»
Extrait de Les Porteurs de liberté, de Michel Venne, directeur de l'information au Devoir, essai à paraître en novembre chez Vlb Éditeur. Reproduit avec l'aimable autorisation de l'éditeur.
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