André Noël - Depuis presque 40 ans, la loi québécoise sur la santé oblige les médecins à choisir. Ou bien ils adhèrent à la Régie de l'assurance maladie du Québec, ou bien ils n'y adhèrent pas. Ils se font payer par la RAMQ et sont considérés comme des «participants», ou ils se font payer par leurs patients et sont considérés comme «non participants». Mais pas les deux à la fois.
Seulement 158 médecins sur 16 000 sont non participants. Claude Castonguay propose de lever ce cloisonnement. Marie-Claude Prémont, professeur de droit à l'École nationale d'administration publique et juriste spécialisée en droit de la santé, explique l'importance de cet enjeu.
Q Pourquoi l'État québécois a-t-il toujours jugé que ce cloisonnement est fondamental?
R L'interdiction de la pratique médicale hybride, ou mixte, réduit les possibilités que les fonds publics financent le développement du système privé. Actuellement, rien n'interdit à un médecin de quitter le système public. Mais s'il fait ce choix, il doit assurer sa rentabilité dans le système privé. Ça se comprend facilement. Si un employé décide de quitter son employeur, c'est son choix. Il ne peut pas dire à son employeur: «Eh bien, je vais venir travailler pour vous quand ça va faire mon affaire, ou quand je n'aurai pas assez de travail ailleurs.» Aucune entreprise n'accepterait ça.
Q En quoi le réseau public serait-il perdant si la mixité était permise?
R Le médecin qui peut pratiquer des deux côtés choisit la pratique qui lui est la plus favorable. Il choisit le système privé lorsque la clientèle est suffisante, et complète ses revenus dans le réseau public. Le réseau public en souffre parce que les médecins sont moins disponibles.
Q Mais s'il y avait des quotas? Si les médecins étaient obligés de fournir un certain nombre d'heures dans le réseau public avant d'aller travailler dans le réseau privé, comme le suggère M. Castonguay, où serait le problème?
R Il y a déjà un manque de ressources dans le réseau public. Alors si on permet aux médecins de travailler dans les deux réseaux, cela veut dire une diminution du temps consacré par les médecins au réseau public. Et imaginez la complexité de la gestion de ces quotas. Qui va les faire respecter? Cela signifie des coûts administratifs énormes, qui seraient imputés au système public.
Q Mais les médecins ne sont-ils pas déjà obligés de limiter leur temps de travail?
R Non. Les plafonds de rémunération ont pratiquement tous été levés dans les dernières négociations entre le ministre de la Santé et les fédérations de médecins. Il est vrai que des chirurgiens ne peuvent opérer qu'un jour par semaine. La raison: il manque d'infirmières dans les hôpitaux. Si les chirurgiens vont travailler dans le privé, il faudra que des infirmières les suivent dans le privé. La pénurie sera donc accrue dans les hôpitaux. Cette solution risque d'aggraver les temps d'attente dans le réseau public.
Q Que font les autres provinces?
R Cela varie d'une province à l'autre. Il y a quelques années, l'Ontario a interdit aux médecins de se désengager du régime public. Le cloisonnement est une mesure provinciale: il n'est pas imposé par la Loi canadienne sur la santé.
Q Dans l'arrêt Chaoulli, la Cour suprême n'a-t-elle pas autorisé la mixité?
R Elle a fait le contraire. Si on fait une interprétation correcte du jugement, la Cour a ordonné au Québec de maintenir le cloisonnement. La juge (Marie) Deschamps dit que c'est parce que ce cloisonnement existe que le Québec peut permettre, dans quelques cas, le recours aux assurances privées. Le décloisonnement proposé par M. Castonguay n'est en rien une réponse à ce jugement. Il s'agit avant tout d'une mesure essentielle pour permettre le développement, la croissance et la rentabilité d'un réseau privé parallèle.
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