Le rapport du Groupe d'experts indépendant sur le rôle futur du Canada en Afghanistan, parfois aussi appelé commission Manley, a dans l'ensemble été accueilli favorablement par les commentateurs. Cette réaction est certainement justifiée à bien des égards: le travail a été bien fait et la réflexion a visiblement été poussée aussi loin qu'elle pouvait l'être. Le diagnostic est lucide et on n'y décèle pas de tentative de minimiser les problèmes qui entourent la mission de l'OTAN et des Canadiens en particulier sur ce théâtre d'opération.
Le rapport aborde de front la plupart des difficultés auxquelles se heurte la mission. Il dépeint les succès enregistrés sur le front militaire mais ne nie pas la dégradation des conditions de sécurité. Il souligne les progrès en matière de gouvernance mais demeure prudent devant les immenses obstacles qui se dressent devant l'établissement d'un gouvernement afghan qui soit fonctionnel et stable (notamment le trafic de stupéfiants, la corruption et la persistance des clivages tribaux). Il décrit les efforts de reconstruction et de développement mais ne cache pas que le plus dur reste à faire. Il définit avec justesse les difficultés que posent la cohabitation et la coordination d'un si grand nombre d'intervenants: les États membres de la coalition, les ONG, les organisations internationales et, bien sûr, les Afghans eux-mêmes.
Des décennies de travail
On peut débattre des détails de ce diagnostic mais, en gros, ce constat correspond à ce qu'on peut entendre lorsqu'on discute avec ceux qui sont en première ligne. La liste des problèmes est si longue et si diversifiée qu'il est bien difficile de ne pas être dubitatif, sinon carrément sceptique et critique devant cette mission. Même les plus optimistes reconnaissent que la réalisation des objectifs politiques et économiques minimaux pour espérer voir naître une société stable et prospère doit se mesurer non en années mais en décennies.
On peut également débattre de la justesse ou de la pertinence des mesures proposées à court terme pour parer aux difficultés auxquelles se heurtent, dans l'immédiat, les militaires et les civils canadiens en mission dans la province de Kandahar. Le rapport propose notamment le renforcement des moyens militaires (hélicoptères et drones), un effort supplémentaire sur le plan du développement et l'envoi de renforts par les autres membres de la coalition. Sur ce plan aussi, le rapport fait écho à ce qu'on peut entendre sur le terrain. Certes, la réalisation de ces conditions, et en particulier l'obtention de renforts de la part des alliés, demeure aléatoire, mais elle n'est pas irréaliste.
Manque de conviction
Par contre, le document n'est pas entièrement convaincant. Il ne convertira pas ceux qui sont opposés à la mission, que ce soit pour des raisons de principes ou de pragmatisme. Et il y a fort à parier que le gouvernement non plus ne parviendra pas à convaincre, comme l'espèrent les auteurs du document, la moitié de la population (les deux tiers de celle du Québec) qui reste sceptique devant le bien-fondé de cette mission.
L'analyse des fondements de l'attitude mitigée de la population ainsi que des moyens d'y remédier constitue certainement un des aspects discutables du rapport du groupe. À ce sujet, on y lit: «Les Canadiens n'ont pas bien saisi la nature et le fondement logique de la mission du Canada [...]. Disons le sans ambages, [...] les gouvernement canadiens n'ont pas su entretenir des communications équilibrées et franches avec la population pour exposer les raisons de la participation du Canada.»
La solution proposée est à l'avenant: «Le groupe est d'avis que ce déficit informationnel doit être comblé sans délai, au moyen d'une stratégie de communication systématique et plus équilibrée, mettant l'accent sur des échanges ouverts et constants avec les Canadiens.»
Quelques problèmes
Mais s'agit-il vraiment d'un problème de «communication»? Cette guerre est la plus longue des sept auxquelles le Canada a participé depuis 1867. Si, après plus de six ans, une bonne partie des Canadiens n'ont toujours «pas compris» pourquoi leurs soldats se battent en Afghanistan, c'est probablement que le malaise est profond.
Le groupe avance quatre raisons pour justifier la participation canadienne à ces opérations: la lutte contre le terrorisme, le soutien à l'ONU, le soutien à l'OTAN et la mise en oeuvre de programmes de sécurité humaine.
La première raison est la moins convaincante dans la mesure où le sentiment d'insécurité n'est pas si répandu au Canada et où les réseaux terroristes n'ont pas absolument besoin du sanctuaire que leur offraient les talibans pour préparer leurs attentats. Les trois autres rejoignent certainement davantage les préoccupations internationales mais ne semblent pas suffisantes pour emporter la conviction.
Comment expliquer cette tiédeur devant des objectifs présentés en termes aussi nobles? Sur cette question, le diagnostic du groupe semble avoir été établi de façon pour le moins hâtive, en remâchant un cliché que se répètent les partisans de l'intervention sans trop vouloir y réfléchir.
Les sondages ne révèlent pas pourquoi l'opposition demeure aussi marquée. Outre la faiblesse de l'argument sécuritaire, bien des raisons peuvent l'expliquer. Premièrement, comme l'exprimait Bernard Descôteaux (Le Devoir, le 23 janvier 2008), le prix à payer en vies humaines (78 morts) est sans doute perçu comme trop élevé par certains. Deuxièmement, il n'y a pas de sentiment d'urgence, comme celui que faisait naître la situation au Kosovo en 1998-99 et qui entoure aujourd'hui celle au Darfour. Troisièmement, bien des gens ne peuvent s'empêcher de voir dans cette intervention un appui à la politique étrangère controversée menée par l'administration Bush.
Dimension identitaire
Cette troisième raison est la plus difficile à contrer pour un gouvernement comme celui de Stephen Harper parce qu'il n'existe que bien peu de façons de démontrer l'inverse. Dans le passé, bon nombre de dirigeants politiques ont tenté de définir des rôles internationaux qui permettent de bien marquer l'identité internationale distincte du Canada face aux États-Unis.
Or, dans le contexte de la guerre en Afghanistan, cette dimension identitaire semble difficile à établir. Un changement de cap sur ce plan exigerait bien plus qu'un nouveau plan de communication. Il nécessiterait l'ouverture d'un dialogue visant à définir une politique qui fasse écho non seulement à ce que commande la défense des «intérêts stratégiques» du pays mais aussi à la façon dont la société canadienne se perçoit et veut être perçue par le reste du monde.
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Stephen M. Saideman, Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la sécurité internationale et les conflits ethniques à l'université McGill. Les auteurs reviennent d'une visite en Afghanistan effectuée en décembre 2007.
Stéphane Roussel, Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politique étrangère et de défense canadiennes à l'UQAM
- source
La mission canadienne en Afghanistan et le rapport Manley - Plus qu'un problème de communication
Afghanistan - le Rapport Manley - retrait ou non?
Stephen M. Saideman1 article
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la sécurité internationale et les conflits ethniques à l'université McGill.
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