Le poker afghan

Afghanistan - le Rapport Manley - retrait ou non?



Un autre début de session, une autre partie de poker à Ottawa. Deux parties, même.


Au cours des prochaines semaines, le gouvernement minoritaire de Stephen Harper et les partis d’opposition joueront simultanément sur deux tables de poker : l’une, budgétaire, l’autre, afghane.
Théoriquement, une seule mauvaise main du gouvernement sur l’une ou l’autre des tables, et nous repartons en campagne électorale. À voir l’opposition amorphe et désorganisée hier aux Communes, il semble toutefois que M. Harper puisse dormir tranquille. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça ne sentait pas les élections à Ottawa en cette journée de rentrée. L’opposition, qui devait profiter des faiblesses du gouvernement pour le pousser dans les câbles, a plutôt fait l’étalage de son incurie. Est-ce l’effet des longues vacances ? Toujours est-il que les questions des trois partis de l’opposition à propos du plan d’aide des conservateurs au secteur manufacturier et sur le traitement des prisonniers talibans avaient autant de punch qu’un coup de mouchoir.
Stephen Harper, lui, a abattu une première carte, prenant l’opposition de court sur la mission canadienne en Afghanistan.
Dans une longue conférence de presse tout juste avant la première période des questions, le premier ministre a annoncé qu’il était d’accord pour prolonger la mission des soldats canadiens dans la région de Kandahar au-delà de 2009, à condition que l’OTAN accepte d’envoyer des renforts. M. Harper a donc fait siennes les recommandations du rapport Manley sur l’avenir de la mission.
On ne peut pas faire une telle mission à moitié : ou bien on reste avec les moyens de réussir ou bien on s’en va, a résumé en substance M. Harper.
Mais avant même d’en arriver là, M. Harper a fixé une autre condition : l’appui de la Chambre des communes à son plan. La balle est maintenant dans le camp du chef libéral Stéphane Dion, à qui le premier ministre a tendu la main (les bloquistes refusent net tout prolongement et les néo-démocrates veulent le retrait immédiat).
L’affaire est embêtante pour Stéphane Dion, qui a clairement indiqué ces dernières semaines que le Canada devait cesser sa mission de combat en 2009 pour la réorienter vers un rôle d’aide et de développement. Il pourrait bien sûr s’en tenir à cette position, mais il rejetterait alors les conclusions de John Manley, un imminent libéral dont le rapport a été généralement bien accueilli.
S’il ouvre la porte à des négociations avec Stephen Harper, M. Dion risque par ailleurs de créer des divisions dans son propre caucus. Certains poids lourds, comme Michael Ignatieff et Bob Rae (pas encore élu, mais néanmoins critique en affaires étrangères), sont plutôt favorables au prolongement. D’autres, par contre, notamment Denis Coderre et ses collègues du Québec, veulent un retrait, tel que voté aux Communes, en février 2009. La réunion du caucus de demain risque d’être fort animée chez les libéraux.
Les tenants de la fin prochaine de la mission canadienne en Afghanistan trouveront certainement des munitions dans le discours sur l’état de l’Union du président américain George Bush, qui entame sa dernière année à la Maison-Blanche en refusant obstinément de préparer le retrait des troupes américaines en Irak.
Hier, en première réaction, M. Dion a envoyé des signaux contradictoires. D’un côté, il affirme que le plan Harper est une « recette pour l’enlisement » parce qu’il ne prévoit pas d’échéance. D’un autre, il indique qu’il est prêt à négocier avec le premier ministre.
Ce qui nous ramène à la question de départ : le chef libéral est-il en position d’affronter le gouvernement Harper et, éventuellement, de le renverser sur la question afghane ? Réponse : pour le moment, les libéraux ne semblent pas en mesure de faire tomber le gouvernement sur quoi que ce soit, pas plus sur le budget, le mois prochain, que sur la mission afghane, plus tard ce printemps.
Stephen Harper, pour sa part, fait le pari de démontrer à une population opposée à la mission en Afghanistan que son plan de prolongement, avec l’appui de l’opposition et avec du renfort de l’OTAN, est juste et raisonnable.
Et pour bien montrer qu’il a compris les critiques du rapport Manley sur les lacunes de communication du gouvernement à propos de cette mission, M. Harper s’est même risqué à y mettre un peu d’émotion, hier en conférence de presse, ce qui n’est pas dans ses habitudes. « Je dois dire que la mission en Afghanistan est le dossier le plus difficile pour mon gouvernement, celui qui me donne le plus de maux de tête, et celui aussi qui me touche souvent au cœur. »
La manœuvre de Stephen Harper est habile : si les libéraux lui refusent leur appui, il devra s’en tenir au retrait en 2009, ce qu’une majorité de la population souhaite. S’il arrache un appui à Stéphane Dion, il aura un nouveau rapport de force pour négocier avec l’OTAN. Reste à savoir s’il tiendra un vote de confiance aux Communes sur le sujet en sachant qu’il risque de le perdre ou, si vous préférez, s’il est prêt à aller en élections sur la question du prolongement de la mission en Afghanistan.
De l’aveu même du premier ministre, la guerre en Afghanistan n’est pas très rentable pour les conservateurs en campagne électorale. Par contre, on remarque depuis quelques semaines que cette mission ne déchaîne plus les passions au sein de la population, même quand nos soldats tombent au combat. L’émotivité a fait place à une certaine habitude.
Les prochains sondages nous diront si les Canadiens jugent le nouveau plan Harper-Manley raisonnable. Cela aidera certainement à orienter les décisions des libéraux.
- source


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé