Si le bilinguisme peut sembler être un atout de taille sur le marché du travail, certains francophones en milieu minoritaire estiment que le mentionner sur un CV ou en ligne peut s’avérer être plutôt un fardeau.
Je pense que les recruteurs, ils ont cette idée qu’un bilingue n’est bon qu’à décrocher le téléphone!
, regrette Okba Grissia. Ce comptable de formation, arrivé il y a trois ans à Toronto, pensait que sa maîtrise du français et de l’anglais lui permettrait de facilement trouver un emploi dans la Ville Reine, mais a vite été déçu après son arrivée.
Être bilingue, ça vous facilite vraiment pour trouver un emploi, mais le problème c’est que ce job sera à 99 % des cas dans le service aux clients.
Malgré un diplôme français, un diplôme italien et une maîtrise d’une grande école en Tunisie, de même que de l’expérience en comptabilité en Europe et au Maghreb, Okba a été confronté à son manque d’expérience canadienne
.
Greg Benadiba est président de Source Bilingue, une agence de recrutement spécialisée dans le bilinguisme. Selon lui, une personne qui est nouvelle au Canada va devoir avoir une expérience canadienne au début
.
Il reconnaît que la majorité des postes bilingues à Toronto sont des postes de service à la clientèle. Nombreuses sont les compagnies qui ont leur siège social à Toronto et qui souhaitent faire affaire avec le Québec, dit-il. Selon lui, la demande, déjà plus forte que l’offre, continue de croître.
Lors d’une foire d’emploi bilingue organisée par le Centre francophone de Toronto en septembre à Toronto et à laquelle Radio-Canada s’est rendue, tous les recruteurs présents interviewés ont confié chercher principalement des candidats pour des postes d’entrée. La majorité de ces postes étaient reliés au service à la clientèle.
Retirer la mention bilingue sur les plateformes en ligne
Charlotte Mahillet est elle-même immigrante francophone et a commencé par travailler dans un centre d’appels lors de son arrivée à Toronto. Désormais, elle est conseillère en employabilité auprès des nouveaux arrivants francophones à Ottawa, et elle leur recommande fortement de retirer la mention bilingue
de leurs réseaux sociaux professionnels comme LinkedIn.
À mes clients, je dis mettez bilingue sur votre CV, mais sur tout ce qui est plateforme en ligne, évitez.
N’importe quel recruteur qui va juste taper le mot-clé “bilingue” va juste ressortir votre CV parce que vous êtes bilingue, peu importe votre domaine, il va quand même vous proposer les mêmes types de postes qui ne correspondent pas du tout à votre profil
, avance-t-elle.
Greg Benadiba n’est pas de son avis. Si on ne met pas ce mot-là, peut-être qu’on n’apparaîtrait pas dans les résultats, et c’est ça ce qui est important.
Désagréments et disparités du bilinguisme
Okba Grissia, lui, n’est pas catégorique, mais considère que cette mention peut constituer un véritable fardeau
. Dans la boîte où je travaille maintenant, c’est une grosse boîte, j’ai postulé à 7 ou 8 positions. Je n’ai été invité pour un entretien que pour un emploi qui requiert d’être bilingue
, rapporte-t-il.
Ce caractère bilingue, il bloque vraiment les gens ambitieux.
Les bilingues ont un parcours très étroit qui est celui des fonctions bilingues
, estime-t-il.
Selon lui, ce n’est pas une question de discrimination, mais plutôt une habitude des recruteurs.
Il est même parfois possible, avance-t-il, que des collègues anglophones soient favorisés pour un poste pour éviter qu’un bilingue ne quitte ses fonctions où le français est nécessaire.
Une pratique qu’a remarquée Greg Benadiba, mais ce n’est pas la norme
, tempère-t-il. Si une compagnie garde un employé bilingue prisonnier dans un rôle de service à la clientèle, éventuellement ils vont perdre cette personne-là.
Selon Charlotte Mahillet, une différence au sein même du monde bilingue est cependant à soulever.
Je pense que le bilinguisme est défini en Ontario à 90 % par parler anglais et accessoirement parler français
, dit-elle. Dans le cas où le français est la langue maternelle et l’anglais moins bon, les possibilités sont moindres par rapport à des anglophones de naissance qui ont quelques bases en français.