par Dimitri Boisdet - La langue française est l'objet de débats récurrents sur sa santé et son avenir. D'un côté, le post colonialisme, la perte d'influence géopolitique de la France et la mondialisation sont quelques-unes des raisons ayant mis la diffusion et la pratique du français dans une situation nouvelle. L'arrivée d'Internet et la domination de l'anglais en son sein ont aiguisé davantage encore le constat. D'un autre côté, la langue telle qu'elle est aujourd'hui pratiquée par nos contemporains (politiques, journalistes, footballeurs, lycéens, internautes, etc.) soulève de nombreuses interrogations. Des voix s'élèvent ainsi régulièrement pour défendre notre langue — tant dans sa qualité propre que pour sa place dans le monde — et pour vouloir la sauver de dangers pourtant pas forcément bien identifiés.
La tendance est généralement dans le « ce n’est pas nous, c'est la faute à ». Nous pouvons certes blâmer d'incertains coupables et trouver des boucs-émissaires, mais comme pour tout problème, le chemin des recherches de solutions ainsi suivi n’est rarement très honnête ni convaincant. Il s'agit, en tant que francophones, de véritablement identifier les natures et origines des écueils, et de se pencher sur les éléments constitutifs de ceux-ci pour y remédier correctement chaque fois que nous pouvons nous-mêmes le faire.
L'anglais coupable de tous les maux ?
Par réflexe primaire, reportant la cause de nos propres déboires sur d'autres, certains défenseurs du français ont un coupable tout désigné quant à sa perte de diffusion et d'influence : l'anglais. S'il est évident que l'anglais est aujourd'hui la langue internationale par excellence, c'est d'abord un paramètre à prendre en compte pour ce qu'il est, une variable parmi d'autres. Le français était roi dans les siècles précédents, ça n'est simplement plus le cas, point. Prétendre combattre l'anglais pour redonner sa place d'antan à notre langue est illusoire et prétentieux. Occupons-nous de notre langue d'abord, sans non plus se comporter en vierges effarouchées face aux mots anglais colonisant notre quotidien (nous allons-y revenir) . Toutes les langues ont leurs problèmes, même l'anglais.
Au Royaume-Uni et aux États-Unis existe une préoccupation grandissante quant à la place de l'anglais dans ces deux sociétés. En 1980, 23 millions d'Américains déclaraient parler une autre langue que l'anglais à la maison (espagnol, mandarin, etc.). En 2007, ce chiffre atteignait 55,4 millions, soit une augmentation de 140 % face à un accroissement simultané de la population de 34 %. Le Royaume-Uni découvre pour sa langue les limites de sa politique de tolérance envers les communautarismes. Les amoureux de la langue anglaise ont d'autre part un vrai ennemi, le globish : contraction de global et english, il désigne une version simplifiée de l'anglais n'utilisant que les mots et les expressions les plus courants de cette langue. Aux francophones de se préoccuper de telles dérives dans leur propre langue plutôt que de s'apitoyer sur la montée en puissance des langues de Shakespeare ou de Cervantes.
L'inefficacité politique
Une maladie bien française est la création de commissions, d'observatoires, d'agences ou de Grenelles en tout genre. La langue n'y a pas échappé. En 1989, Michel Rocard, Premier Ministre, crée le « Conseil supérieur de la langue française ». En 1996, ce fut le tour de la « Commission générale de terminologie ». Placée elle aussi auprès du Premier Ministre, elle se définit comme « la clef de voûte du dispositif d'enrichissement de la langue française ». C'est elle qui promeut et approuve la féminisation de termes, elle qui valide et normalise les néologismes. Le français n'a pourtant pas attendu cette date, ni les politiciens, pour s'enrichir. Alors pourquoi ? Pour le défendre contre les « attaques » extérieures ? Celles de l'anglais, encore, alors que ses premières intrusions remontent à 1700 selon l'Académie Française et qu'aujourd'hui les emprunts à cette langue ne représentent jamais que 5 % de notre vocabulaire* ? L'exemple symbolique de l'obligation faite à l'administration — et de la recommandation faite à vous et moi — d'utiliser le terme « mél» (pour mail) est plutôt risible comme résultat si on veut parler d'enrichissement ! C'est encore plus navrant quand on observe les contradictions d'un ministère des Affaires Etrangères qui en parallèle réduit drastiquement le budget des Alliances Françaises et les subventions aux Lycées Français présents aux quatre coins du monde. Prétendre défendre et diffuser une langue et une culture tout en réduisant les moyens pour y arriver mériterait explication.
D'autres — intellectuels, linguistes, écrivains — prônent une simplification du français. Communément considérée comme une des langues les plus difficiles au monde, simplifions là pour en rendre l'accès et l'apprentissage plus aisés, à commencer par l'orthographe. Le Conseil créé par Rocard relevait principalement de cette mission. Ce fut chose faite, en collaboration avec d'autres pays francophones, en 1990. Un rapport publié au Journal officiel énumérait des recommandations, mais pas des obligations. En comparaison, la réforme allemande de 1996 a-t-elle été rendue obligatoire en 2005 ? Dans les deux cas, cela n'a pourtant pas manqué de soulever de vives polémiques et de révéler des incohérences et des ambiguïtés nouvelles quand le but était justement de les éliminer.
Main de fer, gant de velours
L'orthographe et la grammaire constituent les piliers d'une langue. S'y attaquer signifie prendre le risque de la faire vaciller. Aussi difficiles que soient l'orthographe et la grammaire françaises, laissons-les tranquilles et maintenons un cadre solide ; éliminons les quelques incongruités les plus flagrantes peut-être, mais gardons l'essentiel. Agissons plutôt quand il le faut, comme face à des évolutions grossières parmi lesquelles cette tendance nouvelle à ne plus accorder le verbe avec son sujet, pourtant b-a ba de la grammaire (cliquez sur le lien, ça vaut le détour !).
Continuons aussi de nous offusquer devant le tragique spectacle offert par une trop grande majorité d'internautes : comment ne pas être effondré devant la syntaxe et l'orthographe terriblement malmenées dans nombre de commentaires à des articles du Monde ou de L'Équipe, ou dans des statuts postés sur Facebook ? De même, comment accepter que l'orthographe née de la limitation à 160 caractères des textos (ou des 140 sur Twitter) se retrouve dans une dissertation ou dans une lettre de motivation ? Le danger pour le français est d'abord là, en interne, pas en provenance de l'extérieur et d'autres langues. Arrêtons de crier au loup, surtout quand il est dans notre propre bergerie. Que les politiciens, les journalistes et les animateurs radio ou télé commencent par faire un effort pour s'exprimer correctement. Que l'Éducation Nationale se penche donc sur ses méthodes d'enseignement et ses lacunes pour éviter que les nouvelles générations, et leurs idoles de la chanson ou du foot, ne massacrent cette langue dont la beauté est reconnue partout.
Fixons des règles, un cadre — comme en tout domaine de la société —, mais laissons ensuite faire. Les apports nouveaux à notre langue ont de tout temps contribué à son dynamisme. Les langues parlées dans les anciennes colonies et ailleurs, les dialectes et autres patois, l'argot, les expressions sorties des banlieues, en sont les meilleurs exemples. Cela constitue une source considérable d'enrichissement pour le français. Pourquoi vouloir aujourd'hui y mettre un frein ? Il est de toute façon impossible et illusoire de prétendre à l'immobilisme d'une langue face aux mouvements continus de tout ce qui l'entoure. Accompagnons donc le mouvement pour lui éviter les dérives. Ce faisant, insistons également sur la nécessité de maitriser plusieurs langues ; beaucoup de critiques et de replis défensifs dérivent de la frustration de ne pouvoir s'exprimer que dans sa langue maternelle !
Préserver sa propre langue (et la ou les cultures qui lui sont associées) ne passe pas par vouloir en combattre d'autres, surtout quand la diffusion des langues est étroitement liée à des réalités démographiques et migratoires, ou technologiques comme avec Internet. Défendre sa propre langue passe par agir au cœur de celle-ci et lui permettre de vivre et évoluer librement dans un cadre clair, mais suffisamment large pour en assurer la vivacité et la pérennité.
N’a-t-on jamais eu l'idée de vouloir préserver notre gastronomie, notre musique ou notre littérature d'évolutions internes ou d'influences étrangères ? Non. Il y en aura certes toujours pour regretter que le couscous soit le plat le plus consommé en France, devant la blanquette de veau, et d'autres pour vouloir prétentieusement et stupidement inscrire cette même blanquette ou le cassoulet au Patrimoine Mondial de l'Humanité. Mais nos grands chefs, écrivains ou artistes ne seraient rien s'ils devaient se limiter à faire un steak-frites, à écrire comme au XIXe ou à jouer du biniou...
* En 1973, Thomas Finkenstaedt et Dieter Wolff, en se basant sur les 80 000 mots du Shorter Oxford Dictionary, ont établi que 28,3 % de ces mots provenaient de la langue d'oïl, le normand principalement, mais aussi du picard et enfin de l'ancien français (puis du français moderne). Cette proportion arrive en tête, à égalité avec le latin. La linguiste française Henriette Walter va même plus loin en affirmant de son côté que plus des deux tiers des mots anglais sont d'origine française. Quoi qu'il en soit, les anglophones n'ont pourtant pas l'air de nous en vouloir... (Source : Wikipédia )
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