La grande grève de 2012 est-elle chose du passé ? Tout dépend de la manière dont on comprend cette question. Oui, si on considère la grève en elle-même. On peut documenter ses premiers instants, établir sa chronologie. La grève semble également appartenir à l’histoire tant la différence entre l’espoir d’hier et les déceptions d’aujourd’hui nous consterne. En associant la grève à son seul registre épique, nous la confinons toutefois à une mémoire mythifiée. Inversement, les adversaires de la grève s’en souviendront, au mieux comme d’un mauvais rêve, mais un incident clos, au pire, comme l’illustration parfaite d’un grand délire collectif avec son lot de rage et d’aberrations. Voilà deux visions des choses très polarisées et caricaturales qu’il faut rejeter si nous voulons y voir plus clair.
Reste alors une autre interprétation de la grève. Celle-ci a bien entendu un début et une fin, mais elle est surtout un jalon dans l’histoire des résistances sociales du Québec. Il s’agit d’une telle évidence que nous ne prenons pas toujours le temps de bien voir ce que cela signifie. Le printemps 2012 représente une période cruciale, mais une simple étape dans la longue durée des batailles pour la réalisation des droits au sein de notre société. Les adversaires de la grève n’ont cessé de la décrire comme une éruption spontanée, dans le but de la discréditer en ne la rattachant qu’à des intérêts immédiats. Or, la grève fut soigneusement préparée, par des centaines de rencontres et de réunions, un travail militant assidu, par des tournées d’information et par un constant souci pour l’action politique. Pourquoi ? Parce que si la grève portait sur la hausse des droits de scolarité, elle était motivée par des principes fondamentaux qu’il fallait clarifier et débattre pour en voir la dimension future.
Une représentation plus large des institutions
La question de l’accessibilité aux études demandait elle-même, pour bien en saisir les enjeux, de l’inscrire dans une représentation plus large des institutions et d’une société capable de solidarité. Le gouvernement de Jean Charest ne s’y est pas trompé. En s’opposant au mouvement étudiant, en affirmant par tous les moyens — les siens, et ceux des élites économiques et médiatiques — la volonté d’en finir avec la contestation, le gouvernement d’alors ne faisait qu’exprimer par la force une stratégie toujours à l’oeuvre aujourd’hui, avec des moyens plus insidieux mais qui ne dupent personne, de démantèlement de l’État social et de privatisation des services publics.
Les combats de la grève se poursuivent bien après celle-ci parce que son contexte demeure en grande partie inchangé. Pensons au droit de manifester, contre lequel on a déployé la répression policière et la judiciarisation des formes de contestations. On se rappellera toutes les polémiques sur l’obligation de fournir un itinéraire et l’interdiction du port du masque. On se rappellera les arrestations de masse, les souricières, le profilage politique et l’utilisation des balles de plastique. Rien de tout cela n’appartient au passé, et cela, malgré les nombreux retraits des accusations, des acquittements et des arrêts des procédures. Dans ses efforts, la grève défendait un droit essentiel, celui de surveiller le pouvoir et d’en critiquer les décisions.
Pensons à la brutalité médiatique, toujours aussi dévastatrice, dans son exacerbation des tensions par simple volonté de spectacle. Les mêmes qui attaquaient les étudiants continuent de vilipender tout ce qu’ils jugent subversif ou contraire à leur opinion. Le vocabulaire employé et le ton agressif varient à peine, seules les cibles sont remplacées.
>Lire la suite de l'article sur Le Devoir
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé