Il y a un an, j’espérais de tout cœur que nous serions en mesure de surmonter les élections de manière à ne pas y voir le début et la fin de notre rapport à la politique. Où en sommes-nous aujourd’hui, un an après l’élection du Parti québécois ?
De victoires en défaites
Les élections du 4 septembre 2012 ont mis un frein temporaire aux politiques sauvages du gouvernement libéral de Jean Charest. Nous avions affaire à un gouvernement autoritaire, antidémocratique et méprisant. La victoire du PQ, en revanche, n’a pas empêché une indexation des frais de scolarité. Les fameux Sommets sur l’enseignement supérieur n’ont pas donné lieu aux débats espérés et pour le moment, n’augurent rien de rassurant pour la suite des choses. La brutalité policière, qui a servi d’arme politique au précédent gouvernement, ne fera jamais l’objet d’une véritable enquête publique digne de ce nom. Le milieu écologiste n’en revient toujours pas du repli du gouvernement Marois qui, dans ses premiers jours, semblait vouloir mettre au rancart la privatisation des ressources naturelles et se soumet maintenant au diktat de l’industrie. La réforme de l’aide sociale de la ministre Agnès Maltais a achevé de démontrer à quel point le PQ ne souhaite même plus prétendre au statut de parti social-démocrate. Enfin, l’automne s’annonce douloureux avec le projet d’une soi-disant Charte des valeurs québécoises.
Ce tableau, déjà bien sombre, le devient plus encore si nous oublions un instant la démocratie représentative pour nous concentrer sur la mobilisation citoyenne. Au cours de 2012, pendant plusieurs mois, une partie importante de la population s’est appropriée la politique comme jamais auparavant. Plusieurs ont fait l’erreur de réduire cette mobilisation aux manifestations dans les rues de Montréal. L’heure n’était pas à la seule contestation, mais aussi à la prise en considération des responsabilités politiques qui sont les nôtres. Or, cela suppose à la fois de surveiller étroitement nos représentants et de faire nôtres les moyens d’actions propres aux mécanismes de contre-pouvoir. Loin de moi l’idée de nier l’importance de la représentation politique, qui constitue un élément essentiel de nos démocraties contemporaines. La vitalité d’une communauté politique exige cependant beaucoup plus.
Garantir nos libertés
Nul ne songe à demander aux citoyens et citoyennes d’oublier leurs projets de vie pour devenir des acteurs à temps plein de l’espace public. En revanche, une société décente présuppose une relation dynamique entre ses membres, où chaque personne se trouve mise à contribution de manière à garantir les libertés de toutes et de tous. Or, pas de liberté effective lorsque l’impassibilité laisse libre cours à des rapports de force dont nous pouvons déjà prédire les vainqueurs.
Si, comme je le crois, le PQ utilise son projet de Charte des valeurs à des fins électorales ou, ce qui revient au même, dans l’espoir d’attirer notre attention de manière telle à ce que nous ne préoccupions plus de justice sociale, d’équité entre les hommes et les femmes, d’environnement, de réformes démocratiques ou de lutte à la corruption, il n’est pas seul à blâmer. Il ne pourrait agir ainsi sans notre mollesse et notre goût pour les fausses polémiques. Nous ne pouvons excuser l’apathie collective qui nous domine depuis un an, encore moins notre appétit pour les querelles vaines. Force est de l’admettre, depuis les dernières élections, nous avons préféré redevenir des benêts ahuris devant le spectacle de la corruption. Le cynisme accumulé nous a offert le prétexte parfait pour nous décharger de nos responsabilités. Aujourd’hui, nous prenons plaisir aux pitreries des jongleurs politiques. Pourtant, nous n’avons pas le droit de critiquer le PQ, ou n’importe quel gouvernement, si nous nous replions dans les sphères confortables de l’indifférence et du divertissement.
Bâtir ce que nous voulons devenir
Puisque le PQ veut creuser lui-même sa propre tombe, grandes sont les chances d’un retour au pouvoir du Parti libéral aux prochaines élections, avec ce que cela annonce comme années noires pour les plus démunis, à la plus grande joie de quelques rares privilégiés. Malgré tout, nous ne pouvons pas baisser les bras. Notre premier rôle consiste à investir l’ensemble des institutions parlementaires et des organisations — instances syndicales, organisations de défense des droits civiques, comités citoyens, etc. — où nous devons nous faire entendre.
Si j’ai raison, cela signifie-t-il d’abandonner nos valeurs ? Certes, comme certains se plaisent à le penser, il n’y a pas de communauté sans un minimum de valeurs communes. Rien ne nous autorise toutefois à voir ces dernières comme un héritage historique qui soumettrait toutes nos obligations réciproques à une norme identitaire. S’il y a valeurs communes, cela doit d’abord se vérifier dans le souci que nous accordons à toute personne et non seulement à ceux et celles qui correspondent au visage d’une chimérique identité, laquelle le plus souvent n’a rien à voir ni avec notre histoire, ni avec notre culture. S’il y a valeurs communes, cela doit se vérifier dans le combat contre les discriminations à l’égard des femmes. S’il y a valeurs communes, cela doit se traduire dans des efforts réels contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Est-ce là une vision déracinée, désincarnée de notre société ? Je suis convaincu du contraire. Notre rapport à la langue française fut aussi le fait d’une lutte sociale contre l’oppression des plus forts contre les plus faibles. Notre système d’éducation a été pensé pour briser les privilèges indus d’une minorité au détriment de la majorité. Tout cela, nous le devons à ceux et celles pour qui le mot de solidarité possédait un sens et qui ont cru et continuent de croire à une société fondée sur des principes de liberté et d’égalité.
Il nous faut de toute urgence œuvrer à une conception beaucoup plus substantielle de la participation politique, afin d’atténuer la démarcation entre gouvernants et gouvernés — car, ne nous leurrons pas, plus grande sera la marge de manœuvre laissée aux décideurs publics, moins nous pourrons les blâmer pour leurs erreurs ou pour des distractions politiques comme ce nébuleux projet de Charte des valeurs. Il s’agit ni plus ni moins de redonner sa légitimité à notre démocratie, laquelle en a un urgent besoin.
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