Hausse du tarif des garderies, exploration pétrolière, réforme du financement de la santé, mise en garde aux syndiqués de la fonction publique : Pauline Marois lance la bataille électorale en brisant les tabous. La première ministre imprime sa marque sur le « parti qui mange ses chefs ». Retour sur la genèse du programme Marois.
Lorsqu’elle prend la direction du Parti québécois (PQ), en juin 2007, Pauline Marois est encore ébranlée par la vague adéquiste qui a déferlé sur le Québec trois mois plus tôt : le parti de Mario Dumont a formé l’opposition officielle et relégué le PQ d’André Boisclair au troisième rang, grâce à la « recette magique » du jeune chef de l’Action démocratique du Québec (ADQ).
Cette recette magique, la chef péquiste était déterminée à s’en emparer pour en faire « son » programme, à prendre ou à laisser : parler au « vrai monde » de la classe moyenne. Parler d’enjeux qui préoccupent les gens, plutôt que de donner l’impression de pelleter des nuages. Protéger la langue française et l’identité québécoise. Mettre de côté les interminables débats sur la mécanique référendaire, pour plutôt parler du « pays » à bâtir. Et moderniser la social-démocratie, quitte à ébranler les tabous qui paralysaient le mouvement souverainiste depuis les années 60.
« Depuis 40 ans, le Québec a changé. Et si le Québec et les Québécois ont évolué, le Parti québécois doit lui aussi évoluer », avait-elle écrit au Devoir dans un texte qui résumait sa pensée à la veille de son couronnement à la tête du parti, il y a près de sept ans.
« Je crois que nous n’avons pas été suffisamment à l’écoute de la population, avait déclaré Pauline Marois aux journalistes. Nous nous sommes enfermés dans un discours en vase clos. J’invite les militants à aller écouter les gens, et je crois que nous serons capables de reconquérir leurs coeurs. […] Je le dis aux membres, je le répète : il faut revenir aux réalités identitaires, en même temps que nous sommes porteurs d’un projet social. »
Briser les tabous
Ce « projet social » à la sauce Marois a pris forme au fil des ans, et surtout depuis la prise du pouvoir par le PQ en septembre 2012. Contre vents et marées, Pauline Marois est en train d’imprimer sa marque au Parti québécois, réputé pour faire la vie dure à tous ses chefs depuis quatre décennies. La première ministre est en voie d’atteindre le cap symbolique de sept années passées à la tête du parti, comme Jacques Parizeau — seul René Lévesque est resté plus longtemps, de 1968 à 1985.
Pauline Marois a pourtant fait prendre un virage important au « parti qui mange ses chefs ». Le budget du ministre Nicolas Marceau, dévoilé jeudi, comporte une bonne part d’ingrédients de la recette Marois, faite de « pragmatisme » et largement inspirée des programmes de ses adversaires.
Avant même de partir en campagne électorale, le gouvernement Marois brise ainsi un tabou vieux d’une décennie et propose d’augmenter le tarif des garderies à 7 $. Pas mal plus audacieux que les libéraux de Jean Charest, qui avaient promis de ne pas toucher aux garderies à 5 $, durant la campagne électorale de 2003. Leur première décision, une fois au pouvoir, avait été d’augmenter le tarif à 7 $ par jour !
Le budget Marceau ouvre aussi la porte à une petite révolution dans le financement de la santé : plus les hôpitaux traiteront de patients et meilleurs seront les soins, plus ils recevront d’argent. Il n’y a pas si longtemps, ce concept de « l’argent suit le patient », lancé par les libéraux de Jean Charest, aurait été considéré comme une hérésie dans les rangs péquistes.
Plus étonnant encore, le budget Marceau a lancé un avertissement aux syndicats, qui devront se serrer la ceinture au moment de renouveler les contrats de travail des 430 000 employés de l’État, en mars 2015. Le projet de loi sur les retraites des employés municipaux, déposé jeudi par la ministre Agnès Maltais, a aussi heurté de plein fouet les grands syndicats. « Catastrophique », a réagi le président du Syndicat canadien de la fonction publique, Marc Ranger, en apprenant les concessions exigées des syndiqués par le gouvernement Marois.
Le PQ qui se lance en campagne électorale en bousculant ses « alliés traditionnels » des syndicats : du jamais vu. En privé, les leaders des grandes centrales considèrent la soi-disant menace du budget Marceau comme de la simple rhétorique électorale. Ils prennent quand même note du ton « agressif » du ministre des Finances.
La classe moyenne d’abord
« Nos membres auront-ils le goût de voter pour le PQ avec cet avant-goût des négociations à venir en mars 2015 ? », se demande un membre influent du mouvement syndical.
Pauline Marois est convaincue que oui. Comme Mario Dumont en 2007 — et François Legault en 2012 —, la première ministre et ses proches planifient minutieusement leur programme pour répondre aux aspirations de la classe moyenne francophone, notamment dans les banlieues nord et sud de Montréal, là où se font et défont les gouvernements. L’obsession de Mme Marois est de ramener dans le giron péquiste les électeurs séduits par la Coalition avenir Québec (CAQ) de François Legault au dernier scrutin (et par l’ADQ en 2007).
Les péquistes font le pari que les électeurs de la classe moyenne, sans être contre les syndicats, jettent un oeil critique sur les conditions de travail des employés de l’État. Un des premiers gestes de Pauline Marois à son arrivée à la tête du PQ a été de liquider le SPQ Libre, ce club syndical qui incarnait l’orthodoxie péquiste — tout le contraire de la « modernisation » souhaitée par la chef.
L’héritage de Dumont et de Legault
Depuis, le parti de Pauline Marois n’hésite pas à piger dans le programme de la CAQ et de son ancêtre l’ADQ, par exemple en servant un ultimatum aux commissions scolaires, sommées de « couper dans le gras » pour générer des économies de 125 millions par année. Le programme identitaire du PQ, établi autour de la charte de la laïcité, s’inspire en bonne partie de la campagne électorale « magique » de Mario Dumont contre les accommodements raisonnables, en 2007 — et de son héritier François Legault.
Ce n’est pas pour rien que le chef de la CAQ enrage en voyant le programme de Pauline Marois : il était lui-même un joueur vedette de l’équipe péquiste lorsque plusieurs mesures ont été discutées. L’offensive du budget Marceau pour retenir les sièges sociaux au Québec a pris naissance sous François Legault : porte-parole péquiste en matière de finances, il se faisait le champion du « nationalisme économique » et prônait un rôle actif de tous les leviers de l’État, y compris la Caisse de dépôt et placement, pour retenir les sièges sociaux au Québec.
Le virage péquiste vers l’exploration du pétrole à l’île d’Anticosti, confirmé la semaine dernière, a aussi commencé à l’été 2008, un an avant que M. Legault claque la porte du PQ. Encore une fois, en donnant le feu vert à l’exploration pétrolière, Pauline Marois fait un pari audacieux, qui prend au dépourvu l’aile gauche du PQ — le pauvre Daniel Breton, normalement très critique envers l’industrie pétrolière, joue à cache-cache avec les journalistes pour éviter d’embarrasser la chef.
Pauline Marois reste tout de même convaincue d’avoir l’appui de la fameuse majorité silencieuse, surtout qu’en étant partenaire des sociétés pétrolières, l’État québécois encaisserait une bonne partie des bénéfices liés à l’or noir.
La « création de la richesse », notamment par l’exploitation « responsable » du pétrole québécois, s’il y en a assez dans le sous-sol québécois, est un des tabous que souhaitait briser la nouvelle chef du PQ, en 2007. Pour partager la richesse, en bons sociaux-démocrates, il faut d’abord la créer.
Le seul épisode qui détonne, dans le plan Marois, est celui des casseroles. Avec le recul, il paraît probable que Pauline Marois ait brièvement porté le carré rouge et pris part à une manifestation de casseroles, durant le printemps étudiant de 2012, dans le seul but de marquer des points contre Jean Charest. Aux dernières nouvelles, la première ministre n’avait pas l’intention de ressortir son carré rouge dans son autobus de campagne électorale.
PARTI QUÉBÉCOIS
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