Les récentes élections régionales en Allemagne auraient démontré une «chute de confiance vis-à-vis des partis classiques». Pour le spécialiste des questions européennes Pierre Lévy, il s'agit d'une tendance générale dans les pays européens.
La gifle qu’a reçue Angela Merkel dans son fief électoral fut si forte qu’elle s’est entendue jusqu’à Paris. Lors de l’élection régionale qui s’est déroulée le 4 septembre dans le Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale (Nord-est de l’Allemagne), son parti, la CDU (chrétiens-démocrates), n’a obtenu que 19% des suffrages, soit une chute de 4 points par rapport au scrutin analogue de septembre 2011.
Situation à peine imaginable il y a peu, la CDU régresse ainsi à la troisième place, dépassée par l’Alternative für Deutschland (AfD), une formation qualifiée de «droite populiste», voire d’«extrême-droite», par de nombreux commentateurs. L’AfD, fondée sur le plan national il y a seulement trois ans, affiche le score spectaculaire de 20,8% des voix.
A un an tout juste des élections nationales, ce scrutin faisait figure de test. D’autant qu’un scénario comparable pourrait bien se produire lors du prochain renouvellement du Sénat du Land de Berlin, le 18 septembre. Tout indique que l’AfD devrait également y réussir une belle performance, comme ce fut déjà le cas, en mars dernier, dans en Rhénanie-Palatinat, au Bade-Wurtemberg, et, plus encore, en Saxe-Anhalt.
Les analystes politiques s’interrogent désormais sur l’avenir politique de la chancelière, mais est-ce la question la plus importante ?
De l’aveu même de Mme Merkel, c’est en particulier la politique dite de «bienvenue» vis-à-vis des réfugiés, lancée il y a un an, qui a été sanctionnée. Cette politique, sous l’instante demande des organisations patronales, avait ouvert les vannes d’un flux migratoire qui a largement dépassé les prévisions : plus d’un million d’arrivants se sont ainsi retrouvés en République fédérale, avec les immenses problèmes logistiques immédiats, et les inquiétantes perspectives à moyen terme quant à aux possibilités d’intégration. Mais cela n’a pas fait que des malheureux : les «milieux économiques» se sont réjouis que soit étendue une mesure dont «bénéficient» déjà les chômeurs de longue durée, des petits jobs au rabais payés 1 euro de l’heure…
Face au désaveu qui venait de lui être infligé par ses électeurs, la chancelière a répété que la décision prise il y a un an était «la bonne». Il faut simplement, a-t-elle précisé, «réfléchir à ce que l’on peut faire pour regagner la confiance» des électeurs. En substance : j’ai fait les bons choix, les citoyens n’ont pas bien compris, il nous faut faire plus de «pédagogie».
Une réaction très classique chez la plupart des dirigeants européens, familiers de cette conception inversée de la démocratie : le peuple – théoriquement souverain – doit se contenter de «comprendre» les décisions des élites dirigeantes. Cette longue tradition intellectuelle selon laquelle les citoyens doivent être dirigés et éclairés par ceux qui «savent» est du reste le fondement philosophique implicite de l’Union européenne.
Quoiqu’il en soit, les analystes politiques s’interrogent désormais sur l’avenir politique de la chancelière, qui n’a pour l’heure pas de rival crédible. Mais est-ce la question la plus importante ? Si la défaite de cette dernière et la percée de l’AfD figurent évidemment parmi les traits saillants des résultats, la principale caractéristique de ce scrutin pourrait bien être ailleurs, et confirmer une tendance lourde : toutes les forces politiques traditionnelles essuient des pertes très significatives.
Dans les semaines et mois qui viennent, des phénomènes comparables pourraient bien s’accentuer en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas et en France
Ainsi, si le Parti social-démocrate (SPD) reste en tête avec 30,6% des suffrages (et devrait continuer à diriger le Land à la tête d’une coalition avec la CDU), il chute de 5 points par rapport à 2011. Et la dégringolade la plus importante est celle de Die Linke (La Gauche), formation historiquement issue du Parti du socialisme démocratique (PDS) qui a longtemps eu ses bastions à l’Est, dans les Länder issus de l’ex-République démocratique allemande. Die Linke dégringole de 18,4% en 2011 à 13,2% aujourd’hui – un plus bas historique.
Quant aux Verts, qui obtenaient 8,7% en 2011, ils tombent à 4,8%, soit en dessous des 5% nécessaires pour être représentés au parlement régional. Enfin, quoiqu’en progression de 10 points par rapport à 2011, la participation électorale s’établit à 61,6%, un niveau qui reste modeste : près de quatre électeurs sur dix ont boudé les urnes.
Ce qui frappe est donc la chute de confiance vis-à-vis de tous les partis classiques, c’est-à-dire les partis qui ne remettent pas – ou plus – en cause le cadre du système établi. Et qui ont en particulier comme point commun d’approuver le principe de l’intégration européenne (même si certains en critiquent les modalités).
A l’échelle du pays tout entier, cette baisse est en réalité perceptible pour les deux plus grands partis depuis 2002 (sauf une légère inflexion en 2013), mais elle tend désormais à s’accélérer, et à se généraliser aux formations parlementaires plus petites. La langue modelée par l’ultralibéralisme évoque à ce propos «le déficit de l’offre politique». Il serait plus pertinent de nommer cela une crise de la représentation. Crise qu’on retrouve peu ou prou et sous diverses formes dans nombre de pays de l’UE, tant la remise en cause de cette dernière fait figure de tabou au sein de la caste dirigeante.
Dans les semaines et mois qui viennent, des phénomènes comparables pourraient bien s’accentuer en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas et en France. On y reviendra sous peu.
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