Lorsqu'un chef, premier ministre de surcroît, démissionne de ses fonctions, il importe, pour la suite des choses, de bien en comprendre les raisons. Bien des commentateurs, et quelques ministres quelque peu trop émotifs, ont accusé ceux qu'ils nomment les «purs et durs» du Parti québécois d'avoir provoqué le départ de Lucien Bouchard, leur «meilleur vendeur». Mais qu'en est-il dans les faits?
Avec une humilité qui l'honore, Lucien Bouchard reconnaît pourtant lui-même qu'il quitte la présidence du Parti québécois principalement parce qu'il aurait échoué à «raviver la flamme» souverainiste. Bref, il n'aurait pas su livrer la marchandise. Mais, au fait, de quelle marchandise parle-t-on? Dans son discours de démission, M. Bouchard s'est fait on ne peut plus explicite: «En plus de ses obligations de premier ministre, un chef de parti est également lié par les engagements politiques qu'il partage avec sa formation et, dans le cas du Parti québécois, le premier d'entre eux est de réaliser la souveraineté du Québec.»
Il m'apparaît essentiel pour les souverainistes, péquistes ou non, de méditer sur deux aspects de cette phrase loin d'être anodine. Primo, c'est en tant que premier ministre que M. Bouchard est lié à l'article 1 du programme du Parti québécois, et non seulement en tant que chef de parti. Une fois élu à la tête d'un gouvernement majoritaire, il doit défendre cet engagement qui, après tout, est au coeur de son programme. Cela rend l'investissement de fonds publics à cette fin parfaitement légitime. Secundo, M. Bouchard, comme ses prédécesseurs, s'est senti investi de l'obligation, pour reprendre ses mots, de «réaliser» la souveraineté. Bien au-delà de l'influence présumée des «purs et durs» - lesquels sont aujourd'hui aussi peu nombreux au PQ que les roses en hiver - c'est cette obligation de résultat qui aura eu raison de Lucien Bouchard, du moins, semble-t-il, dans sa propre perception des choses.
N'ayant pu tenir un référendum «gagnant», et estimant, à tort ou à raison, qu'il ne pourrait le faire avant la fin de ce second mandat, il tire sa révérence. Il en a clairement assez de subir les pressions de son parti dans ce sens. Il semble avoir conclu, à l'instar de certains qui cherchent désespérément des sorties de secours, que tout fut tenté, le problème étant que les Québécois ne voudraient plus entendre parler de la question nationale. Du moins, pour le moment.
Mais qui donc a décrété que tout chef du Parti québécois a l'obligation de réaliser la souveraineté, nonobstant le contexte du moment, à défaut de quoi il viendrait inévitablement à se voir lui-même comme jetable après usage? Le rôle du chef du Parti québécois, à plus forte raison lorsqu'il est premier ministre, n'est-il pas plutôt de travailler activement au renforcement continuel de l'option souverainiste et ce, en usant de tous les outils et de toutes les ressources qui sont à sa disposition? Si référendum «gagnant» il doit y avoir un jour, sa responsabilité n'est-elle pas, avant toute chose, de garder ses troupes unies, mobilisées, ouvertes aux débats et idées neuves, que le contexte du moment permette ou non la tenue d'un référendum dans un avenir rapproché? Sans exclure la nécessaire gouvernance, son rôle n'est-il pas de faire de la souveraineté l'ultime priorité de sa pensée et de ses actions?
Si l'on répond oui à ces questions, on comprend mieux que c'est cette marchandise-là que M. Bouchard n'a malheureusement pas su livrer. Ce n'est pas tant la réalisation en soi de la souveraineté qu'il n'a pas réussi que son nécessaire préalable, soit une préparation constante et active dans le respect et l'écoute de nombreuses composantes du Parti québécois et du mouvement souverainiste en général.
Se tourner vers l'avenir
Robert Bourassa disait qu'en politique, six mois représentent une éternité. En quittant maintenant, M. Bouchard offre à son parti deux années pour se renouveler, soit l'équivalent de quatre éternités! C'est une extraordinaire «fenêtre d'opportunité», comme disent les Chinois, dans la mesure où le Parti québécois en fait bon usage. Tirant les leçons des cinq dernières années, le Parti québécois doit, au cours des prochains mois, se donner un chef qui, tout en maintenant clairement le cap sur l'objectif de la souveraineté, saura se faire rassembleur en rapatriant la «diaspora» péquiste, c'est-à-dire ceux et celles qui se sont sentis marginalisés à l'intérieur de leur propre parti ou qui attendent, pour renouveler leur carte de membre, que la souveraineté revienne à l'ordre du jour. En d'autres termes, il devra trouver le moyen de mettre fin à cette dichotomie en grande partie artificielle entre supposés purs et durs et présumés mous et confus.
On le dit depuis sa fondation, le Parti québécois est différent des autres. C'est une coalition dans laquelle divers points de vue doivent pouvoir coexister et surtout, s'exprimer, sans quoi, il s'affaiblit de l'intérieur, perdant jusqu'à sa motivation première. Sans pour autant dicter l'agenda gouvernemental, les militants doivent se sentir respectés par leurs dirigeants - ce qui fut trop rarement le cas depuis cinq ans. Ils doivent pouvoir mener les débats qu'ils jugent pertinents à l'intérieur même de leur propre parti. Le spectacle désolant des nombreux conseils nationaux des dernières années, où tout débat de fond était évacué dès qu'il risquait d'en résulter des résolutions allant à l'encontre des positions gouvernementales, doit cesser. Les valeurs de respect et de tolérance envers tous les Québécois que prône, avec raison, M. Bouchard, doivent aussi se vivre, de manière concrète, à l'intérieur même des instances du PQ. Le prochain chef serait sage d'en prendre acte.
Pour le Parti québécois et les souverainistes en général, les défis et les opportunités sont en effet nombreux. Pour faciliter ce retour de l'unité des troupes dans le respect de leur diversité, le prochain président du parti, qu'il soit de la nouvelle ou de l'ancienne garde, doit ouvrir grande la porte à une relève dont ce parti ne peut plus faire l'économie. Il faut du sang neuf, presto! Quant à l'affaire Michaud, elle nous rappelle l'urgence de reprendre le dialogue avec les communautés culturelles.
Tout cela, et bien d'autres choses encore, font partie de ce que Gilles Duceppe appelle la nécessaire «actualisation» du projet souverainiste - une actualisation qui ne doit pas édulcorer l'option mais qui doit permettre de mieux la réaliser, de mieux l'ancrer, dans le monde d'aujour'hui et de demain. Nous devons être nombreux à y contribuer, que ce soit au PQ, au Bloc ou ailleurs. Nombre de souverainistes auraient préféré faire ce nouveau bout de chemin avec Lucien Bouchard, mais il en aura malheureusement décidé autrement.
Plus que tout, les deux prochaines années doivent servir à rappeler à ceux qui l'auraient oublié que la souveraineté du Québec n'a rien d'inéluctable. Elle demande une préparation de longue haleine. Les militants qui donnent sans compter de leur temps le savent fort bien. C'est pourquoi la pause des cinq dernières années ne peut plus durer. De plus, comme Richard Marceau, député du Bloc québécois, le mentionnait récemment sur les ondes de Newsworld, il est grand temps d'inviter toute la société civile, incluant les nombreux partenaires pour la souveraineté, à débattre de son avenir. La souveraineté n'est le monopole d'aucun parti.
Il est grand temps de sonner la fin de la «récréation» postréférendaire. Ce sera maintenant aux futurs candidates et candidats à la présidence du Parti québécois de nous dire de quelle manière ils entendent le faire.
Josée Legault
_ L'auteure est politologue et chroniqueuse politique au quotidien The Gazette.
La fin de la récréation postréférendaire
La souveraineté du Québec n'a rien d'inéluctable. Elle demande une préparation de longue haleine.
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