Élection du 8 décembre 2008

La fin d’une époque

Le départ de Mario Dumont n'est pas si étonnant que ça

Chronique de Louis Lapointe

Lors de la campagne électorale provinciale de 1973, mon père, qui avait été candidat du PQ en 1970, nous avait incités, mon frère et moi, à aller voir le grand ralliement des créditistes dans le sous-sol d’une église de Rouyn-Noranda. Camil Samson et Réal Caouette étaient sur la même scène devant une foule de créditistes où on pouvait très facilement remarquer les bérets blancs qui s'y démarquaient grâce à leur accoutrement. Il nous avait alors dit que nous ne reverrions plus jamais de semblables événements avec des foules aussi nombreuses et bigarrées, insistant sur le fait que nous assistions à la fin d’une époque.
Il avait raison, quelques années plus tard, en décembre 1976, Réal Caouette décédait des conséquences de son diabète devenu légendaire à Rouyn-Noranda. Un compagnon de classe qui était le neveu du chef créditiste, nous avait raconté que son oncle avait toujours des petits carrés de sucre dans ses poches de veston. Nous avions également appris qu’il adorait prendre un petit coup et faire de la motoneige au lac Dufault, là où il avait son chalet. Nous doutions même du fait qu’il ait pu avoir de nombreuses maîtresses, en tout cas, c’est ce que les rumeurs disaient. Sa vie privée était publique, il était humain, voilà pourquoi ses électeurs l’aimaient tant et qu'il attirait des foules aussi nombreuses. Depuis le jour de sa mort, nous n’avons plus jamais revu ce genre de rassemblement.
Comme pour bien marquer que cette époque était bel et bien révolue, son ancienne organisatrice en chef, un personnage haut en couleur, est décédée au cours de l'automne qui s'achève où nous avons pu assister à deux campagnes électorales consécutives. Mme Lord était passée maître dans l’art de lancer les rumeurs les plus saugrenues. Ainsi, nous avions appris à l’occasion des événements d’octobre 1970, que notre père, alors gérant de la Caisse populaire, avait le sang dans les mains. Une métaphore reprise par Réal Caouette dans son émission du dimanche soir à la télévision de Radio-Nord où il avait comparé les péquistes aux felquistes sanguinaires. Même si ça faisait sourire notre père, nous trouvions ça beaucoup moins drôle que lui lorsque nos camarades de classe s’amusaient à nous répéter ces inepties. Je me souviens très bien avoir été suspendu par les pieds du haut d’une fenêtre du deuxième étage de l’école par ces mêmes camarades qui m’incitaient alors à abjurer ma foi indépendantiste et à renier mon père. Ce que je n’ai jamais fait, prolongeant ainsi ce supplice qui m’avait alors semblé durer une éternité. Cette image est demeurée fortement imprimée dans ma mémoire.
Je n’ai donc pu m’empêcher de penser à cette époque lorsque j’ai vu, à l'occasion de la dernière campagne électorale, des bérets blancs au milieu d’un groupe d’adéquistes venus assister à une assemblée partisane de Mario Dumont où ce dernier parlait de la disparition des sapins de Noël dans les écoles, rivalisant ainsi de loufoquerie avec Mme Lord, cette organisatrice de Réal Caouette. Si rien dans ce rassemblement n’égalait les foules partisanes d’antan, l’esprit créditiste était toutefois le même : faire appel aux instincts les plus primaires, en quelque sorte faire peur au monde, pour obtenir leurs votes.
Remarquez bien, les créditistes ne sont pas les seuls à avoir utilisé ce stratagème, mais étaient probablement ceux qui le faisaient avec le plus de spontanéité, comme dans les meilleurs vaudevilles. Si à une certaine époque les libéraux ont retenu les idées les plus socialisantes des créditistes, comme la mise sur pied de programmes sociaux pour venir en aide aux plus démunis, ils ont également perfectionné cet art de faire peur au monde. Plusieurs parmi nous l’ont vu lors des référendums de 1980 et 1995, où les pensions de vieillesse étaient devenues d’importants enjeux politiques.
Étonnamment, jouant lui aussi les créditistes, Jean Charest a tout fait pour utiliser à son profit les ressorts de la peur, construisant toute sa dernière campagne autour du spectre de la crise économique pour obtenir une majorité. Loin d’encourager les électeurs à aller voter pour se rassurer, ce stratagème les a plutôt incités à demeurer chez eux. Jean Charest a juste réussi à écoeurer encore plus de Québécois au sujet de la politique. Comme dans cette histoire du jeune berger qui criait au loup à tout venant pour attirer l’attention de ses aînés, les Québécois n’ont pas plus cru Mario Dumont à propos des sapins de Noël que Jean Charest au sujet de la crise économique, craignant davantage les rigueurs de l’hiver qui s’annonçait que la menace imminente d’une crise que les libéraux disaient être les seuls à pouvoir affronter.
Exactement l’inverse de ce qui s’est passé dans l’esprit de nombreux indépendantistes qui n’ont plus peur depuis longtemps, étant plutôt exaspérés, et qui ont hésité à voter pour le PQ, constatant que les nombreux appels qu’ils avaient lancés depuis des années au sujet de la souveraineté n’avaient été entendus qu’à la toute dernière minute par Pauline Marois qui s’est alors autorisée à en parler en réaction au coup de force d’Ottawa survenu pendant la campagne électorale québécoise. Malheureusement, trop peu, trop tard, au goût de certains.
La peur et la souveraineté n’ont plus l’effet magique qu’ils avaient auparavant sur l’électorat. Les Québécois ne souhaitent plus être pris pour des outres que l’on remplit d'une élection à l'autre au gré de l’humeur des politiciens. S’ils veulent entendre parler de politique, c’est d’une autre façon. Ils souhaitent que l’on s’adresse davantage à leur intelligence qu’à leurs pulsions.
Jean Charest a pensé que les Québécois seraient assez dupes pour le prendre au sérieux lorsqu’il parlait d’économie sans plan concret. Une observation de même nature vaut pour Pauline Marois. S’ils rejettent le référendisme, les Québécois sont toutefois disposés à entendre parler de la souveraineté d’une autre façon, ce que cela signifie concrètement pour la démocratie, les régions, les familles. Ils veulent qu’on leur propose des plans concrets pour l’avenir. Ils veulent rêver du pays à construire, pas d’une vague idée de ce que cela pourrait être, comme ces autoroutes et ces ponts virtuels dont on parle d’une élection à l’autre depuis des décennies et qui servent davantage à gagner des élections qu’à désengorger le trafic.
Dans ce contexte, le départ de Mario Dumont n’est donc pas si étonnant que ça. Malgré tout le talent qu’on lui reconnaissait, son échec doit être vu dans une perspective beaucoup plus large que la simple incapacité de son parti à former une opposition officielle crédible. Il doit d’abord être vu comme une sanction des électeurs à l’égard d’une certaine façon de faire de la politique. Même si c’est Mario Dumont qui tombe aujourd’hui, cet avertissement vaut également pour tous les autres partis et leurs chefs. On ne peut pas promettre n’importe quoi et dire n’importe quoi aux citoyens croyant que la démocratie n’en sera pas affectée, que les électeurs ne réagiront pas.
Ce n’est pas le froid et la neige qui ont retenu 43 % des électeurs chez eux hier, c’est une certaine façon de faire de la politique qu’ils ont rejetée. Un avertissement qui vaut pour tous les partis politiques.
Louis Lapointe

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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1 commentaire

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    9 décembre 2008

    C'est sûr que Super Mario et sa bande, à élever l'amateurisme et les déclarations démagogiques au sommet de grand art, presque, ont fini par récolter ce qu'ils méritaient!
    Le beau Mario a fait du mal, notamment en divisant le vote nationaliste, en vote séparatiste, d'une part, et «autonomiste», de l'autre... bien que je pense que ce dernier terme, était une sorte de formule creuse, comme un truc publicitaire, et que cela, au fond, ne voulait à peu près rien dire... Cré Mario! Ça date pas d'hier qu'il mise avant tout sur sa belle gueule et sur le fait de viser les points sensibles des plus Grattoniens d'entre nous, pour faire carrière en politique!
    Par contre, admettons qu'il a fait prendre conscience à tout le monde, qu'il y avait une différence de culture politique, entre Montréal et le reste du Québec (notamment, la Vieille Capitale, où j'habite). Et que le fait que le PQ se soit beaucoup «Montréalisé», et ce même avant l'ère Boisclair, a fini par avoir de tristes conséquences!
    Oui, en fait, quand on regarde aller des députés comme Pierre Curzi (parmi d'autres comme lui), on aurait parfois l'impression que les péquistes montréalais ne veulent pas un pays pour tous les Québécois... mais pour les Montréalais séparatistes, seulement...
    Enifn, maintenant, le vote cessera d'être aussi divisé, et nous allons passer aux choses sérieuses! C'est-à-dire, notamment, empêcher Charest, maintenant majoritaire, de faire du Québec une société que nous ne reconnaîtrons même plus, dans quelques années, si nous le laissons faire.