PARTENARIAT TRANSPACIFIQUE

La disparition programmée de la ferme familiale

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Vers un déracinement complet






« De longues années de souffrance et de difficultés économiques et financières et de diminution du niveau de vie », a prédit le premier ministre Couillard à propos du projet indépendantiste, dans une vaine tentative pour faire oublier sa squelettique « liste d’épicerie » adressée aux chefs des partis fédéraux. Cette liste où brille par son absence le maintien de la gestion de l’offre en agriculture, une question pourtant d’une brûlante actualité.


 

Selon le Globe and Mail, l’échec temporaire des pourparlers sur l’Accord de Partenariat transpacifique n’est pas dû au refus du Canada de sacrifier les programmes de gestion de l’offre en agriculture, mais à l’apparition-surprise d’une entente entre le Japon et les États-Unis menaçant l’industrie automobile au Canada et au Mexique.


 

Pour adhérer au traité de libre-échange, le Japon exigerait qu’une voiture produite dans les pays signataires de l’Accord puisse être vendue exemptée de tarifs avec un seuil de contenu de ses composantes provenant de ces pays largement inférieur à la norme de 62,5 % requise actuellement dans le cadre de l’ALENA. Les fabricants japonais ont recours à des pièces d’auto produites à faibles coûts dans des pays, comme la Thaïlande, qui se situent hors de la future zone de libre-échange.


 

Selon le Globe and Mail, dans l’éventualité d’un accord rapide, toujours possible, les représentants des secteurs industriels et financiers, qui salivent à l’ouverture d’un marché de libre-échange représentant 40 % du commerce mondial, interviendraient en force sur la place publique en faveur de l’Accord pour faire « oublier » le passage à la trappe de la gestion de l’offre en agriculture.


 

Une surproduction mondiale


 

En plus des exigences japonaises, la Maison-Blanche doit tenir compte des pressions exercées par la Nouvelle-Zélande pour un accès au marché américain pour ses produits laitiers. En guise de compensation, le président américain a promis aux producteurs américains l’ouverture du marché canadien.


 

La Nouvelle-Zélande, connue pour être « l’Arabie saoudite du lait », milite pour la libéralisation du marché mondial des produits laitiers. Jusqu’à tout récemment, le pays misait toutes ses cartes sur l’ouverture du marché chinois, mais celui-ci est déjà saturé, tout comme l’ensemble du marché mondial. Depuis le début de 2014, le prix du lait a chuté de 63 %, intensifiant la crise entre les pays producteurs.


 

L’Europe a aboli, au mois de mars dernier, son programme de quotas laitiers et ses producteurs se livrent désormais une concurrence féroce. Récemment, les producteurs français, ruinés par la chute des prix, ont bloqué des sites touristiques comme le Mont-Saint-Michel et intercepté, à la frontière franco-allemande, des camions chargés de produits laitiers allemands. En catastrophe, le gouvernement français a débloqué une subvention de plusieurs centaines de millions d’euros, mais sans apaiser leur colère.


 

Des conséquences catastrophiques


 

Le programme de gestion de l’offre est né au cours des années 1960 d’une situation de surproduction de produits laitiers et d’anarchie des marchés. Le programme est basé sur trois principes : la planification de la production en fonction de la demande ; un prix établi en fonction du coût de production ; et le contrôle des importations. Il est administré par une instance fédérale, la Commission canadienne du lait créée en 1966, parce que l’agriculture est une compétence partagée entre les niveaux de gouvernement en vertu de la Constitution et que les tarifs douaniers relèvent du gouvernement fédéral.


 

La gestion de l’offre couvre également, en plus du lait, la production de volailles et d’oeufs. Au Québec, la production de 6920 fermes familiales est sous gestion de l’offre et représente 43,2 % des recettes agricoles totales. Plus de 92 000 emplois directs et indirects en dépendent.


 

Son abandon serait catastrophique pour l’agriculture québécoise, mais de puissants intérêts militent activement pour son élimination. John Manley, le président du Conseil canadien des chefs d’entreprise, la qualifie de « dernier vestige de planification centrale à la soviétique de la planète ».


 

Les abolitionnistes font valoir que l’ouverture du marché canadien profiterait aux consommateurs parce que le lait américain est moitié moins cher. La même logique pro-consommateur devrait les amener à saluer l’entente sur les voitures entre le Japon et les États-Unis, qui réduirait considérablement le prix des voitures ! Il n’en est rien. Cela nous rappelle qu’en 2008, le gouvernement fédéral a versé 13 milliards de dollars à l’industrie automobile de l’Ontario pour la sauver de la faillite et à peine quelques centaines de millions pour l’industrie forestière en crise au Québec.


 

Leur autre argument est que l’abolition des mesures protectionnistes va ouvrir les marchés du vaste monde aux producteurs locaux. L’Accord de libre-échange Canada-Europe a fait la preuve du contraire en permettant de doubler les importations de fromages européens hautement subventionnés.


 

Selon le Globe and Mail, le gouvernement Harper aurait prévu un programme de compensation pour aider les producteurs à être plus concurrentiels sur les marchés mondiaux. Un tel programme ne peut conduire qu’à la concentration accélérée des exploitations parce que les fermes familiales québécoises, avec une moyenne de 77 vaches, ne peuvent concurrencer des exploitations américaines qui comptent plus de 10 000 vaches.


 

Les fermes familiales, acculées à la faillite avec la disparition des quotas comme collatéral à leur endettement auprès des institutions financières, deviendront des proies faciles pour des entreprises comme Pangea de Charles Sirois et sa partenaire, la Banque Nationale, qui cherchent à mettre le grappin sur les meilleures terres du Québec.


 

Des gagnants ?


 

Quelques entreprises pourraient tirer profit de la nouvelle donne. Récemment, Lino Saputo fils affirmait que « Saputo pourrait vivre sans gestion de l’offre ». Au cours des dernières années, l’entreprise qui, de l’aveu même de son p.-d. g, « a largement bénéficié du système de gestion de l’offre », a pris de l’expansion en Argentine, en Australie et aux États-Unis.


 

Les États-Unis représentent aujourd’hui plus de 50 % de son volume de production et de son chiffre d’affaires, et Saputo pourrait importer du lait à bas prix des États-Unis plutôt que de s’approvisionner au Québec.


 

Mais Saputo demeure un petit joueur à l’échelle mondiale face à des géants comme Nestlé, Danone ou Fontera, et les difficultés actuelles de Bombardier face à Airbus et Boeing donnent à réfléchir.


 

Les entreprises de petites nations comme le Québec ont certes besoin d’un accès à un plus grand marché, qu’on a tort de confondre avec l’adhésion à des traités de libre-échange taillés sur mesure pour satisfaire l’appétit vorace de multinationales à la recherche d’acquisitions pour la création de méga-entreprises.


 

L’absence de toute réaction du ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation Pierre Paradis à l’abandon des programmes de gestion de l’offre par le gouvernement fédéral illustre la soumission du gouvernement Couillard à son grand frère fédéral.


 

La suppression de la gestion de l’offre en agriculture promet aux agriculteurs québécois « de longues années de souffrance et de difficultés économiques et financières et de diminution du niveau de vie ».


 

Et, oui, Monsieur Couillard, nous sommes prêts à relever le défi d’un véritable débat sur les mérites respectifs du fédéralisme canadien et de l’indépendance du Québec.







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