J'ai toujours pensé qu'il fallait dire oui à certaines demandes, comme la souccah sur les balcons ou le voile à l'école. Et j'ai toujours cru que le Québec était assez mature pour accepter ces compromis et absorber ces différences sans heurt.
Pourquoi, par exemple, ne pas dire oui à la souccah, une hutte où les juifs prennent leurs repas pour commémorer une fête? En 2004, les propriétaires des condos du Sanctuaire avaient protesté. Ils étaient horrifiés de voir des souccah - une cabane affreuse, j'en conviens - pousser sur les balcons de leur chic complexe immobilier.
Construire une souccah sur un bout de balcon et s'y entasser pendant une semaine pour prendre ses repas peut sembler absurde pour les non-initiés. Mais, pour les juifs, cette tradition est profondément ancrée dans leur religion.
Cette position ne fait pas l'unanimité, je l'admets.
Des amis m'ont souvent dit: «Quand tu allais en Iran, tu étais obligée de te voiler. Quand on est à Rome, on fait comme les Romains. Que les immigrés s'adaptent!»
Je leur répondais: «L'Iran est une dictature, pas le Québec.»
Il ne faut pas dire oui à tout. C'est une évidence. Certaines demandes sont absurdes, comme les vitres que le YMCA a givrées parce qu'elles donnaient sur une synagogue. Les hassidim ne supportaient pas la vue de femmes en short. Sauf que ce n'était pas au Y de givrer ses vitres, mais aux juifs de s'acheter des rideaux.
Donc, on évalue au cas par cas. Oui, pour certaines demandes, non à d'autres. On les soupèse, les évalue. Parfois ce sont les tribunaux qui tranchent mais, la plupart du temps, les ententes se concluent à l'amiable.
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Un livre de 95 pages a bousculé mes certitudes et réveillé mon vieux fond laïque: [Accommodements raisonnables, de Yolande Geadah->6776], une Égyptienne de naissance qui vit au Québec depuis 40 ans.
Mme Geadah a le sens du timing. Elle a écrit un essai sur le voile en 1996. Quelques mois auparavant, une jeune fille s'était présentée dans une école secondaire coiffée d'un hidjab. Le Québec avait alors vécu sa première crise du voile, son premier choc musulman.
J'ai lu d'une traite son livre sur les accommodements. J'ai rencontré Mme Geadah dans son bureau du centre-ville, où elle s'occupe de développement international. Une femme effacée qui parle doucement, ses lunettes perchées sur le nez.
«L'Université du Caire ne permet pas le port du niqab. Pourtant, 90% de la population égyptienne est musulmane», m'a-t-elle dit d'emblée.
Le ton était lancé. Mme Geadah est laïque jusqu'au bout des ongles.
L'espace public doit être laïque, affirme-t-elle. Si on y permet l'introduction de signes religieux, on sème la confusion. La même règle doit s'appliquer pour tous. Il faut donc dire non aux salles de prière exigées par certains musulmans, car ces demandes ouvrent la porte à une «surenchère de revendications».
«L'enjeu soulevé ici n'est pas la liberté de conscience, mais une tentative du religieux d'empiéter sur l'espace public, écrit-elle. Il ne s'agit pas là d'un droit fondamental, mais d'un privilège que rien ne justifie réellement dans un modèle de société pluraliste et séculier.»
Mme Geadah critique les chartes québécoise et canadienne des droits. Elles ont été conçues avant la montée des intégrismes religieux «qui se réclament des libertés inscrites dans les chartes pour imposer une idéologie qui tend à nier des libertés fondamentales».
La démonstration est brillante, mais elle ne me convainc pas. À cause des chiffres que j'ai dénichés dans le livre de Mme Geadah.
Seulement 2% des plaintes portées à la Commission des droits de la personne de 2000 à 2005 touchaient la religion. De ce nombre, à peine le tiers comportait une demande d'accommodement raisonnable. Soit 30 cas à tout casser. De plus, les plaintes provenaient majoritairement de protestants, non de juifs ou de musulmans.
Les motifs les plus fréquents de discrimination étaient le handicap (24%), la race (15%), l'âge (12%), la condition sociale (6%) et le sexe (5%).
De quoi replacer les yeux en face des trous.
Le Québec peut gérer quelques cas d'accommodements sans verser dans le drame ou la peur irrationnelle de perdre son identité.
La Commission sur les accommodements raisonnables, qui va se balader au Québec au cours des prochains mois, nous laisse l'impression que les institutions publiques sont noyées par des demandes provenant d'intégristes qui se promènent le couteau entre les dents.
À force d'entendre les lamentations de gens qui ne peuvent pas supporter la vue d'une kippa ou d'un voile, on va finir par se convaincre qu'il y a péril en la demeure. Il n'y a pas de crise, mais la Commission est peut-être en train d'en créer une.
La crise, quelle crise?
Il n'y a pas de crise, mais la Commission est peut-être en train d'en créer une.
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