Le 14 août dernier, à l’occasion d’une activité organisée par l’Association du Barreau canadien, à Terre-Neuve, la juge en chef de la Cour suprême, Beverley McLachlin, est revenue sur la controverse du printemps qui l’a opposée au gouvernement lors de la nomination avortée du juge Marc Nadon. Les conservateurs avaient accusé le magistrat d’ingérence à la suite de deux appels téléphoniques de celle-ci aux bureaux du premier ministre et du ministre de la Justice.
Beverley McLachlin affirme qu’il est temps de «tourner la page», justifiant son geste en disant qu’il est normal qu’elle échange avec le pouvoir politique afin de discuter du fonctionnement du tribunal, ce qui arrive régulièrement.
C’est ce qu’elle a fait, dit-elle, sans préjuger de l’affaire, en prévenant le gouvernement Harper que la nomination de Marc Nadon pourrait entraîner des complications.
Une contestation prévisible
Cette version des événements est difficile à croire. D’abord, le gouvernement n’avait nullement besoin de ces avertissements pour savoir que sa nomination ne passerait pas comme une lettre à la poste.
L’avocat torontois Rocco Galati, un adversaire affiché des conservateurs, avait fait part de son intention de contester l’opération. Marc Nadon avait été, mais n’était plus membre, du Barreau du Québec.
Selon M. Galati, cela contrevenait aux critères de sélection. De fait, il était également prévisible que le gouvernement québécois s’oppose à cette candidature, ce qui a été le cas.
N’importe quel citoyen le moindrement informé aurait pu prédire cette situation. La juge en chef n’avait nullement besoin d’avertir le gouvernement. Il est donc difficile de croire que celle-ci n’a pas voulu dissuader Messieurs Harper et MacKay de choisir Marc Nadon en leur téléphonant.
C’est la réflexion qui vient à l’esprit quand on examine le jugement rendu dans cette affaire. Un des aspects cruciaux de la cause consistait à dire si les dix années d’appartenance au Barreau québécois devaient être contemporaines à la nomination ou si elles pouvaient être antérieures.
Le texte de la loi sur la Cour suprême n’est pas entièrement clair à cet égard. Certains juristes disaient que le fait que Nadon ait appartenu 20 ans au Barreau du Québec à une autre époque satisfaisait aux critères de nomination. La Cour suprême a tranché, complètement en sens inverse, décrétant que Marc Nadon n’a jamais été admissible.
C’est ici que cela devient incohérent. Pour reprendre l’explication du politologue ontarien Emmett Macfarlane, si, par exemple, le gouvernement avait voulu nommer quelqu’un qui n’est pas avocat, la chose aurait été tellement contraire à la loi que la juge en chef aurait refusé de lui faire prêter serment, carrément. Elle ne se serait pas contentée de téléphoner au premier ministre et au ministre de la Justice.
Par analogie, si la candidature de Marc Nadon était aussi clairement rejetable que la Cour l’a écrit, le premier magistrat avait le devoir de ne pas l’assermenter.
Comprenons-nous bien. Cette nomination était discutable et son rejet est une bonne chose, ne serait-ce que parce que le Québec n’a pas été consulté. Mais elle n’était certainement pas un cas flagrant d’irrecevabilité tel que l’a dépeint le plus haut tribunal.
Laisser parler les jugements
Il résulte de cette situation qu’absolument rien ne justifiait les appels de Beverley MacLachlin. Les magistrats ont un devoir très strict de réserve. Ils ne doivent pas intervenir dans le débat politique ni en donner l’impression. Surtout, ils doivent laisser leurs jugements parler. Sauf que notre Cour suprême a trop souvent agi dans le passé comme un organe politique, cherchant à imposer sa vision de la société et veillant à ses intérêts propres plutôt que de rendre la meilleure justice possible.
Prenons la publication de mon livre sur le rapatriement constitutionnel l’an dernier, La Bataille de Londres. J’y révélais que des communications illicites avaient eu lieu entre, d’une part, les gouvernements fédéral et britannique et, d’autre part, la Cour suprême. Tout cela alors que le tribunal devait se prononcer sur la légalité de la démarche d’Ottawa.
Devant l’ampleur de cette information, la Cour suprême a décidé de procéder à une enquête interne. Sauf qu’elle a conclu l’exercice en 17 jours pour nous dire, dans un communiqué de deux phrases sans le moindre détail, qu’elle n’avait rien trouvé.
Tout cela ressemble à une manœuvre politique visant à étouffer une histoire gênante. Si tel est le cas, l’opération a lamentablement échoué. Un sondage fait en mai 2013 par Léger Marketing indiquait que 39 % des Québécois pensaient que la Cour suprême n’était pas neutre et indépendante, contre 37 % qui croyaient le contraire.
Ce résultat est dévastateur. Selon toute vraisemblance, le plus haut tribunal paye le prix de son activisme politico-judiciaire qui dure depuis des années, appuyé sur la Charte des droits et ayant notamment mené à l’invalidation de dispositions de la loi 101 à trois reprises.
Cette situation explique probablement pourquoi le tribunal fédéral, si souvent hostile à la différence québécoise, s’est montré soudainement très ouvert à cette réalité dans l’affaire Nadon.
Selon lui, l’article 6 de la loi sur la Cour suprême — prévoyant que trois juges sur neuf soient issus du Québec — doit être interprété dans un sens visant à «garantir une expertise en droit civil et la représentation des traditions juridiques et des valeurs sociales du Québec à la Cour et à renforcer la confiance du Québec envers la Cour».
Cette interprétation a surpris plusieurs juristes tellement elle fait une large place au caractère distinct du Québec. Était-ce vraiment l’intention des pères fondateurs, lorsqu’ils ont voté la loi sur la Cour suprême, d’aller aussi loin ? Il est permis d’en douter.
En réalité, ce n’est pas du sens de l’article 6, rédigé en 1875, dont il est question ici. Il s’agit plutôt, pour le tribunal, de regagner la confiance des Québécois. Pour mieux servir ceux-ci, de même que tous les Canadiens, la cour devrait se contenter de juger le droit et laisser les élus gouverner.
Au lieu de ça, elle a cette fois donné au Québec une victoire dont l’ampleur n’est pas justifiée. Demain, quand les circonstances changeront, elle lui infligera des revers qui ne seront pas davantage mérités, comme elle l’a fait si souvent dans le passé.
En agissant de la sorte, le plus haut tribunal continue d’agir comme une institution politique, comme une Cour politique suprême.
La Cour politique suprême
Selon toute vraisemblance, le plus haut tribunal paye le prix de son activisme politico-judiciaire qui dure depuis des années. Un billet de Frédéric Bastien.
La tour de Pise fédérale
Frédéric Bastien167 articles
Titulaire d'un doctorat en relations internationales de l'Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, Frédéric Bastien se spécialise dans l'histoire et la politique internationale. Chargé de cours au département d'histoire de l'Univ...
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Titulaire d'un doctorat en relations internationales de l'Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, Frédéric Bastien se spécialise dans l'histoire et la politique internationale. Chargé de cours au département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal, il est l'auteur de Relations particulières, la France face au Québec après de Gaulle et collabore avec plusieurs médias tels que l'Agence France Presse, L'actualité, Le Devoir et La Presse à titre de journaliste. Depuis 2004, il poursuit aussi des recherches sur le développement des relations internationales de la Ville de Montréal en plus d'être chercheur affilié à la Chaire Hector-Fabre en histoire du Québec.
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