Vendredi, La Presse révélait non seulement que «les choses ne tournent pas rond au sein de l'UPAC», ce que tout le monde savait déjà, mais surtout, ô horreur, que des enquêteurs de cette Unité permanente anticorruption «travailleront pour la commission Charbonneau», ce qui, selon le quotidien, «soulève des questions sur son indépendance». Et La Presse de conclure: «La juge Charbonneau n'a pas souhaité répondre à nos questions en raison de son "devoir de réserve".»
Le même jour, bien sûr, dans un communiqué confirmant la nomination de quatre procureurs, la juge France Charbonneau en profitait pour rappeler à La Presse, sans la nommer, quelques principes élémentaires régissant son nouveau travail. «La Commission d'enquête est parfaitement indépendante», écrivait la présidente, et ses procureurs et enquêteurs «n'ont de comptes à rendre qu'à la Commission».
Mais d'où La Presse tenait-elle que des gens de l'UPAC travailleront «main dans la main» avec la commissaire? Aucune indication n'est fournie sur le sérieux de la source. Seule une porte-parole de l'UPAC «confirme» la chose: «Des discussions régulières ont lieu entre l'UPAC et la commissaire Charbonneau. Le rôle exact de ces personnes n'est pas défini, mais cette équipe va être créée pour être efficace, compétente, et cela va se faire le plus rapidement possible. Ça va être une collaboration pleine et entière.»
(Curieusement, la même porte-parole a précisé, toujours selon La Presse, qu'il s'agira «d'effectifs supplémentaires», non prévus au mandat de l'UPAC, et pour lesquels il faudra présenter une demande auprès du Conseil du trésor.)
Selon d'autres sources «proches du dossier», ajoute La Presse, il est clair qu'il «n'y a pas indépendance» si une partie des enquêtes de la Commission dépend du ministère de la Sécurité dont relèvent ces enquêteurs venus de l'UPAC. Deux personnes «auraient» même été recrutées pour servir de «filtre» aux dossiers auxquels la Commission aura accès. Devant pareilles allégations, la juge Charbonneau ne pouvait plus s'en tenir à son «devoir de réserve».
Mise au point
Des enquêteurs de la Commission proviennent des services que l'UPAC regroupe, mais depuis leur nomination, précise la commissaire, ils n'ont plus «aucun lien d'autorité avec leur organisation respective. Ils relèvent maintenant exclusivement de la Commission envers laquelle ils ont un devoir de loyauté et de confidentialité.» Contrairement à ce que «certains ont pu affirmer», affirme-t-elle, ce sont ces enquêteurs qui décideront de s'adjoindre les personnes ressources dont ils ont besoin.
«De plus, poursuit-elle, seuls les procureurs et les enquêteurs de la Commission vont décider de la pertinence des enquêtes de l'UPAC eu égard aux travaux de la Commission. Ils décideront aussi quelles enquêtes devront être initiées pour mener à bien le mandat qui a été confié à la Commission.» Et la Commission d'inviter tous les organismes détenant de l'information pertinente à collaborer «franchement et ouvertement» avec elle.
Sauf erreur, La Presse n'a pas fait immédiatement écho à cette importante mise au point. Ses journalistes se seront peut-être laissé entraîner par des «sources» en proie à la pagaille qui guette l'UPAC ou ignorant les règles de fonctionnement d'une commission d'enquête.
On comprendrait aisément, il est vrai, que des membres de cette Unité permanente anticorruption puissent souffrir de confusion après le choc rocambolesque qu'ils ont subi de la part du premier ministre. Après leur avoir, en effet, confié un mandat essentiel qu'on ne pouvait donner à personne sauf à la police, Jean Charest change son fusil d'épaule et crée cette commission prétendument incompatible avec les «enquêtes policières».
En plus, leur nouvelle Unité risque d'être une cage à scorpions permanente, dont le chef, déjà peu crédible, n'a plus la confiance de grand monde. À l'Assemblée nationale, l'opposition demande sa démission. Et plusieurs d'entre eux, peut-on craindre, ne tarderont pas à remettre la leur!
Bref, sources anonymes, allégations et autres «auraient», ce n'est «pas fort», dirait l'ex-chef Duchesneau! Les journalistes de La Presse sont toutefois en terrain plus solide quand ils décrivent le malaise au sein de l'UPAC. La rivalité entre les services et agences qui y sont représentés était prévisible. Et la méfiance naturelle de tout enquêteur chevronné envers quiconque s'intéresse de trop près à ses filons ne devrait pas surprendre non plus.
Des membres de l'UPAC, dit-on, s'inquiètent de la présence de quelques nouveaux «collègues» recrutés dans des organisations qui pourraient elles-mêmes faire l'objet d'investigation.
Élémentaire, mon cher Watson. Pourquoi, en effet, la corruption dans la construction aurait-elle épargné des sociétés d'État comme Hydro-Québec (un donneur d'ouvrage non moins important que le ministère des Transports) ou même Revenu Québec (dont le pendant fédéral s'est récemment révélé fort vulnérable), sans parler d'autres services de sécurité qui dormaient au gaz pendant que le crime organisé et la criminalité en col blanc prospéraient à travers la Belle Province?
L'UPAC s'est dotée d'une équipe chargée de protéger contre toutes représailles les dénonciateurs de magouilles. Fort bien. L'intimidation n'est-elle pas l'arme préférée des mafieux? Mais face aux manoeuvres des experts en tripotage de contrats et surtout des professionnels versés dans l'art de camoufler ces pratiques d'affaires, la commission devra surmonter des obstacles encore plus redoutables. Le moins que les citoyens du Québec puissent souhaiter, c'est qu'aucun média ne vienne lui compliquer la tâche.
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.
La Presse enquête
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