Je viens de terminer mon visionnement de «», que j’ai eu la chance de pouvoir visionner avant la sortie officielle. D’ailleurs, je tiens à remercier Claudine Simon des « Alter citoyens » (qui a participé au projet) à ce sujet. Au niveau formel, c’est bien sûr du beau travail, égal à celui que nous avait donné « 99%média » avec l’excellent « Dérives ».
Après les fleurs…
Cela dit, ce film est carrément une œuvre de propagande. On tente de le justifier par le fait qu’il déroge du discours officiel gouvernemental, mais dans les faits il surfe sur une vague aussi importante, mais celle-là organisée par le camp politique fédéraliste, dont fait partie grandement le journal La Presse. D’ailleurs, je m’attends à une excellente couverture de ce journal, ce qui n’avait pas été le cas avec « Dérives », malheureusement.
Donc, on a un film de propagande venant entre autres de GAPPA, qui se targue de dénoncer la propagande, ce qui est plutôt contradictoire. Mais bon, ils ont le droit d’avoir leurs opinions, tout comme moi, et de les diffuser. Et ça tombe que mes opinions sont tout à fait contraires aux leurs et qu’ils n’ont pas réussi, malgré tout leur excellent travail dans ce sens, à me faire bouger d’un iota. Mais il faut dire que j’ai beaucoup réfléchi sur le sujet et que je pourrais remettre en question tout ce qui y est dit (je vais me contenter ici de pointer quelques exemples). Par contre, pour quelqu’un qui ne sait pas trop où se placer, peut-être que la propagande fonctionnera.
Et quand je parle ici de propagande, il faut absolument replacer le terme dans sa stricte définition, qui est l’« Action systématique exercée sur l’opinion publique pour l’amener à accepter certaines idées ou doctrines. » Je n’induis aucunement que ce film serait une commande médiatique ou politique ni que ses créateurs sont de mauvaise foi. S’il y a de la mauvaise foi, elle est dans les réflexions des intervenants, toujours selon ma lecture personnelle.
La stratégie d’évitement
Ce documentaire, il repose sur ce que j’appellerais une stratégie d’évitement. On parle de la stratégie politique du PQ, de la position autochtone, des répercussions sur des musulmans, etc., mais on évite de parler objectivement du contexte, soit l’espace civique et la laïcité. Tout est présenté pour faire en sorte de laisser croire que la question concerne grandement l’espace public, même dans l’application, ce qui est assez malhonnête. On dissémine des pistes de réflexion qui éloignent toujours de la question centrale : à quoi devrait ressembler notre laïcité, concrètement?
Parce que d’entendre une musulmane chef d’entreprise nous parler de son expérience dans la sphère publique, ce n’est aucunement parler de laïcité. Parce que d’entendre des autochtones mettre de l’avant leur communautarisme, ce n’est pas parler de laïcité. Parce que de voir ainsi étalé le contexte politique et la stratégie qui a supposément mené à cette charte, ce n’est pas parler de laïcité et ce n’est surtout pas rendre justice au mouvement laïque qui lui est antérieur, enfin celui qui milite, celui qui va dans le sens de l’importance de la neutralité représentative des employés de l’État. Et on ose qualifier cette charte de distraction?
L’identité québécoise élastique
Il y a un exemple patent de malhonnêteté dans les propos de Marie Potvin, professeure en éducation à l’UQAM et chercheuse au CEETUM :
« une grosse partie de notre identité est le fruit des luttes sociales. Et comme si les droits de la personne, notamment la liberté de conscience et la liberté religieuse qui est mise en cause dans ce cas-là, était pas le fruit des luttes sociales, était pas le fruit de l’identité québécoise. »
Premièrement, cette idée qu’il est question de la liberté de conscience et de la liberté religieuse dans ce débat est fautive. Il est réellement question de la liberté d’expression. Un signe religieux est expressif de la religion, il n’est pas la religion ni la croyance en elle-même. Mais au niveau argumentaire, il est plus facile de défendre la liberté de conscience et la liberté religieuse puisque dans le contexte actuel, la liberté d’expression est déjà minée par la règle qui interdit les opinions politiques et croyances autres que religieuses.
Deuxièmement, on tente ici de cristalliser, voire de placer dans l’immobilisme la question des droits de la personne. Mais je dois avouer que c’est original comme approche même si d’un autre côté ça se rapproche dangereusement d’un paralogisme. C’est quand même gros de penser que le simple fait d’interdire un signe religieux durant les heures de travail d’un employé de l’État vient en totale contradiction avec l’identité québécoise. À mon avis, c’est tellement tirer fort sur ce que peut donner l’instrumentalisation du concept d’identité québécoise que l’élastique se casse. D’autant plus qu’on ne cesse d’argumenter, pour justifier la position anticharte, que l’identité n’est pas assez définissable en des termes clairs et rassembleurs. Idem pour ce qui est des valeurs.
C’est la faute de la charte?
Il y a dans le documentaire le témoignage d’un couple musulman. L’homme raconte qu’il n’a jamais eu de problème à caractère xénophobe ou raciste (qualifions-le ainsi pour aller au plus simple) depuis qu’il est ici jusqu’au débat sur la charte. Ils ont reçu anonymement une affiche montrant une femme voilée avec l’inscription « Non pas ici » avec des X dessinés sur le voile.
Bien sûr, le lien avec le débat actuel est évident. Mais s’arrêter à la simple équation que c’est tout simplement de la faute de la charte n’est pas complet. Il y a la charte et il y a sa causalité qui entre en ligne de compte. Et je tente une analyse totalement objective ici, au-delà de ce que suggèrent les créateurs du documentaire, puisque tout l’enrobage argumentaire ne permet pas de le laisser poindre.
La réaction à ce projet de loi a montré une levée de boucliers de la communauté musulmane, spécialement venant de la part des femmes voilées. Cette réaction a envoyé un message aussi fort que celui de la charte. Ce n’est pas surprenant que certains l’aient pris et le prennent toujours au premier degré dans le sens que ces immigrants ne veulent pas respecter les règles de la société d’accueil. Ici « les règles » étant le projet de loi qui contient la règle d’interdire les signes religieux.
Je suis loin d’avoir cette réaction, et je la trouve même complètement stupide, mais je constate quand même que dans toute cette histoire il y a un déficit intellectuel énorme. D’un côté comme de l’autre, c’est l’ignorance des gens qui est suscitée, donc on se braque au lieu d’essayer de comprendre les enjeux de la laïcité, et on réagit trop fortement au fait qu’on se braque. Ne venez pas me dire sérieusement que tous les gens sans exception dans les manifs pour et contre ont parfaitement pesé le pour et le contre… Et pour ce qui est des intervenants du documentaire, ils instrumentalisent simplement les contrecoups de cette dynamique négative d’ignorance pour mousser leur parti-pris, d’où cette forte impression de propagande.
L’avis autochtone
Dès le début du documentaire, une autochtone du mouvement « Idle No More » s’exprime :
« c’est le déni des peuples autochtones parce qu’on parle de valeurs communes québécoises alors que les peuples autochtones, ça fait des millénaires qu’on habite le territoire, on nous a jamais demandé notre avis sur la charte, on nous a jamais demandé c’était quoi les valeurs importantes pour nous. »
Visiblement, les créateurs voulaient que l’avis de ces autochtones-là surpasse en valeur celui de toute leur communauté et encore plus, celui du Québec en entier. Quand on soulève ainsi l’argument massue qu’il y a des « millénaires qu’on habite le territoire », c’est tout le débat qui est pris en otage. Est-ce que ces millénaires réduisent à néant la légitimité de l’avis contraire ou vivons-nous ensemble aujourd’hui dans une société plurielle?
Si nous vivons vraiment dans une société plurielle, l’avis des autochtones est aussi important que celui des autres, ni plus ni moins. Le fait d’habiter le territoire depuis des millénaires n’a rien à voir. Le démocrate et humaniste que je suis s’est senti profondément insulté. Je ne me verrais pas dire à un nouvel arrivant que mon opinion a plus d’importance que la sienne parce que je suis ici depuis 43 ans!
L’égalité des sexes désincarnée
Ryoa Chung, professeure agrégée au département de philosophie de l’UdeM, au sujet de la place du féminisme dans le débat :
« on essaie de nous distraire […] en ramenant tout le débat sur l’égalité des sexes sur encore une fois une mesure concernant les signes ostentatoires qui n’a aucun lien, aucun rapport avec la véritable émancipation des femmes »
Ces propos, c’est renier la légitimité d’un féminisme qui se voit profondément heurté par ce qu’implique le phénomène religieux exprimé par les signes ostentatoires. Par contre, j’admets aussi que ce féminisme ratisse trop large au point d’englober la sphère publique et de faire des dommages collatéraux, mais ce féminisme est tout à fait en droit de s’incarner dans la problématique civique.
La question de l’égalité des sexes n’est pas qu’une question abstraite et philosophique, et si on peut mettre de l’avant la problématique des femmes voilées qui pourraient décider de quitter leur emploi pour ne pas se dévoiler, on peut aussi mettre de l’avant toutes les problématiques extérieures à elles. C’est le propre du débat de tout mettre dans la balance. Mais selon Ryoa Chung, ce qu’elle voit est de plomb, ce qu’elle ne veut pas voir est de plume…
L’indépendantisme au conditionnel
Et, la cerise sur le gâteau, le documentaire se termine avec cette idée insupportable que l’appui à la charte est le meilleur moyen de repousser l’indépendance du Québec. Parce que cela mettrait entre autres à dos du mouvement indépendantiste les immigrants (de première et de deuxième génération).
Cette idée bat de l’aile parce qu’on le sait, les immigrants ne forment pas un bloc monolithique contre la charte. Mais quand même, cela participe à toute cette idée d’un indépendantisme mou qui place tout un cadre conditionnel à son adhésion. Le multiculturalisme/interculturalisme et une vision de gauche en étant les piliers centraux. C’est encore une manière de prendre le débat en otage.
Méchant à rebours
Comme on le voit, le film commence et termine avec de la culpabilisation. Et la culpabilisation le traverse de bout en bout. Comme spectateur, j’étais le méchant descendant de Canadiens-français (très métissé avec des autochtones, mais ça ne compte pas) et j’étais le méchant indépendantiste qui se tire dans le pied. J’étais aussi le méchant qui veut jouer avec les droits de la personne et le méchant qui ne veut pas s’obnubiler des malheurs de certaines personnes pour en oublier d’autres. Enfin, surtout, j’étais le méchant qui pense que l’égalité des sexes passe avant la religion.
J’espère ne pas avoir été trop méchant en retour.
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