Gros débat existentiel cette semaine, au Québec. Hydro-Québec a soumis à la Régie de l'énergie une demande de hausse des tarifs d'électricité de 0,2%. Je précise, deux dixièmes d'un pour cent. C'est trois fois rien. Cinq dollars de plus par année pour une famille moyenne. Pas plus que la fluctuation de la valeur d'un plein d'essence d'une semaine à l'autre.
Et pourtant, l'insignifiance de la hausse n'a pas empêché les manchettes et les réactions courroucées des groupes de pression. Il faut dire qu'à la base, il y avait un élément d'information intéressant. Si Hydro n'avait pas modifié ses règles comptables pour les ajuster à de nouvelles normes internationales, un an plus tôt que nécessaire, elle aurait dû baisser ses tarifs de 2,4%. C'est la disparition de cette baisse qui crée le remous.
J'ai écrit il y a à peine une dizaine de jours sur l'importance d'augmenter le prix de l'électricité. Mais ce petit psychodrame national me donne l'occasion de revenir sur le sujet, pour essayer de décrypter l'incroyable résistance que suscite chez les Québécois la perspective d'une hausse des tarifs. Cela tient, à mon avis, à la convergence de trois mécanismes: la sacralisation, la politisation et l'institutionnalisation.
Il y a, au départ, un aspect quasi religieux à l'affaire. Hydro-Québec est un symbole de la Révolution tranquille. Ses bas tarifs sont perçus comme un droit acquis collectif, et les hausses deviennent en quelque sorte une transgression, une trahison du legs de René Lévesque. Avec le temps, on y a ajouté une dimension sociale, où les gels de tarifs seraient une forme supérieure de partage de la richesse. L'argument le plus fréquent pour s'opposer à des hausses est l'impact sur les familles pauvres. Quand, en fait, tous les scénarios de hausses de tarifs prévoient des mécanismes pour que les plus démunis ne soient absolument pas affectés.
La deuxième mécanique est politique. Hydro-Québec n'est pas seulement une vache sacrée, c'est aussi une société d'État. Malgré les efforts pour que le mécanisme de détermination des tarifs soit neutre, le processus reste très politisé. Pour le gouvernement, la hausse des tarifs a des répercussions budgétaires. Pour l'opposition, c'est du bonbon. On dénoncera les hausses, au mépris de l'intelligence, parce qu'on peut marquer des points.
Le troisième facteur est institutionnel. Parce qu'Hydro est un monopole sans concurrents, ses tarifs sont soumis à un organisme réglementaire, ce qui est une bonne chose. Mais il y a des effets pervers. Les prix réglementés suscitent toujours des débats plus intenses - c'est vrai du lait, de l'électricité, des frais d'une cabine téléphonique -, parce qu'il y a des mécanismes, des audiences, des instances, et donc un foisonnement de groupes de pression et la naissance d'une industrie, celle des mémoires.
Dans le cas d'Hydro, le militantisme citoyen peut prendre des formes inattendues. La Fédération canadienne de l'entreprise indépendante qui veut un répit pour les PME, comme si Hydro était une forme de BS corporatif. Ou plus délicieux encore, le militantisme de l'Association québécoise des consommateurs industriels d'électricité, qui regroupe de gros utilisateurs, comme les pâtes et papiers, l'aluminium, les produits chimiques, la première transformation des métaux. Ces industries ont un point commun: elles font de l'argent quand les prix courants pour leurs produits sont élevés. Et elles se battent pour qu'Hydro ne puisse pas faire la même chose.
Sur quelle planète vit-on? Certainement pas celle où se trouve la ville de Copenhague. On cherche la logique qui pourrait justifier la baisse du prix d'une source d'énergie quand on veut réduire la consommation d'énergie, et cela, la semaine même où s'entament les grandes négociations climatiques.
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