Un article du 24 avril dans Le Devoir nous apprend que « faute d’inscriptions, un nombre anormalement élevé de programmes sera suspendu dans plusieurs cégeps du Québec dès l’automne prochain. Alors que les techniques et les programmes préuniversitaires en sciences ont le vent dans les voiles, ce sont les programmes en arts, lettres et sciences humaines qui, pour l’heure, semblent écoper ». Au nombre des raisons citées, on trouve la mise en concurrence des programmes et établissements ainsi que la baisse de leur « attractivité ». Cette situation alarmante semble vouloir confirmer les inquiétudes que nous soulevons depuis la publication du rapport Demers, en 2014. Hélas, les choses ne risquent pas de s’améliorer au vu des réformes qui sont annoncées, pour l’heure, dans l’enseignement supérieur québécois.
On prévoit l’an prochain une baisse de 3,6 % des demandes d’admission dans les programmes de sciences humaines. Le cégep Bois-de-Boulogne avait déjà suspendu son programme Arts, lettres et communications. Nous apprenons maintenant que Rosemont fermera Histoire et civilisation et le profil Enjeux et défis en sciences humaines. Ces dernières années, les cégeps ont été plongés dans une concurrence toujours plus grande qui les a amenécés à multiplier les programmes et les profils spécialisants, faisant nécessairement augmenter le nombre de petites cohortes et, conséquemment, fragilisant d’autant la viabilité de chacune d’elles.
Nous pourrions penser être à l’aube de l’implosion d’une pareille logique, ce qui conduirait à un resserrement et à une densification des programmes, mais il n’en est rien. C’est plutôt l’intégrité même du programme que l’on tente de liquéfier, prétextant que le profil « à la carte » a davantage la cote auprès des étudiants ! […] La mise en concurrence généralisée et les pressions en faveur d’une formation plus collée sur les besoins du marché et de l’industrie signifient la dévaluation progressive de programmes structurants dans les humanités. Or, cette situation ne tombe pas du ciel, mais témoigne de la mise en place d’un quasi-marché néolibéral dans l’enseignement supérieur, lequel est impulsé, hélas, par l’État québécois lui-même. Et ceci constitue un reniement de ce que nous aurions pu croire pérenne dans l’héritage de la Révolution tranquille.
Le rapport Demers et le « Cégep inc. »
Le rapport Demers fut d’abord accueilli avec enthousiasme, en 2014, par le ministre de l’éducation, Yves Bolduc, et jamais la frénésie suscitée alors n’a été démentie par ses successeurs. Ce rapport préconisait un arrimage plus serré entre l’école et l’emploi. Il fallait donc décentraliser la prise de décision afin de rendre les cégeps plus « flexibles » et perméables aux demandes des entreprises locales, qui devaient ultimement orienter l’offre de programmes. La formation générale, elle, était dévaluée au passage, présentée comme vétuste et déphasée quant aux prétendus besoins de l’industrie et de l’économie. Il convenait alors de la marginaliser en la rendant autant que possible optionnelle. On allait même jusqu’à suggérer que des cégeps puissent développer à la carte des compétences « régionales ».
Afin de dénoncer cette dérive annoncée, nous avions tenu le colloque « Cégep inc. » à la Grande Bibliothèque du Québec. Des professeurs de cégep, des sociologues comme Guy Rocher, Gilles Gagné, des artistes comme Micheline Lanctôt et Bernard Émond, etc., sont alors venus sonner l’alarme, estimant que les recommandations du rapport menaçaient non seulement la mission et l’indépendance des cégeps, mais aussi l’existence du DEC national et la transmission d’un socle culturel commun aux étudiantes et étudiants. L’équilibre entre la culture et la technique, pourtant au fondement de l’identité institutionnelle des cégeps, était menacé au nom d’une hyperadaptation des cégeps aux seules priorités économiques. […]
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