L’ex-grand argentier libéral Marc Bibeau avait assez d’influence pour communiquer rapidement avec le cabinet du premier ministre afin de défendre sa réputation à l’Assemblée nationale.
Notre Bureau d’enquête a mis la main sur une série de courriels datés de septembre 2011 qui donnent un rare accès aux coulisses du pouvoir de l’époque (voir l’échange ci-contre).
Ces courriels ont été échangés par Marc Bibeau, son frère Robert et trois personnages moins connus du public: Jean-Louis Dufresne, Violette Trépanier et Hugo D’Amours.
- Jean-Louis Dufresne est l’actuel chef de cabinet du premier ministre Couillard et il a d’ailleurs déclaré hier, dans un communiqué, qu’il avait conseillé une entreprise de Marc Bibeau alors qu’il était consultant en communication.
- Violette Trépanier avait alors le titre officiel de directrice du financement du Parti libéral du Québec (PLQ) et elle a témoigné durant deux jours à la commission Charbonneau.
- Hugo D’amours était directeur des communications du cabinet du premier ministre Jean Charest.
Bibeau satisfait
Ces courriels visaient à permettre au ministre des Transports de l’époque, Pierre Moreau, de répondre aux questions qui lui avaient été posées par l’opposition en Chambre. Ces questions portaient sur un contrat réalisé par une firme de la famille Bibeau, Schokbéton.
Les réponses se sont avérées très satisfaisantes pour la famille Bibeau.
«Le point de presse a été très bien fait et j’en suis très reconnaissant au ministre», a écrit plus tard Robert Bibeau dans un autre courriel envoyé à son frère Marc et à Jean-Louis Dufresne.
Marc Bibeau et Violette Trépanier sont sous la loupe de l’UPAC dans le cadre de l’enquête Mâchurer, qui s’intéresse au «stratagème de financement illégal» qui aurait profité au PLQ. Les policiers tentent notamment de savoir quelle influence ils auraient pu exercer au sein du gouvernement Charest.
«C’est quoi, le péché?»
Interrogé à ce sujet il y a quelques jours, Pierre Moreau a estimé que l’information transmise par les Bibeau, par l'entremise de Violette Trépanier, n’a pu l’influencer, n'ayant fait que «corroborer les informations» détenues à l’interne.
Il en a rajouté hier soir, affirmant que le courriel envoyé par Violette Trépanier à un membre de son cabinet était arrivé après son point de presse de septembre 2011. Toutefois, avant ce point de presse, Mme Trépanier avait déjà communiqué des informations à Hugo D’Amours.
Pierre Moreau affirme par ailleurs que ce type d’intervention est justifié quand une «réputation est en train d’être salie à l’Assemblée nationale». «C’est quoi, le péché? Honnêtement, je ne le vois pas», a-t-il dit.
Joint par notre Bureau d’enquête, Hugo D’Amours croit que Violette Trépanier «détenait de l’information sur un sujet soulevé à la période des questions, elle a voulu rendre service et elle a mis ça dans un courriel».
«Mais honnêtement, ce n’est d’aucune utilité, je ne vois pas comment ça aurait pu être utilisé», a-t-il dit.
Ligne directe avec le cabinet
Le fil des événements du 28 septembre 2011
12 h 50
Jean-Louis Dufresne alerte Marc Bibeau: le député du PQ François Rebello s’attaque à Schokbéton dans une question concernant un contrat pour le pont Mercier.
Entre 13 h 14 et 13 h 38
Plusieurs courriels sont échangés. Marc Bibeau demande à son frère Robert (président de Schokbéton) de s’assurer qu’Hugo (D’Amours), du bureau du premier ministre, soit informé. Un message est envoyé à Violette Trépanier et cette dernière indique que l’information a été transmise à M. D’Amours.
13 h 15
Violette Trépanier envoie à Hugo D’Amours des informations concernant le dossier des frères Bibeau. Le message est intitulé: «Comme convenu».
16 h 12
Conférence de presse de Pierre Moreau à l’Assemblée nationale: «D’aucune façon le ministère des Transports n’a de lien avec Schokbéton pour la réalisation de ce contrat», dit le ministre.
17 h 03
Violette Trépanier envoie un document à Olivier Parent, du cabinet du ministre Moreau. Il s’agit du contrat avec Schokbéton pour des travaux sur le pont Mercier.
17 h 45
Robert Bibeau écrit à Jean-Louis Dufresne pour souligner le bon travail du ministre et de son ministère. M. Dufresne lui répond qu’il s’agit d’une «très belle sortie du ministre».
Le chef de cabinet œuvrait pour Bibeau
Jean-Louis Dufresne, actuellement chef de cabinet de Philippe Couillard, a été associé au jeu de coulisse ordonné par M. Bibeau.
Il travaillait alors depuis 2010 comme consultant pour la société Beauward, appartenant à M. Bibeau.
M. Dufresne «n’a eu que des liens professionnels» avec Marc Bibeau, nous a indiqué le cabinet du premier ministre.
Dans un communiqué de presse publié hier, M. Dufresne s’est contenté de dire que cette collaboration s’est terminée «avant [sa] nomination» auprès de M. Couillard, survenue en décembre 2013.
Concernant les échanges de courriels impliquant Violette Trépanier, le cabinet de M. Couillard a affirmé par écrit au Journal que M. Dufresne n’est pas responsable de sa participation au dossier du pont Mercier.
«Mme Trépanier [...] a été ajoutée à des échanges courriels par la société Beauward.»
M. Dufresne n’a pas eu à s’inscrire au registre des lobbyistes puisque son «mandat d’affaires publiques et de communications [...] n’incluait pas les cabinets ministériels», selon le bureau du premier ministre.
L’opposition s’indigne
Hier soir, le chef de l’opposition, Jean-François Lisée, s’est indigné de l’ancienne relation d’affaires de M. Dufresne.
«M. Couillard a beaucoup essayé de mettre des digues entre lui et l’héritage de Jean Charest, mais ces digues s’effondrent une à une», a-t-il estimé.
Le chef caquiste François Legault s’est dit «renversé». «On voit que le gouvernement Charest était comme la marionnette de Marc Bibeau. On passait par Jean-Louis Dufresne, Violette Trépanier pour mettre des mots dans la bouche de certains ministres comme Pierre Moreau», a-t-il dit.
M. Couillard a quant à lui minimisé la relation de son chef de cabinet avec l’ex-grand argentier libéral.
«Ce n’était pas M. Dufresne qui avait personnellement un contrat avec M. Bibeau. C’était l’entreprise de M. Bibeau qui a retenu les services de BCP Consultants, comme ça se fait couramment. Comment peut-on reprocher à quelqu’un d’exercer sa profession?»
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