Allégation d’infractions criminelles: emporté par la chasse aux fuites de l’UPAC

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Martin Prud'homme : un ancien sous-ministre libéral et gendre de l'ex-patron de l'UPAC soupçonné dans l'affaire Ouellette


La chasse aux fuites médiatiques lancée par l’UPAC il y a trois ans serait à l’origine de la suspension surprise du grand patron de la SQ. 


Notre Bureau d’enquête a appris que des récents développements dans cette affaire expliqueraient l’annonce faite mercredi par la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault. 


Cette dernière a relevé Martin Prud’homme de ses fonctions jusqu’à nouvel ordre, en raison d’une «allégation relative à des infractions criminelles». Il n’est pas question d’accusations pour le moment. 


Selon nos sources, cette décision ferait suite à des renseignements obtenus par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), l’organisme que le gouvernement Legault a mandaté l’automne dernier pour faire la lumière sur cette chasse aux sorcières qui fut marquée par l’arrestation du député Guy Ouellette en octobre 2017. 


«Sous le choc» 


La ministre est restée muette quant à la nature des allégations touchant M. Prud’homme pour «ne pas nuire à l’enquête». Le BEI a confirmé qu’il menait «une enquête de nature criminelle», sans plus de détails. 


Présentement en vacances, M. Prud’homme n’a pas été arrêté, mais il était «sous le choc» quand des représentants du ministère lui ont annoncé la nouvelle mercredi matin. 


«Il était très surpris. On ne lui a même pas dit quelles étaient ces allégations ni qui allait le remplacer», a dit au Journal une personne de son entourage qui a demandé à ce que son identité soit préservée. 


Un autre de ses proches nous a mentionné que M. Prud’homme s’est vite douté que sa suspension était reliée à «l’affaire Ouellette». 


«C’est la seule hypothèse qu’il peut voir. Il n’a rien à se reprocher», a dit cette source, en évoquant la possibilité d’une « job de bras » venant d’« ennemis » que Prud’homme a pu se faire à la SQ ou en faisant le ménage au SPVM comme chef intérimaire l’an dernier. 





Le «projet A» 


Au printemps 2017, l’ex-patron de l’UPAC, Robert Lafrenière, disait vouloir épingler «le bandit» à l’origine de fuites sur des enquêtes de l’Unité anticorruption. 


Celui qui a quitté son poste à l’automne 2018 ne faisait sûrement pas allusion à Prud’homme, qui était son gendre au moment de cette déclaration. 








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Des documents de cour rendus publics en février 2018 et liés au « projet A » – le nom de l’enquête que l’UPAC avait commandée sur les fuites – ciblaient quatre suspects. Martin Prud’homme n’était pas du lot. 


Les personnes soupçonnées étaient le député Ouellette, deux policiers de la SQ prêtés à l’UPAC, et l’ex-entrepreneur Lino Zambito, témoin vedette de la commission Charbonneau. Aucun d’eux n’a finalement été accusé. 


Martin Prud’homme avait été rencontré à deux reprises par les enquêteurs pour expliquer ses contacts avec Guy Ouellette en 2017. Il n’avait pas caché sa « relation amicale » avec l’ex-policier devenu député de Chomedey. 


«À plusieurs reprises, il dit catégoriquement qu’il n’a jamais donné d’information à Guy Ouellette et que ce dernier ne lui en a jamais demandé», précisait l’UPAC dans ses documents de cour. 


 – Avec la collaboration de Félix Séguin, Antoine Lacroix et Charles Lecavalier  


► L’un des adjoints du chef Prud’homme, Mario Bouchard, a été désigné par la ministre Guilbault pour assurer l’intérim à la tête de la SQ. 


Ce que Prud’homme avait dit aux enquêteurs 




 



Soupçons, allégations ou accusations ? 


Soupçons 


Ils permettent aux policiers de démarrer une enquête afin de les valider. Si les soupçons s’avèrent réels, la police pousse son enquête dans le but de soumettre le dossier à la Couronne. 


Allégations 


Ce sont les prétentions des policiers et de la Couronne, mais qui n’ont pas encore subi le test des tribunaux. 


Accusations 


Quand la Couronne a la conviction qu’un crime a été commis, elle dépose des accusations qui devront subir le test des tribunaux. 


 – Michaël Nguyen 


Le projet a en huit dates 


22 avril 2016 


Une enquête est ouverte sur des « fuites » d’informations dans des médias évoquant des enquêtes de l’UPAC. 


Printemps 2017 


Notre Bureau d’enquête publie des reportages sur le projet d’enquête Mâchurer de l’UPAC, relativement au financement du PLQ, où l’ex-premier ministre Jean Charest et l’argentier du parti, Marc Bibeau, sont des sujets d’intérêt. 


4 mai 2017 


Témoignant en commission parlementaire, le commissaire de l’UPAC, Robert Lafrenière, qualifie ces fuites d’« inadmissibles » et il promet de trouver « le bandit qui a fait ça ». 


11 septembre 2017 


Le directeur général de la SQ, Martin Prud’homme, qui est alors le gendre du commissaire Lafrenière, est questionné par les enquêteurs quant à ses liens avec le député Ouellette, un ami à lui. 


25 octobre 2017 


Le député Ouellette, alors qu’il présidait une commission parlementaire qui s’intéressait à l’UPAC, est arrêté à Québec. Son cellulaire et son ordinateur sont également saisis lors d’une perquisition dans son appartement. 


31 octobre 2017 


Guy Ouellette déclare devant l’Assemblée nationale avoir été « victime d’un coup monté » de l’UPAC. Le commissaire Lafrenière nie que le député aurait été piégé et se dit même « convaincu qu’il va y avoir des accusations dans ce dossier-là ». 


4 octobre 2018 


Alors qu’aucune accusation n’a encore été déposée, le député Ouellette et ses avocats parviennent à faire invalider par les tribunaux le mandat de perquisition exécuté contre lui un an plus tôt et à écarter toute preuve recueillie, sans opposition de la directrice des poursuites criminelles et pénales. 


25 octobre 2018 


Après avoir remporté l’élection provinciale, le gouvernement Legault accepte, à la demande de la DPCP, de confier au Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) le mandat de se pencher sur les allégations de fuites. 


Pas facile d’être directeur de la SQ 


Serge Barbeau 








1995-1996 


Suspendu après le fiasco de l’affaire Matticks, qui a mené à la commission d’enquête Poitras. 


Guy Coulombe 








1996-1998 


Ce haut fonctionnaire au gouvernement a été le premier civil à diriger la SQ. 


Florent Gagné 








1998-2003 


Sous cet ex-sous-ministre, le règne des civils à la tête de la SQ s’est poursuivi durant cinq ans. 


Normand Proulx 








2003-2008 


Ce policier de carrière était directeur adjoint de la SQ lorsque le gouvernement Charest l’a promu. 


Richard Deschesnes 








2008-2012 


Tassé par le gouvernement Marois, il est accusé d’utilisation frauduleuse du fonds secret de dépenses à la SQ. 


Mario Laprise 








2012-2014 


Cet ex-enquêteur de l’escouade Carcajou fut muté à Hydro-Québec quand les libéraux ont repris le pouvoir. 


Martin Prud’homme 


2014- 


Ex-enquêteur et ancien sous-ministre, il avait laissé son poste pendant un an pour aller diriger la police de Montréal en 2018.