L'Italie et l'Espagne au coeur de la tourmente

La fragilité des 3e et 4e économies de l'Europe angoisse les marchés

Crise de l'euro


Éric Desrosiers - Les marchés ont été pris hier d'un nouveau sentiment d'angoisse à l'idée que la crise de la dette souveraine en Europe puisse s'étendre à l'Italie et à l'Espagne.
L'immense difficulté de l'Europe à trouver une solution à la crise grecque et la crainte de nouvelles chicanes politiques en Italie ont fait reculer hier l'ensemble des marchés boursiers et poussé vers le haut les coûts de financement de plusieurs pays européens. La crainte est de voir l'Italie et l'Espagne, respectivement 3e et 4e économies en importance de la zone euro, après l'Allemagne et la France, venir rejoindre la Grèce, l'Irlande et le Portugal dans le camp des pays confrontés au risque d'être en défaut de paiement.
Les ministres des Finances de la zone euro ont tenté de calmer le jeu, en fin de soirée, en promettant de renforcer leur Fonds de secours financiers et de le doter de nouveaux outils afin de réduire le danger de contagion.
«On est devant quelque chose qui est plus systémique, [...] qui concerne la stabilité de la zone euro dans son ensemble», avait prévenu la ministre espagnole des Finances, Elena Salgado, à son arrivée à la réunion aux allures de sommet de crise.
Les marchés financiers en état de choc
Les Bourses européennes ont été les plus durement secouées, Milan reculant d'environ 4 %, pendant que Madrid perdait 3 %, Paris, 2,7 %, Francfort, 2,3 %, Lisbonne, 4 %, et Londres, 1 %. Les titres de certaines banques européennes ont chuté de près de 8 %. Dans le même temps, les taux espagnols et italiens sur le marché de la dette ont atteint leurs plus hauts niveaux historiques depuis la création de l'euro, tout comme l'écart entre les taux français et allemands. L'euro est aussi passé brièvement sous la barre des 1,40 $US pour la première fois en plus d'un mois et demi.
Les Bourses nord-américaines et asiatiques ont aussi connu une mauvaise journée. Le S&P 500 a cédé 1,8 % à New York, Toronto, plus de 1,4 %, Tokyo, 0,6 %, et Hong Kong, 1,7 %. La devise canadienne a également écopé en perdant 0,89 ¢US, à 103,2 ¢US, les investisseurs inquiets étant allés chercher refuge dans le billet vert.
Tous ces marchés réagissaient à la peur de voir la crise financière européenne s'aggraver et contaminer le reste de l'économie mondiale. Ils accusaient aussi le coup d'autres mauvaises nouvelles, comme les mauvais chiffres de création d'emplois de la semaine dernière aux États-Unis, l'incapacité du Congrès américain d'adopter un budget et la menace de ralentissement économique en Chine.
«Il se passe tellement de choses dans le monde en ce moment qu'on aurait presque besoin d'une carte de pointage pour arriver à tout suivre», observait hier Kevin Giddis, analyste chez Morgan Keegan & Company.

La brique italienne

Les multiples problèmes que rencontre encore aujourd'hui l'opération de sauvetage de la petite économie grecque ont amené de nombreux investisseurs à chercher le prochain maillon faible de la chaîne européenne. L'Italie leur apparaît comme une bonne candidate, non pas à cause de son déficit, qui est relativement bas, à 4,6 % du produit intérieur brut (PIB), mais à cause du fait qu'elle a eu l'une des plus faibles croissances économiques au monde, ces dix dernières années, et que sa dette publique est la deuxième en importance de la zone euro après la Grèce, à 120 % du PIB ou 1600 milliards d'euros. Une dette tellement lourde que la moindre augmentation de son coût de financement peut tout faire basculer.
Conscient de l'importance de ne pas effrayer les marchés, le gouvernement italien a récemment présenté un plan d'austérité de 40 milliards d'euros visant l'équilibre budgétaire pour 2014. De récentes rumeurs de démission du ministre de l'Économie, Giulio Tremonti, liées à un scandale, ainsi que la publication, vendredi, des commentaires désobligeants à son égard de la part du premier ministre et rival politique, Silvio Berlusconi, sont venues réveiller la peur dans les marchés (voir l'autre texte en page B1).
Et pour cause. Selon Barclays Capital, l'exposition des banques européennes en Italie frôlerait les 1000 milliards d'euros, soit six fois plus que les 162 milliards qu'elles ont en jeu en Grèce. Cette exposition s'élèverait à 774 milliards dans le cas de l'Espagne et à 534 milliards pour l'Irlande. Les banques américaines seraient également plus exposées à l'Italie et à l'Espagne qu'à tout autre pays de la zone euro, quoiqu'à un degré nettement moindre, à raison respectivement de 269 milliards d'euros et 179 milliards d'euros.
En fait, l'Italie pèse économiquement deux fois plus lourd que les trois pays qui en ont appelé aux mesures spéciales d'aide mises en place par l'Europe: la Grèce, l'Irlande et le Portugal.
«Si l'Italie tombe, il n'est plus question d'un domino, mais d'une brique», a déclaré Daniel Gros, directeur du Center for European Policy Studies.
Nouvelles mesures
Au terme d'une réunion qui a commencé en fin de journée et ne s'est terminée que huit heures et demie plus tard, les ministres des Finances de la zone euro ont publié une déclaration censée rassurer les marchés sur leur riposte après des semaines d'atermoiements et de divisions. Ils y ont «réaffirmé leur volonté absolue de préserver la stabilité financière dans la zone euro» et assuré vouloir «améliorer la capacité» de l'Union monétaire «à résister à un risque de contagion».
Plus concrètement, ils envisageraient d'augmenter la capacité de prêts de leur Fonds de secours, mis sur pied l'an dernier après la crise grecque et disposant actuellement d'une capacité effective de prêts de 440 milliards d'euros. On serait ouvert aussi à l'idée d'un «allongement des maturités des prêts» consentis par l'Europe aux pays en difficulté, autrement dit leur donner plus de temps pour rembourser, et à des taux d'intérêt plus bas. Cela vaudrait notamment pour le deuxième plan d'aide à la Grèce, censé venir s'ajouter à un premier de 110 milliards d'euros.
Le chef de file des ministres des Finances de la zone euro, Jean-Claude Juncker, a réitéré la volonté des pays de faire contribuer les créanciers privés du pays (banques, compagnies d'assurance, fonds de pension), en dépit des conflits que cette idée suscite entre Européens.
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Avec l'Agence France-Presse, Les Échos.fr, The New York Times et Reuters


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