Dans son dernier livre, Islamophobie : intoxication idéologique, Philippe d’Iribarne détricote le concept d’islamophobie et pointe les effets pervers du discours victimaire.
« Un nouveau mot a été inventé pour permettre aux aveugles de rester aveugle. » En citant Salman Rushdie dès les premières lignes de son ouvrage, Islamophobie : intoxication idéologique, Philippe d’Iribarne donne le ton. Pour ce directeur de recherche au CNRS, l’islamophobie est surtout « une arme d’intimidation pour dissuader d’observer la réalité », une manipulation qui nuit à la paix civile et empêche d’exercer son esprit critique.
« Ce mensonge fait le miel des tenants d’une vision conquérante de l’islam »
Sur un peu plus de 200 pages, l’auteur souligne le caractère discutable et les effets pervers de la rhétorique repentante et victimaire. Méthodiquement. Posément. A contre-courant de ceux qui préfèrent ne voir le réel que d’un œil – généralement le gauche -, il n’hésite pas à mettre le doigt là où ça fait mal.
« En présentant leurs sociétés comme islamophobes et en affirmant que des mesures sévères vont les conduire à s’amender, les Occidentaux ne se mentent pas seulement à eux-mêmes. Ils mentent, plus gravement sans doute, aux musulmans. Ils leur laissent croire que la condamnation morale des « discriminations » jointe aux poursuites envers les coupables suffiront à faire accepter un ordre social islamique, comme si l’Occident pouvait ignorer que cet ordre est incompatible avec ses valeurs de liberté et d’égalité. » Puis d’ajouter : « Les musulmans qui écoutent le discours de l’islamophobie sont entretenus dans l’illusion qu’ils pourront un jour être traités comme des semblables tout en continuant à s’affirmer différents. Ce mensonge a d’autant plus de conséquences qu’il fait le miel des tenants d’une vision conquérante de l’islam. »
L’ « islamophobie » n’a rien à voir avec l’islam
L’auteur pointe la responsabilité de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) qui, dans ses rapports annuels, dépeint une société française empreinte de préjugés à l’égard de l’islam et « hantée par une islamophobie viscérale ». On y apprend ainsi qu’une très grande majorité de Français (86%) estime que le port du voile intégral peut poser problème pour vivre en société et qu’ils sont 58% à penser la même chose concernant le simple port du voile. A l’opposé, seuls 24 % de nos compatriotes considèrent que le ramadan est difficilement compatible avec la société française. Des chiffres qui semblent nuancer fortement l’idée d’un pays rongé par l’islamophobie. « Le jeûne du ramadan, un des cinq piliers de l’islam, dont la dimension religieuse est incontestable, devrait être la pratique la moins acceptée si l’islam en soi était rejeté. Or au contraire, c’est ce qui est le mieux perçu, bien que l’obligation de jeûne puisse parfois poser problème dans l’exercice du travail. Pendant ce temps, le port du voile intégral, qui est très mal vu, n’est pas inhérent à l’islam. » Il relève moins, précise le chercheur, d’une dimension religieuse que d’un ordre social.
A lire aussi: « Il n’y a aucune contradiction à défendre les islamophobes et les musulmans »
S’appuyant sur de nombreuses études, Philippe d’Iribarne fait au passage valoir que la discrimination à l’embauche est moins liée à la couleur de la peau qu’à la pratique de l’islam. Outre certaines revendications religieuses, le port du voile chez les femmes, le refus chez certains hommes d’être dirigés par le « sexe faible » ou même de lui serrer la main ne vous garantit pas de faire forte impression lors d’un entretien d’ébauche… Une soumission des femmes pleinement justifiée par le Coran (un musulman peut épouser une non-musulmane mais pas l’inverse ; un homme peut répudier sa femme mais pas l’inverse ; un homme vaut deux femmes en matière de témoignage, etc.), comme l’illustre, entre autres, le délicieux verset 34 de la sourate IV : « Admonestez celles dont vous craignez l’infidélité, reléguez-les dans les chambres à part et frappez-les. » On ne sera pas forcément interloqué dès lors par le rapport récent de l’Institut Montaigne (2016), dans lequel on apprend que seul 5 % de la population française… mais 56 % des musulmans français approuvent la proposition suivante : « Une femme doit obéir à son mari ».
La religion des opprimés
Le chercheur du CNRS démonte un à un les raisonnements sophistiques de l’argumentaire victimaire, omniprésent dans le monde universitaire, mais aussi médiatique et politique. Ainsi, ceux qui tronquent le célèbre verset 32 (« Celui qui tue un homme, c’est comme s’il tuait toute l’humanité… ») pour faire du Coran l’étendard d’une religion d’amour et de paix, oublient de préciser que cette injonction ne concerne que les musulmans et omettent surtout ce qui suit. Deux versets plus loin, on peut ainsi lire : « Seule rétribution de ceux qui combattent Dieu et son Prophète et se démènent pour faire dégât sur la terre : les tuer, ou les crucifier, ou leur couper les mains ou les pieds en diagonale… » Tant que ça n’est qu’en diagonale…
Fondé sur la vulgate rousseauiste qui veut que le dominant soit forcément coupable même s’il est innocent et le dominé forcément innocent même s’il est coupable et sous-tendu par l’idée que l’islam est la religion des opprimés et le musulman le nouveau damné de la Terre, ce type de raisonnement diffuse souvent une vision hémiplégique de l’histoire. Celle du musulman victime des croisades, de la colonisation, bref de l’Occident. En oubliant au passage que la réciproque fut au moins aussi féroce : les conquêtes arabes, les huit siècles de domination musulmane en Espagne, la chute de Byzance, le siège de Vienne, les pirates barbaresques, les Européens – tels Cervantès – réduits en esclavage…
Les incantations sur l’islamophobie sont contre-productives et enferment des millions d’individus dans le ressentiment à notre égard, martèle l’auteur. « Il conduit ceux qui le reçoivent à s’imaginer entourés d’ennemis : les Occidentaux, souvent qualifiés de « croisés », et les juifs. Remontés contre les sociétés d’accueil, ceux qui en sont dupes sont dissuadés de chercher à s’y fondre. Les mieux intégrés, qui respectent les usages locaux, se sentent coupables à l’égard de ceux qui vivent intensément leur appartenance à l’islam. »
Le cancer du poumon n’a rien à voir avec les poumons
Philippe d’Iribarne voit dans le pas d’amalgame et l’affirmation que l’islam n’a rien à voir avec l’islamisme (ou vice-versa) l’argument spécieux par excellence, celui qui vise à dénier ou minimiser une réalité ou une tendance quand elle nous déplaît, « un sophisme qui serait aussitôt dénoncé dans un domaine idéologique moins marqué ». Suivant la même logique, nous viendrait-il à l’esprit de clamer que le cancer du poumon n’a rien à voir avec le tabac sous prétexte que beaucoup de personnes fument sans en être victime ? Ou que certains cancers du poumon ne sont pas toujours dus au tabac ? On pense ici à la fameuse, pardon fumeuse, argutie selon laquelle l’islam n’a pas le monopole de l’intolérance, du sexisme, de l’homophobie ou de l’antisémitisme…
A lire aussi: « Islamophobie »: les bobards de M. Boubakeur
Le directeur de recherche au CNRS affiche son scepticisme sur le vote de la loi Pleven en 1972, modifiant celle de 1881 sur la liberté de la presse, qui punit désormais les coupables de provocations « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Mais, comme le souligne l’auteur, où commence l’incitation à la discrimination, la haine ou la violence ? Tout propos critique, si anodin soit-il, ne devient-il pas du coup sanctionnable pénalement ? Des hommes inspirés jadis par les Lumières tels que Montesquieu (« Le gouvernement modéré convient mieux à la religion chrétienne et le gouvernement despotique à la mahométane ») ou Levi-Strauss (« En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien du dialogue, l’intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s’en rendent coupables ») seraient aujourd’hui cloués au pilori et poursuivis dans les prétoires par certaines associations prétendument antiracistes.
Jusqu’ici tout va mal
Face à une religion qui tarde à faire l’examen historico-critique qu’a déjà accompli le christianisme et le judaïsme, Philippe d’Iribarne se pose ouvertement la question de sa compatibilité avec les valeurs de la République. A fortiori si l’islam refuse de distinguer le politique du religieux. Comment concilier la vision irénique de l’islam et l’existence d’aspects sombres dans l’écrasante majorité des pays où il fait la loi ? Comment justifier le refus de la liberté de conscience et la difficulté à mettre en place une démocratie pluraliste dans le monde musulman ? « N’est-il pas temps pour l’Occident de faire clairement connaître à ceux qu’il accueille que sa vénération pour la liberté et l’égalité, laquelle marque depuis des siècles son projet de civilisation, n’est pas négociable ; que les nouveaux venus n’ont aucune chance de devenir des membres respectés des sociétés occidentales s’ils restent étrangers à cette vénération ? »
Et de conclure, quelques lignes plus loin : « La forme d’islam qui a actuellement le vent en poupe privilégie l’imposition d’un ordre social. Cet ordre est-il consubstantiel à l’islam ? Relève-t-il d’une sorte d’essence de celui-ci ? Manifestement, les islamistes en sont convaincus. Mais, si c’est bien le cas, les adversaires résolus de l’islam ont raison d’affirmer que c’est dans son ensemble, dans toutes ses dimensions, qu’il est incompatible avec les valeurs de l’Occident. Tout espoir de voir l’islam s’intégrer paisiblement à celui-ci serait dès lors illusoire. »
Islamophobie : intoxication idéologique (éditions Albin Michel), à lire cet été sur la plage. Avec ou sans burkini.