Anne Hidalgo envisage de débaptiser la rue « Alain » à Paris pour antisémitisme. Les plaques de rues de la capitale seraient peuplées d’antisémites et d’islamophobes notoires. Pourquoi combattre ceux d’aujourd’hui quand on peut dégrader ceux d’hier?
Madame la maire, chère Anne Hidalgo,
C’est l’un de vos plus fervents admirateurs qui vous écris.
J’apprends que la mairie de Paris se donne le temps de la réflexion pour savoir s’il faut débaptiser la rue Alain, dans le 14e arrondissement. Le journaliste et philosophe, qui n’était pas un grand résistant si vous voyez ce que je veux dire1, aurait gribouillé des lignes teintées d’antisémitisme dans son journal intime.
Ne réfléchissez pas trop longtemps et foncez madame la maire, comme vous savez si bien le faire. Enfin, « foncez » est un bien grand mot car il est désormais rare de dépasser les 12 km/h dans notre belle ville, grâce à votre politique volontariste et courageuse. N’écoutez pas tous ceux qui vous critiquent, essentiellement parce que vous êtes une femme, comme vous le martelez à juste titre. Certains membres de votre majorité réclament depuis des années qu’une rue de Paris porte enfin le nom de Robespierre. C’est l’occasion ou jamais. Une artère parisienne au nom de l’Incorruptible, du chantre de la Vertu pour remplacer la rue Alain, ça aurait de la gueule non ?
Mais il ne faut surtout pas s’arrêter en si bon chemin, si j’ose dire. Car Alain est hélas l’arbre qui cache la forêt. D’innombrables rues de Paris portent encore aujourd’hui le patronyme de personnalités qui se sont fourvoyées dans l’antisémitisme. Jean Jaurès, par exemple, écrit en 1898 : « La race juive (…) toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain quand ce n’est pas par la fièvre du prophétisme, manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corruption et d’extorsion. »2 Je propose donc fort logiquement que l’avenue Jean Jaurès (19e) soit aussitôt rebaptisée avenue du Vivre-ensemble.
Changeons aussi le nom de la rue Pierre Leroux (7e), cet autre socialiste ayant notamment écrit que le juif est « odieux par son esprit de lucre et de spoliation ». Ou encore la rue Joseph Proudhon (12e), lequel évoque en son temps « cette race qui envenime tout, en se fourrant partout (…) Le juif est l’ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie, ou l’exterminer ».3 Même sort pour la rue George Sand (16e), la place Jacques Bainville (7e), la rue Charles Fourier (13e), la rue Gustave Le Bon (14e), l’avenue Pierre Loti (7e) ou encore le boulevard Auguste Blanqui (13e). Tous ont flirté avec l’antisémitisme, au même titre que Georges Bernanos, dont l’avenue dans le 5earrondissement pourrait du coup être renommée avenue du Bouchon.
La rue des Goncourt (11e) est un trop bel hommage à ces deux grands amis d’Edouard Drumont, fondateur de la Ligue antisémitique de France, à qui l’antidreyfusard Alphonse Daudet prête de l’argent afin qu’il publie à son compte le pamphlet La France Juive. Je suggère par conséquent que la rue Daudet (14e) s’appelle désormais la rue de la double file. Pas de quartier non plus pour le dialoguiste Michel Audiard, qui écrit des textes antisémites dans des revues collabos. On pourrait rebaptiser la place qui porte son nom dans le 14e : place des Cons qui osent tout.
Que penser de cette statue qui trône sur le Sacré-Cœur, celle de Saint-Louis, le roi de France qui impose en 1269 le port de la rouelle, ce sinistre avant-goût de l’étoile jaune ? Ou encore du lugubre boulevard Voltaire (11e), futur Boulevard de l’heure de pointe ? En plus d’être antisémite4, l’auteur de Candide devient à l’âge de 50 ans l’amant de sa nièce et affiche pleinement ses préjugés homophobes, assimilant la pédérastie à « un attentat infâme contre la nature », « une abomination dégoûtante » et une « turpitude ». Bel exemple pour notre jeunesse ! Pour couronner le tout, Voltaire est aussi férocement islamophobe et traite Mahomet d’« imposteur », de « fanatique » ou encore de « faux prophète ».
A ce sujet, j’ai le regret de vous informer que les rues de Paris sont pavées d’islamophobes en tout genre. C’est notamment le cas des rues de Tocqueville, Flaubert5 et Alfred de Vigny6, toutes situées dans le 17e arrondissement. Pourquoi ne pas les rebaptiser rue Edwy Plénel, rue Caroline de Haas et rue Clémentine Autain, des personnalités progressistes peu suspectes d’islamophobie ? Pour les mêmes raisons, changement de nom impératif pour le lycée Condorcet (9e)7, l’école primaire Bossuet (6e)8, la rue Chateaubriand (8e)9, l’avenue Winston Churchill (8e)10, la rue Ernest Renan (15e)11 ou encore la promenade Claude Levi-Strauss (13e)12.
Ce funeste catalogue est encore long, car Alain n’est pas le seul à s’être acoquiné avec l’occupant sous le régime de Vichy. Jean Cocteau et le sculpteur Paul Belmondo ont chacun leur rue dans la capitale. Non loin de la rue Pavée (4e), que l’on pourrait renommer rue Pavée de bonnes intentions, Tino Rossi dispose d’un jardin à son nom, quai Saint-Bernard (5e). Maurice Chevalier, qui chante pour les troupes de Vichy à Tunis et régulièrement pour Radio Paris (avec Fernandel) possède une place éponyme dans le 20e. Tout comme Edith Piaf, qui chante à l’ambassade d’Allemagne et part même faire entendre sa voix dans le Reich hitlérien en compagnie de Charles Trénet, lequel porte le nom d’un jardin du 13e. A la Libération, l’interprète de « Douce France » se voit d’ailleurs infliger dix mois d’interdiction professionnelle par les comités d’épuration.
Toujours dans le 13e arrondissement se trouve la rue Jean Giono, une des voix de Radio Paris, célèbre pour avoir déclaré : « Je préfère être un Allemand vivant qu’un Français mort. » A la Libération, l’auteur du Hussard sur le toit est inscrit sur la liste noire du Comité national des écrivains, issu de la Résistance. Je propose que cette rue soit illico rebaptisée rue des travaux permanents. La rue Louis Lumière (20e) pourrait devenir la rue du Point mort. L’un des précurseurs – avec son frère Auguste – du cinéma n’a jamais caché sa sympathie pour Mussolini et pour le Maréchal, ce qui lui vaut d’être décoré de la Francisque. D’ailleurs, puisqu’on évoque le sujet, la plus grande bibliothèque de la capitale porte le nom d’un autre décoré de la Francisque aux amitiés parfois douteuses. Trouvez-vous cela normal madame la maire ?
Un grand coup de balai est nécessaire, comme vous pouvez le constater. Mais à l’heure où la colonisation est « un crime contre l’humanité », dixit notre président de la République, comment expliquer que Jules Ferry soit sur le fronton de tant de nos écoles ? Surnommé « Tonkinois » par ses adversaires politiques, ce colonialiste déclare en juillet 1885, à l’Assemblée nationale : « Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. »Je suggère que le boulevard Jules Ferry (11e) s’appelle désormais sobrement le boulevard des Rats et que l’avenue Victor Hugo (16e) – qui soutient la politique coloniale au nom des droits de l’homme – soit rebaptisée avenue de l’Asphyxie.
La place Che Guevara – je sais que vous l’aimez bien madame la maire – pourrait remplacer dans le 11e la place Léon Blum, lequel déclare en 1925 à la Chambre des députés : « Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture. » Il est également choquant, en 2018, que nos anciens gouverneurs ou administrateurs coloniaux (Armand Rousseau, Doumer, Dupleix, Faidherbe, Lyautey ou encore Gallieni, qui instaure le travail forcé des indigènes à Madagascar) soient autant mis à l’honneur à travers nos rues, avenues, stations de métro, édifices publics et statues. Il existe même une avenue (13e) et un stade (16e) au nom de Pierre de Coubertin, ce baron réactionnaire et misogyne (il est opposé à la participation des femmes aux JO) qui affirme : « Dès les premiers jours, j’étais un colonialiste fanatique. » Ou encore : « Les races sont de valeur différente et à la race blanche, d’essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance. »
Pour les mêmes raisons, il semble urgent de renommer le lycée (14e) et la rue (11e) Paul Bert13, ainsi que la Place Edouard Herriot (16e). Celui qui est à l’origine de l’expression « Français moyen » se prononce contre l’égalité des droits politiques pour les populations de l’Empire, en août 1946 : « Si nous donnions l’égalité des droits aux peuples coloniaux, nous serions la colonie de nos colonies ! » Pour des raisons évidentes, je préconise aussi que la rue de la Pompe (16e) soit déplacée dans le 15e, à la place de la rue Félix Faure, qui meurt dans des conditions scabreuses quelques années après avoir participé à l’expansion coloniale, notamment à Madagascar.
Dans la foulée du Cran, qui appelle à déboulonner les statues de Colbert, lequel élabore en son temps la première mouture du Code noir, il me semble judicieux d’en faire de même pour le monument du 12e qui célèbre, en face de l’ex-musée des colonies (heureusement débaptisé depuis) Jean-Baptiste Marchand, ce lieutenant qui participe à la conquête coloniale du Soudan français (Mali) et commande la mission Congo-Nil. Idem pour la statue de Napoléon Bonaparte qui s’affiche fièrement aux Invalides. Dans une ville qui s’honore de servir les valeurs humanistes de paix, de fraternité et de vivre ensemble, vous m’accorderez que célébrer ainsi un tyran qui met l’Europe à feu et à sang et rétabli l’esclavage fait un peu désordre.
Au XXIe siècle, pourquoi cette capitale mondiale du progressisme que vous incarnez si bien, madame la maire, est-elle toujours parsemée de noms d’artères célébrant des maréchaux ou généraux d’Empire, tous complices de cette boucherie morbide ? Certains de vos amis politiques ont bien compris que commémorer, c’est aussi quelque part un peu célébrer, comme la récente polémique sur Charles Maurras l’a souligné. Du coup, que penser de toutes ces rues ou stations de métro qui portent le nom de batailles sanglantes. C’est en assistant à l’horrible carnage de Solferino (7e) qu’Henri Dunant a l’idée de créer la Croix Rouge. Je vous laisse toutefois le soin de débaptiser ou non le centre de gérontologie du 16e qui porte le nom de ce Suisse illustre, Dunant ayant été condamné pour faillite frauduleuse en 1867…
L’exigence d’exemplarité qui est la vôtre doit aussi vous interroger sur la pertinence de la place Paul Verlaine (13e), un soudard névropathe qui tire à bout portant sur Rimbaud et tente plusieurs fois d’étrangler sa mère. Le boulevard Beaumarchais célèbre un marchand d’arme, la rue François Villon un voleur et le meurtrier d’un prêtre14, et Gustave Courbet fait abattre la colonne Vendôme durant la Commune. Par souci de simplification administrative je propose que cette rue du 16e soit rebaptisée rue Julien Courbet.
Une rue Jean Bart (6e) et une rue Surcouf (7e) célèbrent des corsaires. Pourquoi pas une rue du capitaine Crochet et une impasse Barberousse pendant qu’on y est ? La rue Jean-Jacques Rousseau (1er) porte le nom d’un homme qui abandonne tous ses enfants à la naissance, la rue Jean Mermoz (8e) rend hommage à l’un des dirigeants des Croix de Feu (du colonel de la Rocque) qui sera même célébré par le régime de Vichy. Sigmund Freud, ce psy cocaïnomane qui signe une dédicace personnelle à Mussolini porte le nom d’une rue du 19e, que je vous propose de renommer rue Gérard Miller. Enfin, quelque part entre la rue Brisemiche, la rue de la Grande Truanderie et la rue des Deux Boules se trouve la rue de Turenne (3e-4e), responsable notamment du Ravage du Palatinat en 1674. La rue du Camion de livraison me semble plus appropriée.
Ne prêtez pas attention, madame la maire, à tous ces pisse-froid qui vous désapprouvent (parce que vous êtes une femme), qui prétendent que vous allez encore trop loin, que vous ouvrez la boîte de Pandore, que la vertu est moins le contraire d’un vice qu’un juste milieu entre deux vices opposés. Vous avez maintes fois démontré que vous n’étiez pas du genre à transiger et vous avez de nouveau l’occasion de marquer de votre empreinte l’histoire de notre belle ville. Je compte sur vous, les Parisiens aussi.