L'hypothèque nucléaire

"affaires" - Énergie atomique du Canada



Après des années et des milliards d'investissements, le gouvernement fédéral s'est départi de la division des réacteurs CANDU d'Énergie atomique du Canada (EACL) pour une somme qui «pourrait» atteindre 15 millions de dollars. C'est moins que ce que les Canadiens ont payé pour un simple complexe récréatif et communautaire à Huntsville (16,7 millions), lieu de rencontre du Sommet du G8.
Ottawa répond qu'il a gardé ses droits sur la propriété intellectuelle de la technologie CANDU et qu'il tirera des redevances pendant 15 ans de chaque vente que fera SNC-Lavalin, le seul acheteur qui s'est manifesté. Le gouvernement parle de revenus pouvant atteindre 285 millions, sans toutefois dire comment il en arrive à ce chiffre.
Le hic est qu'Ottawa n'a cédé qu'en partie les trois secteurs d'activités de la division, soit les services au parc existant de réacteurs, les futurs projets de prolongation de vie utile de ces réacteurs et la construction de nouvelles centrales. Ottawa affirme que la transaction réduira «l'exposition des contribuables aux risques inhérents au commerce de l'énergie nucléaire».
Mais, parce qu'il y a un mais, EACL reste entièrement responsable des cinq projets de mise à niveau en cours: Point Lepreau (Nouveau-Brunswick), Bruce 1 et 2 (Ontario), Wolsong (Corée du Sud) et Gentilly-2 (Québec). SNC-Lavalin fera le travail, mais en sous-traitance. Tous les risques de dépassement de coûts et d'ennuis techniques seront pris par EACL. En d'autres mots, par les Canadiens.
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On comprend que SNC-Lavalin n'ait pas voulu assumer ce fardeau. Le gouvernement reconnaît lui-même que «les premiers projets de prolongation de la durée de vie utile se sont heurtés à des problèmes techniques et à des problèmes d'échéanciers, ce qui a fait augmenter les coûts pour EACL. [...] Depuis 2005-2006, le total du financement des projets de prolongation de la durée de vie utile et de leurs exigences opérationnelles commerciales a atteint 855 millions de dollars».
Et ce n'est pas fini si l'on se fie à ce qui se passe à Point Lepreau. Les travaux y sont tellement en retard — trois ans — et les dépassements de coûts si importants — on parle d'un milliard — que le gouvernement du Nouveau-Brunswick exige d'Ottawa un dédommagement dépassant deux milliards de dollars. La province a en plus décidé de se tourner vers un autre fournisseur, la française Areva, pour un futur réacteur.
Malgré cela et malgré le fait qu'aucun réacteur n'ait été vendu depuis des années, le prix de vente de la technologie, redevances comprises, reste dérisoire en comparaison des fonds publics investis dans cette filière nucléaire depuis 1952 ou même depuis seulement cinq ans (2,5 milliards, dont 1,2 milliard pour appuyer la division qui vient d'être vendue). Le pire est que la vente n'annonce pas la fin immédiate de ces injections de fonds. Le gouvernement s'est engagé à verser jusqu'à 75 millions de dollars à SNC-Lavalin pour poursuivre le développement du dernier modèle de réacteur CANDU, le CANDU 6. En contrepartie, la firme québécoise devra elle-même investir jusqu'à 32 millions environ. Bien que l'on dise la recherche sur le point d'aboutir, SNC-Lavalin n'est tenue à aucun résultat, ni à poursuivre la recherche une fois ces fonds épuisés.
Au bout du compte, si les redevances ne sont pas au rendez-vous et si le développement de la nouvelle technologie fait chou blanc, Ottawa se retrouvera à verser plus de fonds à SNC-Lavalin qu'il n'en retirera de la vente. Et il assumera toujours l'impact financier des mises à niveau en cours.
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La vente de la division CANDU d'EACL laisse plusieurs questions sans réponse. La première, incontournable, consiste à savoir combien coûtera encore la filière nucléaire au Trésor fédéral. En se départant d'une partie de la société d'État, le gouvernement évite peut-être encore plus de pertes, mais il continue à assumer seul des risques importants. Pourquoi alors persiste-t-il à investir des fonds dans le développement du CANDU 6? La question se pose d'autant plus que l'on n'a pas fini de payer pour les réacteurs existants. Il faudra un jour les démanteler, ce qui coûtera encore très cher aux contribuables.
Finalement, la question vraiment fondamentale est de savoir si cela vaut la peine de poursuivre le développement de cette filière et de prolonger la vie utile des réacteurs existants. Ne serait-il pas mieux de mettre tous ces millions et milliards dans la recherche d'autres sources d'énergie moins dangereuses?
Les dommages causés aux centrales japonaises à la suite du tremblement de terre de mars dernier ont mis en relief les risques associés à cette source d'énergie, ce qui a freiné le regain de popularité dont elle bénéficiait dans le sillage de la lutte contre les changements climatiques. Le nucléaire a le grand avantage de ne produire aucun gaz à effet de serre, mais il génère des déchets radioactifs dangereux qui ont la vie longue. Plus longue que celle des réacteurs qui les produisent. Cela veut dire un fardeau pour les générations futures qui ne bénéficieront même pas de l'énergie produite.
Ottawa dit devoir procéder à cette vente pour protéger les coffres de l'État. On ne veut plus s'endetter financièrement? D'accord, mais que dire de cette dette d'une autre nature qu'on laisse derrière nous? Le temps est venu d'y penser et de chercher une façon de l'alléger elle aussi.


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