Les commémorations entourant la Journée nationale des patriotes se sont fait on ne peut plus discrètes cette année. Les martyrs et les héros constituent pourtant le butin de guerre culturel, l’héritage symbolique permettant à l’élite de perpétuer son hégémonie idéologique. Tous les grands épisodes historiques participent ainsi à ce que le penseur Walter Benjamin appelle le « cortège triomphal » des vainqueurs. Ce cortège d’élite est chargé de ces « grands hommes » de pouvoir qui ont marqué notre « grande histoire », mais également de quelques martyrs, victimes d’une autre époque dont nous sommes heureusement sortis.
Les Patriotes sont une pièce de l’héritage symbolique de l’élite québécoise. À l’entendre –lorsqu’elle ne parle pas des Patriotes en termes strictement négatif, comme l’a fait Benoit Pelletier dans La Presse cette semaine – ces martyrs se seraient battus pour bâtir « notre » société. Ils auraient été des précurseurs de la lutte pour la souveraineté du Québec, des précurseurs de « notre » démocratie et de « nos » droits constitutionnels; bref, ils auraient été – et c’est à peu près le seul crime que l’histoire officielle pardonne – en « avance sur leur temps ».
Enfermer le passé
Or, comme le rappelle le penseur John Holloway, en considérant le passé comme la préhistoire du présent, on le purge de toute la négativité et de l’utopie dont il est pourtant traversé. L’histoire est ainsi présentée sous le mode de l’indicatif, comme un processus relatant ce-qui-était sans considérer le mode du subjonctif, du possible, de l’incertitude, bref, de ce-qui-aurait-pu-être. L’histoire perd de ce fait toute altérité. Cette téléologie fait violence au passé en l’enfermant dans les frontières de notre présent, mais également au futur qui, ainsi purgé de critique et d’utopie, peut désormais être considéré comme le prolongement d’un processus à la trajectoire prédéterminée.
Or, le mouvement patriote était un mouvement révolutionnaire qui ne trouve son prolongement en aucune des familles politiques dominant actuellement l’espace public. Les Révolutionnaires de 1837 ne se battaient pas pour l’avènement de la « démocratie » telle qu’on la connait maintenant – ce mot est d’ailleurs à peu près absents de leur discours –, mais bien pour l’avènement d’une autre société qui n’a jamais vu le jour et qui fut réprimée dans le sang.
Nier la radicalité
Dès le début des années 1830, la radicalité du mouvement se manifeste par de sanglantes émeutes (qui se font parfois à coups de fusils, de couteaux et de bâtons cloutés), par des attaques contre des manoirs, des actions directes contre « clique des bureaucrates », des charivaris, des assemblées publiques, des escarmouches contre les troubles anglaises, etc. Ces modes d’action ne sont pas ceux privilégiés par les patriotes modérés. Dès 1837, l’aile réformiste du mouvement en fuite aux États-Unis tente désespérément de favoriser un règlement diplomatique ou attend, plus simplement, que la tempête passe. C’est le cas de Papineau lui-même, ce qui lui voudra le titre peu honorable de « Grand chef » ou de « Numéro 1 » de la part des radicaux fomentant, au même moment, le deuxième soulèvement armé. Certains lui reprochaient depuis longtemps ses positions conservatrices et sa défense de la tenure seigneuriale, on parle désormais de lui comme d’un homme déshonorable.
Afin de lever son verre à la mémoire des Patriotes, notre élite libérale, conservatrice ou souverainiste doit donc préalablement épurer le mouvement rebelle de ses composantes radicales et violentes. Ce réalignement du passé sur le présent serait toutefois incomplet s’il ne se prolongeait sur le terrain de l’identité, qui est, elle-aussi, incompatible avec la conception élitiste actuelle de la Nation.
Nier les identités
Paradoxe pour les nationalistes actuels: ce n’est pas l’appartenance à un passé commun qui fonde l’identité canadienne de l’époque, mais bien l’appartenance à un projet futur. Pour les Rebelles, l’ennemi n’est pas « Anglais » – nombre de ceux-ci se joignent d’ailleurs à leur lutte –, mais bien la « clique du château » ou encore les « bureaucrates » à la solde du statu quo. Plus encore, c’est souvent l’ennemi qui accuse les Patriotes d’avoir dans leur rang des étrangers, ce à quoi les Républicains répliquent que le terme de Canadien inclut « tous ceux qui font cause commune » pour la patrie.
Loin de la nation abstraite et sans contenu de la thèse libérale contemporaine tout autant que de la définition culturelle et ethnique propre à l’idéologie conservatrice, les Patriotes, encore une fois, portaient une part de critique et d’utopie irréductible à l’idéologie de notre élite contemporaine. C’est donc à tort que celle-ci, souverainiste ou non, confortablement lovée dans le confort du statut quo, se permet de célébrer l’héritage des patriotes. À notre ère de conservatisme et de rectitude politique, même la frange modérée de ce mouvement historique passerait pour « extrémiste ».
Quant à l’aile radicale, celle qui tenta de renverser l’ordre établi et de refonder la société sur de nouvelles bases, ses volontés de transformer la société furent écrasées dans le sang. Cette tentative d’émancipation participe à cette historique négation de la domination et de l’exploitation, c’est contre elle que furent dirigés les centaines d’arrestations, les villages incendiés, les assassinats, les pendaisons et les dizaines de déportations. Et comme ceux et celles qui désirent une transformation radicale du monde n’ont désormais plus voix au chapitre dans l’espace public, l’héritage des patriotes reste présentement sans testament. Il git toujours, comme les vaincus d’aujourd’hui, sous le cortège triomphal des vainqueurs.
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Par Marc-André Cyr
Étudiant au doctorat en science politique, UQAM
L’héritage sans testament des Rebelles de 1837
le mouvement patriote était un mouvement révolutionnaire qui ne trouve son prolongement en aucune des familles politiques dominant actuellement l’espace public.
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