C’est devenu un cliché. La social-démocratie est en crise partout dans le monde. Le cas du Parti socialiste français est sur le point d’entrer dans les livres d’histoire. Après cinq ans au pouvoir sous la présidence de François Hollande, le voilà transformé en tiers parti. Aux dernières élections européennes, le parti de François Mitterrand et de Pierre Mendès France a franchi de justesse la barre des 5 % qui permet d’avoir des députés. Tous les sondages montrent que la plupart des Français ne connaissent même pas le nom de son secrétaire général, Olivier Faure.
L’exemple français est extrême, mais il illustre le déclin de la plupart des grands partis sociaux-démocrates. Bref, de cette gauche antitotalitaire qui avait toujours refusé le diktat du marché sans pour autant succomber aux sirènes du gauchisme et de ses lendemains qui chantent. Ce déclin se vérifie aussi bien en Allemagne qu’au Québec, où le Parti québécois est sur le respirateur artificiel.
Deux exemples récents semblent pourtant faire mentir cette tendance lourde. Celui de l’Espagne, où le parti de Pedro Sánchez (PSOE) est arrivé en tête le 28 avril dernier. Au Danemark, les sociaux-démocrates ont aussi repris le pouvoir après quatre ans de purgatoire en faisant élire le plus jeune premier ministre de l’histoire du pays, l’ancienne ministre du Travail Mette Frederiksen.
Si la victoire espagnole s’explique par le scandale de corruption qui a frappé le Parti populaire et les dissensions qui ont déchiré Podemos, il en va autrement des sociaux-démocrates danois. Cette victoire est le résultat d’une analyse en profondeur des causes pour lesquelles ces partis sont l’objet d’un rejet massif de la part des électeurs. Il montre aussi que, pour peu qu’on le veuille, on peut tirer les leçons d’une défaite.
Au Danemark, comme dans de nombreux pays européens, les problèmes des sociaux-démocrates ont commencé à partir du moment où ces partis se sont convertis à l’ouverture tous azimuts des frontières. En 2015, la social-démocratie danoise n’attirait plus que 21 % des électeurs syndiqués. Un anachronisme pour un parti qui avait toujours été proche des syndicats et très implanté dans les milieux ouvriers. En réalité, depuis de nombreuses années, ces électeurs étaient progressivement en train de passer aux mains du Parti du peuple danois, un parti d’extrême droite. Le cas n’est pas unique, du Rassemblement national en France au nouveau parti espagnol Vox, tous ces partis se sont principalement développés dans les anciens bastions électoraux de la gauche.
« Partout, la social-démocratie est en crise […] partout où elle n’a pas su relever le défi de l’immigration », nous expliquait l’an dernier à Copenhague l’ancien ministre Henrik Sass Larsen. Ce fils d’un ouvrier de la construction qui a grandi dans la banlieue ouvrière de Taastrup est à l’origine du virage qu’a opéré son parti. Au lieu d’accepter les bras ballants de ne plus être que le parti de la petite bourgeoisie des villes et des gagnants de la mondialisation, les sociaux-démocrates danois se sont relancés à la conquête de leur électorat naturel.
Pour cela, il a d’abord fallu écouter ce que ces électeurs avaient à dire et cesser de les traiter de racistes dès qu’ils émettaient une réserve sur l’immigration. Il a ensuite fallu accepter de ne plus considérer cette dernière sous le seul angle économique, comme le fait le patronat, mais de tenir compte de son impact souvent négatif sur les travailleurs non qualifiés. Sans oublier l’apparition de ghettos ethniques dans les anciens quartiers populaires. Pour ce petit pays de 6 millions d’habitants, l’exemple du voisin suédois est en effet inquiétant : après avoir été le pays le plus accueillant du monde, la Suède a vu se constituer d’immenses ghettos ethniques au coeur de ses grandes villes. Des ghettos qu’elle mettra des années à démanteler.
Nous sommes revenus à la position traditionnelle de la gauche, qui s’est toujours d’abord souciée de protéger les travailleurs contre l’ouverture inconsidérée des frontières, nous expliquait le député Mattias Tesfaye, ancien syndicaliste et fils d’un réfugié éthiopien. Cette politique restrictive en matière d’immigration n’empêche pas le nouveau gouvernement danois d’accueillir des réfugiés et surtout d’être l’un des plus généreux au monde en matière d’aide aux pays en développement.
Le résultat a été immédiat. Après avoir participé au gouvernement depuis dix ans, le Parti du peuple a vu son électorat fondre au soleil. Il est aujourd’hui relégué en quatrième position.
L’exemple danois est riche en enseignement. Il prouve d’abord que la social-démocratie n’est pas morte. Il nous incite enfin à cesser de considérer l’immigration économique comme une religion. Il n’y a pas de diktat moral qui vaille. Chaque pays est en droit de réguler ses flux migratoires comme bon lui semble en tenant compte de ses besoins économiques, mais aussi des seuils d’intégration et des sensibilités politiques et culturelles de sa population. L’exemple de nombreux pays européens le prouve amplement, c’est en refusant cette attitude pragmatique qu’on ouvre la porte à l’extrême droite et au racisme.