L'Europe donne son feu vert au « pétrole sale » du Canada

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Il reste encore une étape à franchir en début d'année

Il s'en est fallu de peu – quelques dizaines de voix – pour que le Parlement européen fasse barrage aux sables bitumineux canadiens. Mercredi 17 décembre, en séance plénière, une majorité d'eurodéputés (337 voix pour, 325 contre, 48 abstentions) se sont opposés à une directive de la Commission de Bruxelles sur la qualité des carburants,dans laquelle les dommages environnementaux causés par ces hydrocarbures non conventionnels ne sont pas pris en compte. Mais la majorité qualifiée (376 voix) n'ayant pas été atteinte, la directive a été finalement adoptée. Ouvrant grand les vannes aux importations de bitumineux.
Les enjeux, environnementaux et économiques, sont considérables. L'extraction des sables bitumineux (un mélange de sable et de pétrole brut très visqueux et très dense), dont les principaux gisements se trouvent dans la province de l'Alberta, au Canada, détruit des forêts et des zones humides, pollue les sols et les eaux, tout en générant des rejets de gaz à effet de serre très supérieurs à ceux des forages pétroliers conventionnels.
INTENSITÉ CARBONE
C'est pour cette raison qu'en octobre 2011, la Commission européenne avait décidé de pénaliser ces hydrocarbures, en leur affectant une « intensité carbone », c'est-à-dire une valeur d'émission de CO2 supérieure de 22 % à celle du pétrole brut ordinaire (107 grammes d'équivalent CO2 par mégajoule, contre 87,5). Ce qui devait dissuader les pétroliers d'incorporer des huiles de sables bitumineux dans les carburants qu'ils mettent sur le marché européen, étant donnée l'obligation qui leur est faite, par ailleurs, de baisser de 6 %, d'ici à 2020, les émissions de gaz à effet de serre de ces mêmes carburants. Cela, en vertu de l'engagement communautaire de réduction de 20 % de ces émissions à la fin de la décennie.
Mais trois ans plus tard, en octobre 2014, Bruxelles a fait marche arrière. La nouvelle directive sur la qualité des carburants noie les sables bitumineux dans l'ensemble des hydrocarbures, sans prendre en compte l'origine des pétroles, donc sans distinguer leur impact plus ou moins grand sur le réchauffement climatique. Il n'y a pas lieu, justifie la Commission, « d'opérer une différenciation de l'intensité d'émission des gaz à effet de serre des carburants en fonction de la source de la matière première, car cela ne serait pas sans conséquence pour les investissements actuels dans certaines raffineries dans l'Union ».
LOBBY PÉTROLIER
Comment expliquer ce revirement ? Par le lobbying intensif mené, auprès des instances européennes, par le Canada et l'industrie pétrolière, accusent les ONG. « Le lobby féroce du Canada et des très grandes compagnies pétrolières a conduit la Commission à affaiblir sa loi sur les carburants sales », dénonce Nusa Urbancic, de l'association européenne Transport & Environnement. Celle-ci retient cependant que, même si les eurodéputés frondeurs n'ont pas eu gain de cause, « le Parlement s'est dressé [contre la directive] et a déclaré qu'il fallait en faire plus sur les carburants sales après 2020 ».
« Jusqu'au vote, les lobbies pétroliers ont cherché à influencer les positions des députés européens », estime lui aussi l'eurodéputé (Verts) Yannick Jadot, vice-président de la commission du commerce international et membre de la commission de l'énergie. « La proposition de la Commission favorable aux très polluants sables bitumineux canadiens est très clairement l'un des résultats des négociations de libre-échange Union européenne-Canada, ajoute-t-il. Ce vote met en lumière les atteintes aux législations et ambitions environnementales européennes découlant des deux accords de libre-échange [avec le Canada (CETA) et les Etats-Unis (TTIP)]. »
OLÉODUCS GÉANTS
Le ministre canadien des ressources naturelles, Greg Rickford, s'est félicité de ce vote dans un communiqué, rapporte Radio-Canada : « Notre gouvernement continuera de favoriser les intérêts canadiens et les emplois canadiens (...). Nous sommes heureux que le Parlement européen ait basé sa décision sur la science et sur les faits. »
Pour Ottawa, l'enjeu est celui des débouchés des sables bitumineux de l'Alberta. Pour les exporter, le Canada pousse plusieurs projets d'oléoducs géants, qui se heurtent tous à de fortes résistances. Vers le sud, le Keystone XL de TransCanada, qui vise à acheminer 830 000 barils par jour jusqu'aux raffineries du Texas et du golfe du Mexique, vient d'essuyer un vote négatif du Sénat américain et le président Barack Obama menace d'opposer son veto.

Vers l'ouest, le Northern Gateway de l'entreprise canadienne concurrente Enbridge, destiné à écouler 525 000 barils par jour vers les marchés asiatiques, est combattu en Colombie britannique. Vers l'Atlantique enfin, le projet Energie Est, porté par TransCanada lui aussi et capable de débiter 1,1 million de barils par jour, cible les marchés d'Europe et de l'Est américain. Mais les travaux de construction d'un terminal pétrolier dans l'estuaire du fleuve Saint-Laurent, au Québec, viennent d'être stoppés, cette zone étant un lieu de reproduction des bélugas, ou baleines blanches, en voie de disparition.
Selon le Natural Resources Defense Council, une ONG américaine de protection de l'environnement, l'Europe importe aujourd'hui 4 000 barils de sables bitumineux depuis les Etats-Unis. Un volume qui pourrait grimper à plus de 700 000 barils par jour à l'horizon 2020. Ce qui entraînerait une hausse annuelle de 20 à 25 millions de tonnes des émissions de CO2 de l'Europe – qui s'élèvent actuellement à 4 600 millions de tonnes par an.


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