Jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale l’Europe n’avait été confrontée à une crise existentielle aussi aiguë que celle qui la tenaille actuellement. Signe d’un air du temps empreint de pessimisme, un nombre grandissant d’analyses ont été récemment consacrées à un possible chambardement de l’Union européenne (UE). Dans un texte publié la semaine dernière, l’ex-ministre allemand des Affaires étrangères Joschka Fischer a composé une phrase qui commande une lecture aussi lente qu’attentive : « Au xxe siècle, pour assujettir le continent, l’Allemagne s’est, à deux reprises, avec la guerre […] détruite elle-même et a détruit l’ordre européen […] il serait à la fois tragique et ironique qu’aujourd’hui, au début du xxie siècle, l’Allemagne réunifiée pacifiquement et avec les meilleures intentions, réduise une troisième fois à néant l’ordre européen. » Cet avertissement, l’ex-patron de la diplomatie allemande l’a donné après, il est important de le souligner, que Barack Obama, Stephen Harper, David Cameron, Mario Monti, Mario Draghi, patron de la Banque centrale européenne (BCE), François Hollande et Mariano Rajoy eurent imploré Angela Merkel de mettre de l’eau dans son vin. En clair, ils l’ont priée, entre autres choses, d’accepter le principe de la mutualisation de la dette. Sa réponse ? Au lieu de conjuguer sa réaction avec l’urgence, elle a fait ce qu’elle avait fait avec la Grèce, soit négocier tout d’abord la fédéralisation, par exemple, des politiques budgétaires avant de donner son aval aux aides financières. À sa décharge, il faut spécifier que, sur le front de la politique intérieure, la position de Merkel a été fragilisée dans la foulée d’une série de défaites électorales. Elle est prise entre une droite qui ne veut pas soutenir l’Espagne, la Grèce et autres et des sociaux-démocrates qui critiquent vigoureusement le pacte budgétaire qu’elle appelle de ses voeux. Quoi d’autre ? Merkel doit également jongler avec un sentiment d’autant plus ancré dans la psyché du citoyen allemand, celui de l’Ouest pour être exact, qu’il puise dans l’histoire du dernier demi-siècle. Le sentiment en question est en fait un ras-le-bol. Celui du Bavarois qui a la certitude qu’après avoir subventionné, par l’entremise de la redistribution des richesses, Hambourg et le Nord industriel dans un premier temps, l’ex-Allemagne de l’Est ensuite, est appelée ces jours-ci à soutenir ces paresseux qui habitent les pays du Club Med. Ce sentiment, beaucoup d’habitants des länder de l’Ouest le partagent. À telle enseigne qu’il a convaincu Harold James, professeur d’histoire à Princeton, de signer un commentaire intitulé Demain, une Europe morcelée ? et en date, c’est à noter, du 5 juin, au bénéfice de l’excellent site Project Syndicate. Toujours est-il que James rappelle que « des six grands pays de l’UE, seule la France dispose d’un système politique centralisé bien défini […] L’Italie et l’Allemagne sont constituées d’unités politiques de taille moyenne ou petite datant du xixe siècle, chacune avec sa personnalité marquée ». L’Écosse menace l’unité du Royaume-Uni alors que l’Espagne « s’est stabilisée en accordant l’autonomie à ses régions qui tendent à se comporter comme des États indépendants ». Quoi d’autre ? L’Italie du Nord est administrée par un parti qui rêve de déclarer l’État indépendant de Padanie. Bref, qu’on le veuille ou non la crise de l’euro a eu la conséquence suivante : l’introduction d’une possible inversion de la construction européenne. Hélas ! trois fois hélas !
Crise de l’euro
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé