L’étonnant « yes » des nationalistes flamands à l’anglicisation des universités flamandes

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L'anglicisation de la Belgique

Ce texte paru dans De Standaard (circulation : 100 000 exemplaires) ce 14 janvier 2020 a été cosigné par les professeurs Gita Deneckere, Bruno De Wever, Dave Sinardet, Bart Maddens, Hendrik Vos et Antoon Vrints.



Des historiens et des politologues flamands lancent l’alerte face à l’anglicisation de l’enseignement supérieur. Il apparaît en effet que le nombre de cours dispensés dans des langues étrangères [euphémisme pour désigner l’anglais, le français étant en net recul depuis longtemps] augmentera dans les années de bachelier.



Comme l’a annoncé De Standaard ce 6 janvier, le gouvernement Jambon a l’intention d’assouplir la loi sur l’utilisation des langues dans l’enseignement supérieur de manière à laisser une place importante à l’anglais dans les formations de bachelier. Ce faisant, la Flandre suit l’exemple des Pays-Bas, où une large part de l’enseignement supérieur a déjà été anglicisée. À l’University of Twente, par exemple, le néerlandais n’est presque plus toléré depuis le 1er janvier. En effet, l’anglais y sera dès à présent l’unique langue d’administration, et le rectorat recommande à la communauté universitaire de pratiquer le plus possible l’anglais, tant dans les cercles estudiantins que chez le médecin ou au supermarché.


 










Étudiants flamands manifestent le 16 décembre 1965 contre la présence d’une section francophone à l’université de Louvain et son déménagement en Wallonie (Louvain étant en Flandres à moins de 20 km de la frontière linguistique francophone). La section francophone (l’UCL) déménagera quelques années plus tard à Louvain-la-Neuve à 30 km de Louvain.


Si aux Pays-Bas, l’anglicisation soulève de fortes protestations, la Flandre, elle, reste bien silencieuse. Cette absence de réaction provient sans doute de la difficulté d’imaginer un gouvernement mené par des nationalistes flamands ouvrir grand la porte à l’anglicisation de l’enseignement supérieur. Le ministre-président Jan Jambon (N-VA [centre-droit nationaliste flamand]) et ses ministres N-VA n’ignorent pourtant rien de l’histoire du mouvement flamand, qui a lutté pendant des années pour la néerlandisation de l’enseignement supérieur [alors qu’il était francophone jusqu’au début du XXe siècle]. Ce sont eux, les héritiers de ce mouvement qui a réussi à faire basculer le mépris et la condescendante bienveillance des élites francophones au bénéfice de la langue du peuple. Le néerlandais, devenu langue de l’enseignement supérieur, constitua alors un levier de l’émancipation de la Flandre. La N-VA a-t-elle oublié la raison d’être du mouvement flamand ?



 




Assouplissement : vrai ou faux ?



Les précédents gouvernements flamands, dont faisaient partie les nationalistes, avaient déjà sensiblement assoupli les règlements relatifs à l’utilisation des langues dans l’enseignement supérieur. Un processus furtif, mais constant d’anglicisation s’est mis en marche depuis lors, en dépit des rapports de la Taalunie, l’instance régulatrice de la langue néerlandaise. Même s’il confirme du bout des lèvres l’importance du néerlandais comme langue universitaire, le gouvernement flamand aurait décidé en catimini, avant Noël, d’augmenter le pourcentage maximum autorisé de cours en anglais dans les filières néerlandaises de bachelier de 18,33 à 50 pour cent (en sus de l’augmentation de la proportion de filières anglaises en bachelier, déjà prévue dans l’accord de gouvernement).



Ben Weyts, le Premier ministre N-VA de l’Enseignement, nie que la décision ait déjà été prise. Pourtant, un avant-projet de décret en ce sens a déjà été envoyé au Conseil d’État, qu’on ne consulte normalement qu’après une proposition soumise par un gouvernement.



Il est grand temps que les défenseurs de la langue néerlandaise en Flandre passent à l’action. D’ailleurs, pourquoi ce mutisme du mouvement flamand ? Et les divers fonds pour la culture flamande, qu’attendent-ils pour réagir ? Le Vlaamse Volksbeweging est-il encore en vie ? Allo, l’Orde van den Prince ? le Marnixring ? Pourquoi ne nous rejoignent-elles pas, toutes ces associations de défense de la langue néerlandaise, pour demander en quoi les règlements sur l’usage de la langue néerlandaise, après dix ans, ne sont plus assez bien pour l’enseignement supérieur ? Ces règlements offrent pourtant un vaste espace à l’enseignement en anglais là où il est approprié, notamment dans certaines filières de spécialisation en maîtrise (et au-delà) et lors des programmes d’échange internationaux. Pourquoi est-il tout à coup nécessaire d’angliciser les filières de bachelier alors que rien n’atteste de cette nécessité dans les hautes écoles et les universités ? Ne convient-il pas de lancer un débat de société à ce sujet, plutôt que de laisser la décision dépendre du lobbying de quelques décideurs influents dans les hautes écoles et les universités ?



Un point de non-retour



Dans une logique de rendement, ces décideurs tablent sur une augmentation du revenu et un gain de prestige (c’est-à-dire quelques places de mieux dans des classements pour le moins discutables) grâce à l’augmentation du nombre d’étudiants étrangers. En effet, il n’y a que les bacheliers qui peuvent fournir les grands nombres d’étudiants requis à cet effet. Et comme pour les précédents assouplissements linguistiques, on s’apercevra rapidement que les formations et cours en anglais seront très vite remplis, ce qui entraînera de nouvelles demandes d’assouplissement. Il est évident qu’avec les propositions actuellement sur la table, on atteindra un point de non-retour. Si elles sont avalisées, la marginalisation du néerlandais dans l’enseignement supérieur flamand ne sera plus qu’une question de temps.



En quoi est-ce grave ? La réduction du néerlandais à une langue purement domestique, comme à l’University of Twente, n’est pas qu’un problème culturel. L’étiolement d’une langue entraîne, bien entendu, des risques pédagogiques, mais nous y voyons aussi et surtout des inconvénients sociaux.



L’enseignement supérieur en néerlandais représente un acquis démocratique important. L’anglicisation inouïe des filières de bachelier pour des raisons liées au marché compromet sérieusement cet acquis. Comme l’a signalé à juste titre l’Association flamande des étudiants, cette barrière linguistique supplémentaire constitue une entrave à l’accès aux hautes écoles et aux universités. En effet, comme du temps des cours en français dans les universités flamandes, ce sont les étudiants les plus favorisés sur le plan socioculturel qui profiteront le plus de ce système.



L’égalité des chances ? Forget it!



Le néerlandais académique pose, déjà aujourd’hui, de sérieux problèmes à de nombreux étudiants. Quant aux enseignants du supérieur, avec l’afflux supplémentaire d’étudiants étrangers, ils auront encore moins de temps à consacrer à chaque étudiant, étant donné que le personnel actuel devra tout simplement en encadrer davantage. L’anglicisation des universités et des hautes écoles éloignera celles-ci des contribuables qui les financent. La langue de l’enseignement revêt donc une importance sociale évidente. Il en résulte dès lors que l’anglicisation de la moitié des cours de bachelier ne peut pas dépendre de procédures décisionnelles aussi occultes que hâtives. Elle doit faire l’objet d’un débat public.