C’est un peuple nordique, qui passe la majeure partie de l’année à maudire sa condition.
Ce n’est donc pas surprenant que, pendant les quelques instants que dure la belle saison, les Québécois célèbrent cette liberté éphémère avec passion. On dirait que la vie vaut un peu plus la peine d’être vécue quand on va travailler sans manteau et que l’on fait griller sa viande sur le balcon.
Nous passerons pourtant la prochaine semaine à nous plaindre de la chaleur, à chercher l’air conditionné ou à envisager de faire l’acquisition d’un coûteux système qui n’est réellement utile qu’une vingtaine de jours par année. Quelques petits comiques partageront sur les réseaux sociaux les images d’une tempête hivernale et tout le monde conviendra que la canicule, c’est justement parce que c’est exceptionnel que ça nous affecte autant.
Les mots de chez nous
Paradoxalement, nous ne sommes jamais aussi Québécois qu’en été, comme si notre nordicité mal vécue n’était pas un choix. La saison est propice aux soirées de terrasse qui s’étirent, aux rassemblements familiaux ou amicaux et, bien sûr, aux innombrables festivals, tenus à bout de bras par tant et tant de bénévoles.
D’année en année, leurs succès ne se démentent pas et, bien souvent, ils mettent notre créativité à l’honneur. Des Francos de Montréal, on arrive rapidement à la fête nationale. Ces jours-ci, c’est à Tadoussac et à Petite-Vallée que résonnent les mots de chez nous, lesquels feront ensuite grouiller Baie-Saint-Paul à l’occasion de son impressionnant, poétique et déjanté Festif, avant d’éclairer la nuit abitibienne lors du Festival de musique émergente.
Ces activités recueillent un succès critique indéniable et bénéficient de la bienveillance des organisations subventionnaires et des entreprises philanthropiques comme Québecor. Elles accueillent surtout une foule aussi fidèle que disparate qui n’hésite pas à franchir des centaines de kilomètres pour camper dans certains des plus beaux coins de notre territoire. Comme si la chanson en français, reléguée aux heures de faible audience des radios commerciales, profitait de l’été pour prendre la place qui lui revient.
Plaisir renouvelé
Il y a là l’une des plus grandes contradictions de l’expérience québécoise. Ce peuple qu’on dit de sucre et d’eau d’érable ne s’exprime vraiment que dans les cumulus du temps beau, ceux du ciel et du cerveau.
Il nous faut l’été pour goûter pleinement nos bières, nos fromages et le parfum particulier du lait quand les troupeaux vont brouter au champ. C’est au cours de cette saison que nous savourons la richesse de notre terre, à travers le plaisir renouvelé chaque année des premières fois : les premières fraises de l’île d’Orléans, le premier épi de maïs pas encore assez sucré, le premier bouilli de légumes chez maman...
Oui, en cet été préélectoral, célébrons le Québec. Profitons-en pour voisiner la lointaine parenté que nous partageons, en poussant jusqu’en Minganie ou en redécouvrant la métropole en touristes. Visitons Québec à travers ses quartiers et ne manquons pas, si l’on passe par le Lac-Saint-Jean, de nous tremper les pieds dans notre mer intérieure.
En ces temps troubles, alors qu’on a moins envie de faire un tour chez nos voisins américains, il y a une certitude, c’est qu’on peut trouver dans l’hospitalité des Québécois de toutes les régions le soleil et la chaleur qui nous font parfois défaut.