L'étau xénophobe se resserre

Même la Grande-Bretagne a déjà évoqué la nécessité d'imposer des exigences linguistiques aux nouveaux arrivants

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Citoyenneté - la "lettre de Jean Charest"

Jean-François Lisée et Pauline Marois (Photo La Presse)



«Raciste», «xénophobe», «honte», «dommageable à la réputation», la proposition voulant que le million de nouveaux arrivants qui seront accueillis au Québec d'ici 20 ans (faites le calcul: 55 000/an x 20) connaissent la langue de la majorité et adhèrent à des valeurs communes pour devenir citoyens québécois à part entière a provoqué au Canada-anglais, chez le B'Nai Brith, au Suburban et à The Gazette des réactions qui font craindre, chez leurs auteurs, des ruptures d'anévrisme. Samedi, dans une chronique d'une remarquable qualité intellectuelle, [Mme Lysiane Gagnon a apparenté l'exigence linguistique à la pratique nazie forçant les juifs à porter une étoile de David->9908].
Mardi, M. Charest posait une question fort pertinente: «Est-ce que René Lévesque, qui fut un grand démocrate, aurait accepté un projet de loi qui propose d'établir deux classes de citoyens?» Ah, mais oui. Il a proposé et voté une loi qui interdisait à tous les nouveaux arrivants, y compris ceux venant du Canada anglais, d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise. Il l'a défendu pied à pied. Et c'est avec fougue que le Canada-anglais, le B'Nai Brith, le Suburban et The Gazette l'ont traité de raciste et de xénophobe, l'ont caricaturé en nazi. Avec, à l'époque, dans le rôle de Mme Gagnon, [Mordecai Richler accusant René Lévesque d'avoir entonné un chant nazi le soir de sa victoire électorale->archives/ds-michaud/docs/00-12-16-foglia.html]. Un grand chroniqueur de Maclean's l'a même traité de singe.
Madame, messieurs, cher premier ministre, l'histoire ne se contente pas de bégayer. La situation est aujourd'hui encore bien pire que vous ne le pensez. La xénophobie sourd de toutes parts. Considérez cette citation, authentique, d'un leader national: «Nous devrions partager une langue commune. L'égalité des chances pour tous requiert que chacun puisse communiquer dans cette langue. C'est une question à la fois de cohésion et de justice que nous fassions de la connaissance de cette langue une condition d'acquisition de la citoyenneté. De plus, pour ceux qui veulent obtenir la résidence permanente, nous allons établir une règle voulant qu'ils passent un test linguistique avant d'obtenir leur permis de séjour.»
De quelle langue rétrograde s'agit-il? De l'anglais. De quel pays ayant assurément sombré dans les affres du national-socialisme? Du Royaume-Uni. À quelle époque antédiluvienne? Décembre dernier. De quel émule de Goebbels? Tony Blair, dans un de ses derniers grands discours, intitulé - tenez vous bien - Le devoir d'intégrer.
Le Royaume-Uni, comme le Québec, traverse une crise identitaire. Les questions religieuses, surtout liées à la croissance de la population musulmane, la nécessité d'établir des valeurs communes, de revoir les accommodements raisonnables, sont au coeur du débat. Tony Blair y a répondu avec une volonté renouvelée d'établir qu'aucune «culture ou religion n'est plus importante que notre devoir de faire partie d'un Royaume-Uni commun». Il propose même de restreindre sérieusement le droit de porter la burqa, jusque dans les professions.
«C'est le bon sens» affirme-t-il, sans rire. À une série de mesures visant l'intégration et le respect renouvelé à des valeurs communes, il a ajouté la nécessité que les nouveaux arrivants parlent la langue de la nation, non seulement pour devenir citoyen - donc avoir droit de vote et d'éligibilité - mais également pour avoir le simple droit d'être résident.
Sans la moindre honte, Blair a ainsi créé deux classes de citoyens. Les citoyens européens venus du reste de l'Union européenne mais ne parlant pas l'anglais, qui seraient ainsi durement réprimés dans leurs droits les plus fondamentaux, et ceux qui seraient forcés par cette politique frileuse et rétrograde de montrer patte blanche à la langue des dominateurs. On tremble à l'idée du sort que les défenseurs des droits ont dû lui réserver. Bannissement? Prison à vie? Envoi des Casques bleus? Obligation de lire les oeuvres complètes de Mme Gagnon? Rien de tel. Aux dernières nouvelles, il est le candidat favori pour devenir, le premier janvier prochain et pour deux ans, le premier président du conseil de l'Union européenne, élu par les chefs de gouvernement de toute l'Europe. De ce poste clé, il pourra étendre son plan xénophobe sur toute l'Europe. Le mal est déjà là. Les nouvelles venant de France, des Pays-Bas, de Flandres et, évidemment, d'Allemagne, sont mauvaises, ils emboîtent tous le pas à la perfide obligation de connaître la langue du lieu pour y voter, y être élu, même y travailler.
Mais comment a fait Blair? Quelle potion magique a-t-il bu pour sortir indemne après avoir proféré de telles insanités, après avoir commis de tels forfaits? Quel bouclier prodigieux le protège? Attendez. Je crois avoir trouvé. Il n'est pas un souverainiste québécois.
Pour lire le discours de Tony Blair, cliquez ici.
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Jean-François Lisée

L'auteur est directeur exécutif du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (cerium.ca). Il publiera à la mi-novembre un livre sur les questions identitaires, [Nous->9862], aux éditions du Boréal. Il répond ici à la chronique de Lysiane Gagnon, [«La langue de cheu nous'«->9908], publiée dans La Presse de samedi dernier.

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Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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