L'enquête publique: un «pensez-y bien»

Actualité québécoise - Rapport Duchesneau




Simon Ruel - Encore une fois, suite à fuite du rapport Duchesneau, la question de la mise en place d'une commission d'enquête publique sur l'industrie de la construction est soulevée par plusieurs. Le gouvernement du Québec a l'autorité, en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête, de créer une commission d'enquête portant sur quelque objet ayant trait au bon gouvernement du Québec, la gestion des affaires publiques ou l'administration de la justice. La décision du gouvernement de mettre en place une commission d'enquête est discrétionnaire. Par contre, l'histoire et les précédents nous enseignent que les balises suivantes doivent être considérées :
1. Une commission d'enquête ne devrait être mise en place que dans des cas exceptionnellement importants impliquant l'intérêt public, compte tenu notamment des coûts considérables, de la possibilité que les travaux d'une commission paralysent le secteur sous étude - en l'espèce l'octroi de contrats gouvernementaux pour les travaux d'infrastructures et routiers, et de l'agitation sociale qu'elle peut créer.
2. On devrait d'abord considérer les mécanismes d'enquête ou autres existants et compétents qui sont spécialisés et qui bénéficient d'une infrastructure et d'une expertise. En l'espèce, plusieurs entités ont potentiellement juridiction sur les questions soulevées : le Bureau de la concurrence du Canada, les forces policières, la Commission de la construction du Québec, le Directeur général des élections, les organismes disciplinaires, tels l'Ordre des ingénieurs du Québec.
3. Dans la même lignée, la création d'une commission d'enquête peut être envisagée lorsque le gouvernement n'a plus les moyens d'agir pour rassurer le public et obtenir des recommandations en vue d'une action corrective, soit parce qu'il n'existe pas de véhicule d'enquête approprié, notamment en raison du caractère systémique ou structurel d'un problème, ou encore parce qu'il existe une incapacité réelle ou perçue du gouvernement ou des autorités de faire enquête.
4. Une enquête publique ne devrait être créée que lorsqu'existe une question de politique publique importante sous-jacente à l'investigation factuelle.
5. Le mandat d'une commission d'enquête doit être précisément défini, tant en ce qui concerne le sujet que la période en cause. Mettre en place une commission d'enquête sans mandat clair ou pour étudier un sujet trop large conduira nécessairement à des abus, des délais et des coûts excessifs. Il convient de souligner que même les enquêtes ciblées peuvent donner lieu à des abus. La commission d'enquête sur le « Bloody Sunday » en Grande Bretagne avait pour mandat de faire enquête sur les événements du 30 janvier 1972 en Irlande du Nord, alors que vingt-six manifestants et passants pacifistes ont pris pour cible par des soldats de l'armée britannique. La commission d'enquête a rendu son rapport en juin 2010 après dix ans de travaux et au coût de £190.3 millions de livres anglaises, soit plus de 300 millions de dollars. Les excès de cette enquête ont été soulignés et ont entraîné des modifications à la loi sur les enquêtes en Grande Bretagne. Les commentateurs réfèrent fréquemment à la Commission Gomery. Le mandat de cette Commission était justement très ciblé - les questions touchant directement ou indirectement les chapitres 3 et 4 du Rapport de la Vérificatrice générale du Canada sur le programme des commandites et les activités publicitaires.
6. Une enquête publique ne peut avoir pour objet ou pour effet de se pencher sur la responsabilité civile ou criminelle d'individus ou de corporations. Trois considérations doivent être expliquées à cet égard. Premièrement, la Cour suprême nous enseigne qu'un gouvernement ne peut confier à une commission d'enquête le mandat de faire enquête sur la conduite criminelle de personnes. Deuxièmement, une enquête publique, même valablement créée, ne peut se prononcer sur la responsabilité criminelle. Troisièmement, ceux qui conduisent une enquête publique doivent prendre les mesures nécessaires pour éviter d'interférer avec des enquêtes ou procédure criminelles en cours et de porter atteinte aux droits constitutionnels des personnes visées par de telles procédures.
Ce que plusieurs réclament en lien avec l'industrie de la construction est une enquête publique portant sur la collusion ou la corruption. Il s'agit en substance de matières criminelles qui devraient faire l'objet d'enquêtes par les autorités compétentes. Il pourrait être envisageable que le gouvernement mette en place une commission pour faire enquête sur les processus d'appel d'offre et d'octroi et de suivi des contrats dans le domaine de la construction. Cependant, les aspects criminels semblent difficilement dissociables des aspects administratifs dans le présent contexte. En somme, il s'agit d'une question de choix pour le gouvernement - soit la voie des enquêtes et poursuites criminelles est privilégiée ou encore la tenue d'une enquête publique est favorisée - les deux n'apparaissent pas conciliables, du moins tant que les enquêtes policières sont en cours. Pour ce qui est des comparaisons avec la Commission Gomery, il faut dire que son mandat était principalement de se pencher sur les processus administratifs du gouvernement. La Commission avait pris grand soin de ne pas traiter des questions qui faisaient l'objet de procédures criminelles et de protéger les droits des personnes visées, particulièrement Messieurs Guité et Brault.
Une commission d'enquête sur l'industrie de la construction, un pensez-y bien, donc.
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Simon Ruel
L'auteur est avocat. Il a été procureur aux Commissions Gomery, Cornwall et Bastarache. Il est l'auteur de l'ouvrage «The Law of Public Inquiries in Canada».


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