POINT CHAUD

«L’éminence grise» livre ses secrets

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Quoiqu'il en dise, le démantèlement est bel et bien en cours, et Hydro-Québec en est le meilleur exemple

Il a vu naître le Québec moderne. Et il en a bâti de grands pans en remplissant une série de mandats auprès de huit premiers ministres, de Jean Lesage à Bernard Landry, depuis 1965. À peu près inconnu du public, Louis Bernard reste un des commis de l’État les plus influents du dernier demi-siècle.

Cette éminence grise du pouvoir revient sur cinquante ans d’engagement au sein de l’État québécois dans un livre d’entretiens avec le politologue Michel Sarra-Bournet, qui vient de paraître aux éditions du Boréal.

Louis Bernard exhorte notamment le Parti québécois (PQ) à faire de l’indépendance du Québec son seul et unique cheval de bataille, comme il l’avait prôné lui-même en se présentant à la course à la direction du parti en 2005. M. Bernard refuse de jouer aux « belles-mères » en faisant la leçon au PQ ou au gouvernement Couillard. Dans son livre, il aborde peu les sujets d’actualité brûlante. Mais à la lumière de sa vaste expérience, une question s’impose : Monsieur Bernard, avez-vous l’impression que le gouvernement Couillard démantèle le « modèle québécois » que vous avez contribué à bâtir depuis la Révolution tranquille ?

« Il y a probablement de l’exagération des deux côtés. Ceux qui évoquent un démantèlement du modèle québécois vont trop loin. Et ceux qui affirment que la situation financière du Québec est catastrophique vont aussi trop loin », dit Louis Bernard, attablé au café Cherrier, sur le Plateau Mont-Royal.

À 77 ans, il a le regard franc et le discours clair. Louis Bernard s’anime entre une bouchée de rôtie et une gorgée de café. Le déficit et la dette de l’État sont moins graves que le laissent entendre les libéraux, selon lui. Le ministre Martin Coiteux a reconnu lui-même qu’il compte baisser le fardeau fiscal des Québécois après l’atteinte de l’équilibre budgétaire. Il y a de l’idéologie derrière la révision des programmes par le gouvernement, souligne-t-il.

Le prétendu démantèlement de l’État est tout aussi erroné, croit Louis Bernard : « Les programmes sont là. On serre la vis, par exemple on ralentit la création de places dans les garderies — ce qui n’est pas bon —, mais ce n’est pas un démantèlement. »

Il est diplomate, Louis Bernard. Une sorte de pacificateur. Toute sa vie, il a cherché à rassembler les forces opposées qui s’affrontent sur le terrain politique. Ce n’est pas pour rien qu’il a occupé les plus hautes fonctions (sous-ministre, secrétaire général du Conseil exécutif, le grand patron de tous les fonctionnaires) sous des gouvernements libéraux, de l’Union nationale et du Parti québécois. Souverainiste convaincu, ex-chef de cabinet de René Lévesque, Louis Bernard s’est lié d’amitié avec Robert Bourassa, qui lui a confié le mandat de conseiller spécial durant les négociations autour de l’accord du lac Meech, en 1987.

L’art du possible

« Au-delà des lignes partisanes, je suis un réformiste, dit-il. J’aime travailler pour des réalisations en politique. Il y a les idéaux et il y a la réalité. Les réformes auxquelles tu penses, il faut que tu sois capable de les réaliser. »

Cette philosophie, il la doit à son maître à penser, Karl Popper, professeur à la London School of Economics, où Louis Bernard a étudié. « Il vaut mieux faire reculer la misère que chercher à créer le paradis sur terre », résume Louis Bernard dans son livre.

« Si on veut améliorer la société, il faut y aller pas à pas, par améliorations successives, par la méthode d’essais et erreurs, un peu comme on construit une automobile », ajoute-t-il.

Enfin, un autre principe a guidé ses actions : « Les institutions sont, dans un sens, plus importantes que les individus : si on veut travailler à long terme, il vaut mieux chercher à améliorer les institutions que rechercher le sauveur qui transformera la société. »

Ces principes simples ont donné des résultats. Louis Bernard a été associé non seulement à l’accord du lac Meech — qui a fini par échouer dans le psychodrame que l’on connaît —, mais aussi à la mise en place de la loi 101, à la réforme du financement des partis politiques, à la création de l’assurance automobile et de la loi sur le zonage agricole, au référendum de 1980, à la préparation du référendum de 1995, à l’affrontement entre Trudeau et Lévesque en vue du rapatriement de la Constitution en 1982…

L’indépendance d’abord

Ce qui lui tient à coeur, désormais, c’est le « pays » du Québec. Et l’avenir du PQ. « Le parti n’a pas pris acte de sa défaite historique de l’an dernier », dit-il sans détour.

Louis Bernard dit la même chose qu’au moment de la course à la direction du parti à laquelle il a pris part, en 2005. « Il faut abolir tous les chapitres du programme sauf l’article 1. » Autrement dit, les péquistes doivent se concentrer uniquement sur l’indépendance.

« On doit dire aux Québécois : “votez pour nous seulement si vous voulez l’indépendance. On tiendra un référendum rapidement dans un premier mandat.” Le bon gouvernement péquiste nuit à la souveraineté », dit-il.

Louis Bernard tient le même discours que Jean-Martin Aussant, ex-député péquiste qui a fondé le parti Option nationale en 2012, avant de démissionner pour aller travailler à Londres. Pas question pour le vieux routier de rejoindre les rangs d’Option nationale : « C’est le PQ qui va réaliser l’indépendance. Mais pour ça, il faut faire la promotion de la souveraineté : on ne l’a pas fait depuis 1995 ! »


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