L'embâcle

Les élites velléitaires sont un rouage essentiel de notre asservissement.

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Chronique de Robert Laplante


Ce n’est pas la neige qui a recouvert le Québec d’une blancheur opaque en ce mois de mars, c’est la résignation politique. Plus épaisse que le plus compact des bancs de neige, la médiocrité démissionnaire aura pesé non seulement sur l’actualité immédiate mais encore et surtout sur ce qui, dans le discours public, pourrait permettre de lire clairement les mouvements de fond de notre société.
À les regarder se défiler comme des pleutres, les politiciens provinciaux donnent l’impression que le Québec s’en va nulle part. À la dérive sur les tourbillons de l’actualité, c’est toute la classe politique qui se laisse porter par un torrent d’insignifiance. Le scandale absolu d’un premier ministre entretenu par son parti et tout ce qui gravite autour, n’aura rien ébranlé. Il aura enfin révélé sa stature, ce gestionnaire de la dépendance minoritaire. C’est pitié de voir qu’à l’ADQ l’aspirant concierge patauge dans les mêmes marécages. Quand on est des provinciaux et qu’on s’en fait la mesure des plus nobles destins, il n’y a pas d’horizon plus large que celui des carrières qui se dessinent sous la carpette. Il ne manque plus que les bananes au régime. Et encore, agissent-ils pour nous convaincre qu’à force d’attendre, elles pousseront bien le long du Saint-Laurent. Après tout, le réchauffement climatique n’aura certainement pas que des mauvais côtés…
Ces chefs ne font pas que porter atteinte à la dignité de leur fonction, ils incarnent mieux que ne le ferait n’importe quelle de leur politique le sort et le sens réservés à notre institution nationale dans le cadre canadian. Non seulement n’ont-ils pas eu la décence de renoncer à ces avantages obscènes, mais encore et surtout ils ont osé brandir l’indigence comme une nécessité. N’ayant pas le courage de proposer une révision de la rémunération des élus, si tant est qu’il soit nécessaire de le faire pour justifier ces écarts de revenus, ils ont tout bonnement laissé entendre que la province est trop pauvre pour payer correctement ses élus. Quelle belle leçon d’austérité! Quel exemple d’abnégation!
C’est minable. Mais parfaitement cohérent avec la politique que tout ce beau monde nous assène. Le Québec n’a pas les moyens de lui-même. La province est trop pauvre pour assumer ses propres institutions. L’État est un luxe dont nous n’avons pas vraiment les moyens. Merci aux généreux contributeurs de ces partis de nous soulager de ce fardeau. Il est temps que le peuple sache ce qu’il représente, ce qu’il coûte à ceux-là qui peinent à la tâche de rabougrir la province. Comme on les comprend ces amis du régime de se consoler dans les notes de frais, de compenser les blessures de carrière en jouant les gestionnaires de haut niveau à New-York ou ailleurs. C’est si petit à servir le Québec…
La politique provinciale aura connu, au cours de ce mois de mars, une formidable accélération dans la spirale descendante de la médiocrité. Congrès du Parti libéral, de l’ADQ, conseil national du PQ, le destin de la province n’est plus seulement une esquisse, les partis rivalisent d’ingéniosité pour lui donner des traits précis, de mieux en mieux affirmés, si l’on peut dire, dans la négation de tout ce qui pourrait raccorder le peuple avec la moindre idée de la grandeur. Rarement aura-t-on vu dans la classe politique un pareil consensus sur le non-dit, un tel consentement à l’impuissance, une telle frénésie dans la recherche des moyens du moindre effort. C’est à croire que la devise de la province deviendra : «Attendre en en faisant le moins possible».
Il a beau multiplier les commissions, les audiences et les rapports, le gouvernement Charest ne s’occupe qu’à pelleter en avant les problèmes. Forêt, agriculture, santé, démographie, tout finit dans la parlote. Pas de réponse d’ensemble, pas de proposition globale, que de la gestion à la petite semaine à la recherche du meilleur dividende électoraliste. C’est la politique du refus des choix stratégiques explicites. La pire des politiques, évidemment, puisque des choix stratégiques, il s’en fait, aussi bien par défaut que par derrière, dans le silence feutré des officines où se font les courbettes aux dieux du marché et aux faux-prêtres qui touchent les dîmes. Il s’en fait d’autant plus et d’autant plus aisément que l’Opposition officielle ne dit rien, n’a rien à dire et ne pense rien sinon que ce qui sert à faire un clip aux nouvelles du soir.
L’ADQ n’a pas seulement qu’un chef subventionné, elle a un programme simulacre. Et son congrès nous l’aura mis en spectacle dans une mise en scène ratée. Le petit Dumont n’a jamais si bien porté son sobriquet. Ce parti ne vend que du vent. Ses positions autonomistes ne tiennent sur rien. Quoi qu’ils en disent, les leaders adéquistes sont des inconditionnels du Canada, des chiâleux qui font semblant. Comme le PLQ, il se tient dans le consentement à l’enfermement minoritaire. Ce parti a renié les positions du rapport Allaire qui l’a mis au monde, il n’en retient plus que la fanfaronnade. Il ne revendique rien sérieusement, il quémande, comme les autres, comme le Parti libéral. Il quémande en plastronnant dans la plus complète insignifiance inoffensive. Son autonomisme est une formule creuse, une rhétorique de marketing politique : aucun seuil de rupture n’est défini, aucune refus d’Ottawa, aucun recul ne sera jamais assez grave pour lui faire dire qu’assez, c’est assez. Comme pour le PLQ, le Canada n’a pas de prix pour l’ADQ, c’est une valeur plus précieuse que tout ce que le Québec peut représenter pour lui-même. Les pertes québécoises ne sont jamais des pertes, ce ne sont que des occasions de reprendre la discussion, des appels à la patience pour faire évoluer le Canada. Et encore, ces pertes, l’ADQ ne les voient que lorsqu’elles surviennent dans les champs de juridiction de la province, le reste est hors de sa portée, en dehors même de son champ de vision. L’intérêt de la nation  ? Un hochet pour le racolage électoral.
L’ordre canadian est devenu, en ce mois de mars, un horizon indépassable pour les partis politiques provinciaux. Chacun refuse de prendre acte du seul constat politique qui compte : le Canada a réglé la question du Québec. Il n’y a plus rien à en attendre que ce qu’il décidera de concéder : des symboles creux et des babioles. Le dossier est clos. Les jérémiades de la province, le Canada n’en a rien à faire. Il est à prendre ou à laisser. Et toute la classe politique provinciale fait semblant de ne pas s’en rendre compte pour n’avoir pas à reconnaître qu’elle ne soutient plus la mise. Chaque parti est à la recherche du meilleur moyen d’en faire le moins possible, d’en faire juste assez pour avoir l’air de s’occuper de quelque chose, c’est-à-dire de gérer les problèmes plutôt que mettre en oeuvre les solutions. Et de le faire à la hauteur des exigences requises et non pas à celle que le carcan canadian rend possibles. Chacun cherche le meilleur moyen de se tenir en-deça du potentiel des forces vives, de crainte de déclencher des puissances qui le feraient entrer en collision avec l’ordre canadian. C’est pitié de voir ce refus de travailler à faire la cohésion nationale sur ce qu’il y de mieux pour la nation en s’efforçant de contenir ce qui pourrait libérer le meilleur en nous, ce qui pourrait répondre à un véritable appel au dépassement.
Empêtré non pas dans ses querelles mais dans les fantômes d’une modernisation qu’il a été incapable de réaliser depuis le dernier référendum, le PQ a franchi un seuil critique. Son insistance à respecter l’ordre constitutionnel imposé, la peur panique qui lui fait rejeter jusqu’à l’idée même d’évoquer une quelconque confrontation avec le Canada et la sécheresse intellectuelle qui l’empêche de se porter à la hauteur des défis qui confrontent d’ores et déjà le Québec qui se délite, l’ont fait basculer dans la politique de l’impuissance. Le soulagement avec lequel son rejet du référendisme a été accueilli n’a sans doute eu d’égal que le contentement à se réconcilier ouvertement avec la politique provinciale. La politique des lamentations qui avait été la sienne depuis 1996, est désormais devenue la politique de l’incantation. Ce parti n’a pas rejeté son option, il a réifié son objectif, le coupant de la politique qu’il propose, refusant d’en faire la sève nourricière de son programme et surtout du mandat électoral qu’il entend solliciter.
Il faut une singulière dose de candeur ou d’aveuglement pour se faire croire qu’il y a encore une quelconque charge politique mobilisatrice à convier le peuple du Québec à une autre interminable séance de parlote nationale. Il n’y aura pas de pause minoritaire pour mieux attendre le jour de conduire une politique nationale. On ne gagne rien à essayer de convaincre qu’on peut réclamer moins quand on a soi-même renoncé à plus.
Et nulle part ailleurs qu’à Ottawa on ne le sait que trop bien. Le grignotage de pouvoirs pour faire avancer le Québec n’est pas un projet politique, c’est un consentement provincial. Car la politique provinciale, la seule autorisée dans le cadre canadian, ce n’est que cela, pour n’importe quel parti. Le PQ vient tout simplement d’accorder son discours à la pratique qui lui a tenu lieu de politique velléitaire. Son seul signe distinctif, sa rhétorique à lui, sera celle du rêve du pays plutôt que celle de la prospérité provinciale.
Et encore. L’empressement avec lequel Mme Marois s’est lancée pour mordre à l’hameçon du pauvre Blackburn pour souligner tout ce qu’il aurait de grand à saisir les pouvoirs qu’Ottawa voudrait bien «nous accorder» aura laissé pantois les plus pragmatiques des pragmatiques des petits pas «en jasant pays.» L’attentisme actif, quoi.
Au cours de ce mois de mars, le PQ vient de rejoindre les autres partis provinciaux en se faisant fort de se justifier de l’ordre qu’il prétend rejeter pour demander aux Québécois de se penser dans l’acceptation des contraintes. Sous couvert de pragmatisme, c’est une politique du refus de lire et d’interpréter le réel en fonction d’une doctrine de l’intérêt national. Le PQ ne lit plus la situation du Québec en fonction de ce qui est impératif pour son développement et que le Canada l’empêche de faire, il se propose de se faire élire en améliorant ce que la province permet d’améliorer. Lui aussi vient de basculer du côté de la gestion des problèmes. Il a fait le choix de se faire élire comme parti d’alternance provinciale et non pas comme alternative nationale.
Et ce choix exprime son impuissance à se penser dans le projet qui l’a fait naître. Le PQ ne parvient plus à penser le destin de la nation dans un cadre cohérent.
L’accomplissement du statut national ne structure pas ses analyses et sa définition de la situation. Au fil des ans, la guerre de propagande idéologique fédérale, la pression médiatique la relayant, son enlisement dans la gestion provinciale et sa propre léthargie intellectuelle ont progressivement érodé son appareil conceptuel et entamé sa capacité de produire un cadre idéologique affranchi des catégories dans lequel la cadre canadian façonne le discours public. C’est ce qui est à l’origine de son incapacité à se renouveler, c’est ce qui rend compte du naufrage de la Saison des idées et c’est ce qui explique qu’il s’empêtre encore à trouver dans les débris de ce naufrage des matériaux pour se reconstruire. Le navire amiral ressemble de plus en plus au radeau de la Méduse.
Parce qu’il ne parvient pas à structurer une pensée de l’intérêt national et de ce qu’il faut réunir pour le servir, le Parti québécois ne fournit plus une vision d’ensemble pour les grands défis qui confrontent le Québec contemporain. Comme les autres partis, il reste à la remorque des événements, son objectif ne lui fournit pas le cap à maintenir, il ne lui sert pas à naviguer. Tout au plus lui sert-il d’analgésique pour encaisser les reculs.
Seule une doctrine de l’intérêt national pourrait lui fournir un cadre stratégique, elle seule pourrait lui permettre de nommer correctement les problèmes, de penser sa mobilisation sur des enjeux en prise sur le Québec réel, canalisant les énergies des forces sociales créatrices et leurs besoins et non pas sur les moyens que le Canada lui laisse.
En se posant comme parti d’alternance, le PQ ne fera que rajouter au mal québécois. Ce mal, il tient à la nature même de la domination qui s’exerce sur notre peuple. Cette domination place un écran opaque entre les causes et les effets des politiques canadian. Parce qu’elle confisque les finalités et dénature l’ordonnancement des moyens en fonction de l’intérêt d’une nation étrangère qui nous phagocyte pour mieux nous assimiler, la domination canadian produit une aliénation singulière qui place nos élites dans un rôle d’usurpateur. Leur pouvoir ne tient qu’en autant qu’il prolonge les finalités de l’ordre qui définit leur place. C’est ce qui les rend si velléitaires. Et si prompts à dire que le Canada n’est pas le goulag.
La lente dérive qu’impose la gestion en fonction de priorités qui ne sont pas les nôtres n’a rien de spectaculaire, mais elle n’en est pas moins délétère pour autant. C’est une politique pernicieuse, un poison insidieux. Elle tient la nation dans un état de sous-oxygénation permanent, la condamnant à dépenser une énergie folle pour des résultats sans cesse en dessous de ce qu’on serait en droit d’en attendre en fonction des efforts consentis. Et transforme les apôtres de la demi-mesure en parangon de l’accomplissement. Il en résulte une incapacité à aller au bout de quoi que ce soit, une culture de l’échec partiel qui distille la résignation. Telle est la logique de «l’hystérie historique» dont parle Victor-Lévy Beaulieu. Toute notre classe politique se braque ainsi devant le Québec réel, tentant sans cesse de figer ce qui cherche à naître dans des formes compatibles avec cette résignation qui lui fait confondre le consentement canadian avec le pragmatisme de la réalisation nationale. C’est ce qui façonne sa conception de la loyauté au Québec. Une conception qui rend les politiciens si sûrs d’eux lorsqu’il s’agit de se méfier de son propre peuple, lorsqu’il s’agit de lui reprocher son apathie, sa lenteur et ses hésitations ou ses penchants inavouables… Les élites velléitaires sont un rouage essentiel de notre asservissement. C’est pourquoi il faut cesser d’être complaisant à leur égard. C’est pourquoi, comme dit le poète Pierre Perrault, il faut « exercer nos violons à l’intolérance ».
Notre classe politique n’est pas à la hauteur. Le Québec est plus instruit que jamais, plus créatif que jamais. Et en même temps entravé comme jamais, assailli de toutes parts par Ottawa qui sent bien le chemin libre. Son système universitaire s’en va à vau-l’eau, ses ressources naturelles sont asservies à des intérêts et des modèles d’exploitation contraires à notre intérêt national, notre agriculture est mise à la merci d’accords internationaux où nous n’avons rien à dire, la situation du français se dégrade à vitesse folle, etc. Et il s’en trouve pour minimiser les pertes, pour nous prêcher de temporiser, pour nous faire accepter de payer encore le prix. Et il se trouve que cela est contraire au bon sens et contraire à ce que le Québec réel est capable d’accomplir. En ce mois de mars, notre élite politicienne a choisi de s’arc-bouter, chaque parti à sa manière, pour contenir la charge puissante de ce qui est en train de naître dans le Québec créatif qui cherche sa voie. Chaque parti a choisi de souffler le froid sur le Québec bouillonnant.
C’est pénible à voir et à endurer. Mais cela est transitoire.
Jamais l’embâcle n’a empêché le printemps.
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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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