L’école des Noirs

La ligue des Noirs du Québec, par la bouche de son président et fondateur Dan Philip, vient de se prononcer en faveur d’une école des Noirs pour les Noirs.

École noire

La ligue des Noirs du Québec, par la bouche de son président et fondateur Dan Philip, vient de se prononcer en faveur d’une école des Noirs pour les Noirs. Il a même précisé que cette école se devait d’être bilingue pour accueillir sans distinction Haïtiens, Ghanéens, Ivoiriens et Jamaïcains. Il précise que la société québécoise est dans l’obligation morale de le faire pour contrer le décrochage scolaire chez les Noirs.
Il y a certainement lieu de se surprendre de cette prise de postion. La couleur de la peau n’est pas supposée d’influer davantage que la couleur des cheveux sur les capacités d’apprentissage. Malgré toutes les blagues circulant sur les femmes blondes, il n’y a pas de différence cérébrale attachée au teint, à la grosseur des oreilles, à la longueur des jambes, à la pigmentation des poils.
Alors pourquoi? Dan Philip dit que l’essentiel se joue à l’intérieur du modèle d’interprétation. La façon d’interpréter le monde chez les Noirs ne serait pas la même que chez les blancs. Le Noir ne se sentirait pas concerné par les mêmes monographies, les mêmes histoires de vie, les mêmes questionnements sociaux.
L’école québécoise, par exemple, prend pour acquis que tout le monde est concerné par Jacques Cartier et l’installation du régime français en Amérique. C’est un modèle d’interprétation basés sur l’identification linguistique alors que dans un modèle d’identification raciale, les catégories recueillies ne seront pas les mêmes.
Habitués que nous sommes aux arguments des fédéralistes, la position de la ligue des Noirs du Québec ne manquera pas de faire tiquer. On a tellement lu d’articles au Canada sur l’impérialisme culturel des Québécois, fossoyeur des identités, que la prise de position de Dan Philip paraît n’être que de la nouvelle eau dans le même moulin.
Le sigle de la ligue des Noirs du Québec montre deux mains serrées d’un océan à l’autre. La signification politique de l’image est tellement chargée que les nombreux groupements annexionnistes ou unitaristes canadiens pourraient l’adopter sans avoir rien à y modifier. Le traitement de l’information tel qu’il s’affiche dans plusieurs documents en ligne de la ligue des Noirs du Québec trahit un décalage, voire une mauvaise foi par rapport au Québec.
Le site web de la ligue des Noirs du Québec tient un sondage auprès de ses membres qui se formule comme suit : Trouver du travail au Québec est a) facile b) difficile c) impossible. Comme on n’osera certainement pas prétendre que c’est facile, les répondants appuient l’option « difficile » dans une proportion de 95%.
C’est la même ligue des Noirs du Québec qui croit qu’une école avec des professeurs noirs, une fréquentation exclusivement noire, un enseignement bilingue, ouvrira une zone scolaire où les Noirs auront vraiment le goût de réussir à l’école. Déjà, plusieurs écoles de quartier du nord de Montréal sont composées de Noirs de façon presque exclusive. Ce n’est pas un choix pédagogique mais le résultat de la concentration urbaine des Noirs dans certains quartiers.
Toutefois, les professeurs peuvent être blancs dans ces écoles de quartier et ils le sont pour la plupart. Pour les tenants d’une école noire, ce n’est qu’un problème parmi d’autres. Les Noirs n’ont pas eu leur mot à dire dans l’édification du corpus, allèguent-ils. Des Noirs vraiment sensibilisés à la cause auraient hiérarchisé différemment les concepts, privilégié ceux qui ont le potentiel le plus intéressant afin que les étudiants qui sont issus de la culture noire se sentent impliqués.
La ligue des Noirs utilise la lutte contre le décrochage scolaire pour prôner une théorisation autour de la culture noire. L’expression montre que l’on veut lier carrément la culture à la race bien que les races noires aient formé plusieurs peuples en Afrique et que leur émigration vers la péninsule ibérique et le monde latin a commencé bien avant le Moyen-Age.
Il y a dans ce thème de la culture noire cette croyance implicite que l’on appartient à un peuple parce qu’on appartient à une race. Or, c’est faux autant en Afrique, qu’en Europe ou en Asie. La culture japonaise n’existe pas comme expression de la race jaune. Il y a plusieurs races au japon. Si toutes ont les yeux bridés, une de ses races est aussi blanche que les caucasiens. Les Québécois dit de souche sont des latins, un groupement humain produit par des racines multiraciales.
Le thème de la culture noire, comme celui de la culture amérindienne d’ailleurs, a été produit par des conceptualisations globales en étroite dépendance avec l’action militante. Si on en croit, par exemple, les tribuns de la cause amérindienne, la vocation éternelle de la race rouge était de se consacrer à la chasse et à la pêche. Il y a cette obsession qui pousse à expliquer la marginalité par une destinée raciale brisée et à reconquérir.
Les tenants de la culture noire veulent créer une solidarité de tous les Noirs en évoquant la précarité liée à leur ancienne condition d’esclaves africains. Dans les colloques, les plus militants, communiquent en anglais en tant que « dignes fils de l’esclavage ».
Dans la cadre canadien des « identités » et de ladite « célébration des différences », les corporatismes militants veulent tous avoir leur clientèle assurée à qui transmettre leur grille de lecture. Autant la spoliation territoriale est un élément moteur du militantisme amérindien, autant l’esclavagisme revient comme pierre de touche dans l’édification de ce qu’on appelle la « culture noire ».
Le problème du décrochage scolaire au sein des communautés noires est réel sans être exclusif. Les défis de l’éducation sont influencés en partie par la précarité des groupes sociaux, raciaux, linguistiques et les croyances culturelles spécifiques à chacun. À ce sujet, je me souviens du temps où j’enseignais à Montréal à titre d’orthopédagogue. La méfiance de la communauté haïtienne d’alors au corps professoral était tangible.
Un collègue s’était même fait répondre : « En Haïti, le professeur est rarement considéré comme un ami ». On faisait allusion au fait que plusieurs obtenaient un poste d’enseignant à titre de rétribution comme collaborateur du régime. La question n’était pas tant que le professeur soit un blanc que le rôle assigné au professeur dans leur pays d’origine.
Dans le cadre de l’école bilingue prônée par Dan Philip, on peut s’imaginer l’anglicisation des Haïtiens qui s’ensuivraient. Entre eux ils parleraient le créole et dans les corridors peuplés par les Jamaïcains, l’anglais s’imposerait vite comme langue d’usage. Les tenants de l’école noire ne s’arrêteront pas en si bon chemin. Ils répondront que leurs militants veulent analyser tout ce qui se passe dans le champ de l’aliénation en termes raciaux. Ils ajouteront que c’est l’appartenance à la race noire qui est le premier élément structurant les désirs de l’individu dans les communautés qu’ils représentent.
La notion même de culture raciale finit comme elle débute c’est-à-dire par poser la question du rapport de toute minorité visible avec l’Etat blanc. Le corpus scolaire devient l’expression du pouvoir indû de décision de ce dernier. S’il est normal d’élaborer une pédagogie que l’on puisse linguistiquement s’approprier, l’idée que l’appartenance à la race noire implique une loi de vérité que l’étudiant concerné doit reconnaître pour progresser à l’école est d’un tout autre ordre que celui de la pédagogie.
Aujourd’hui intervient un problème de limites. Le but de l’école québécoise n’est pas d’assurer la dépendance des élèves à un régime identitaire géré par des corporations militantes.
André Savard


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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    28 mai 2008

    Ben là! on touche vraiment au fond du problème, une école pour les noirs et puis quoi encore, des wagons de métro, le coté nord de la rue mont-royal, un petit coin de notre pays réservé exclusivement aux noirs???
    Soyons honnête et disons que si c'était les blancs qui auraient proposés ce projet on crierais déjà au racisme et la discrimination et encore plus si nous décrèterions que l'Université Mc Gill est réservée aux blancs.
    Il y a une salle communautaire fréquenté uniquement par des noirs le dimanche dans mon quartier, ils empêchent les gens (blancs) de passer sur le trottoir et on doit descendre dans la rue qui est très passante. Alors imaginez une école!
    Non! ça frise l'indécence pure et simple une telle demande, c'est un manque total de respect pour nous qui les avons accueillis. La plupart des décrocheurs peu importe la couleur sont irrécupérables.

    Et comble de l'insanité Dan Philip nous dit que nous sommes dans l'obligation morale de le faire.
    Comme disais ma grand-Mère: Je sais plus dans quel monde on dit parce que ça va pas en s'emmieutant.

  • Archives de Vigile Répondre

    5 février 2008

    Merci pour votre accord M. Denis Julien de Lotbinière et bon retour sur Vigile. Votre enthousiasme pour tout ce qui regarde l'indépendance du Québec, même pendant cette courte absence, manquait à ce site, selon moi, même si nous ne voyons pas toujours le futur constitutionnel du Québec sous le même angle.
    J'attend un autre de vos messages pour vous écrire ce que j'en pense et pourquoi.

  • Archives de Vigile Répondre

    5 février 2008

    Je suis d'accord avec vous monsieur Bousquet concernant ce dossier. Cette décision ontarienne illustre parfaitement la montée des communautarismes ainsi que la dérive identitaire que j'ai moi-même dénoncées lors du Congrès national du PQ en 2005.
    Une société avance et évolue lorsque ses membres adhèrent à des valeurs communes le contraire constitue un recul. Les valeurs communes sont entre autre, l'égalité des hommes et des femmes, l'égalité des races.
    A quoi bon aura servi les luttes épiques menées par la communauté afro-américaine si 40 ans plus tard les blancs et les noirs doivent fréquenter des écoles séparées? Luther King doit se retourner dans sa tombe.
    Quelle sera la prochaine étape? Des restaurants, des autobus, des quartiers réservés aux gens de race noire.
    Il faut refuser cela au nom même de l'égalité!

  • Archives de Vigile Répondre

    4 février 2008

    Après avoir souffert aux États-Unis pour être intégrés dans les écoles de blancs, voici que les noirs veulent pratiquer l'auto-ségrégation en Ontario et au Québec. Comme ça se disait autrefois dans nos tramways : Avançons en arrière mes frères.
    Est-ce qu'il faudrait une école pour les juifs, une pour les jaunes, une pour les noirs, une pour les gais, une pour les grands, pour ne pas qu'ils soient toujours placés en arrière des petits en classes et une pour les femmes voilées et une pour les gangs de rue de la bonne couleur ?