Avant même son dépôt, bien des observateurs cyniques se demandaient si le rapport du Groupe de travail sur le financement de la santé, présidé par Claude Castonguay, se retrouverait sur les tablettes. C'est pire que cela. Le rapport est allé à la déchiqueteuse avant même d'avoir eu le temps de ramasser un peu de poussière sur une étagère, parce que le ministre de la Santé, Philippe Couillard, en a rejeté les principales recommandations quelques heures après sa publication.
C'est un échec. Et il s'explique en bonne partie par l'erreur stratégique des auteurs du rapport. Au départ, leur mandat était assez pointu: réfléchir à un financement adéquat pour le système de santé, et se pencher sur des questions précises, comme le rôle du privé ou l'identification de sources additionnelles de financement. Mais le groupe de travail s'est en quelque sorte mué en commission royale d'enquête, et a accouché d'un document volumineux de 330 pages qui va dans toutes les directions.
Le groupe avait peut-être les ambitions d'une commission royale, mais il n'en avait ni le temps ni les moyens. Et ça paraît. Le document ouvre des portes, lance des pistes sans vraiment aller au bout de ses idées, laisse beaucoup trop d'éléments non résolus. Le résultat, c'est que ses principales recommandations ne sont pas applicables dans leur forme actuelle. D'où la fin de non-recevoir du ministre Couillard, connu pour sa prudence.
Au moins cinq volets importants du rapport auraient demandé encore beaucoup plus de travail. D'abord, la place du privé, sur laquelle l'attention s'est trop concentrée. La quasi-totalité du rapport porte sur le réseau public et réfléchit aux façons de l'améliorer. Il n'y a que neuf pages sur 330 concernant l'élargissement du privé, ce qui suggère que les propositions sur la mixité de pratique, l'élargissement du rôle des assureurs ou la gestion jouent un rôle mineur. On est, comme le disent les auteurs, «aux antipodes d'un processus de privatisation». Mais il n'en reste pas moins que la place du privé est un dossier chaud et que ce sont ses partisans qui ont le fardeau de la preuve. Le rapport devait répondre à des craintes légitimes, comme le risque qu'un développement du privé affaiblisse le réseau public. Il ne le fait pas de façon convaincante et son argumentaire est trop pauvre pour donner à un gouvernement prudent des outils pour aller plus loin.
Ensuite, le virage majeur que constitue la fin de la gratuité. Le rapport ne propose pas un petit ticket modérateur, mais une contribution de 100$ pour adhérer à une clinique et surtout, une franchise substantielle. Selon l'une des deux formules proposées, les familles paieraient dans leur déclaration de revenus de l'année suivante 65$ pour chaque visite chez le médecin. Un grand nombre de familles se retrouveraient à payer les consultations au complet. Ce changement considérable est-il compatible avec la loi canadienne de la santé? C'est une évaluation que le rapport ne fait pas, et qui rend sa recommandation inapplicable.
Troisièmement, le rapport parle beaucoup de productivité, le seul élément que le ministre Couillard a bien accueilli, avec des mesures sur la prévention, la multidisciplinarité, l'allocation des ressources, «le bon service de santé offert par la bonne personne au bon moment». Mais c'est ce que les gouvernements essaient de faire depuis 20 ans, sans réussir à casser la croissance des dépenses. Et rien ne permet de croire que les pistes évoquées par le rapport vont plus loin que la réflexion qui se fait déjà dans le système.
Quatrièmement, le rapport ouvre une autre porte, une réflexion sur ce qu'un régime public devrait ou ne devrait pas couvrir. C'est un débat extrêmement délicat, qui est lancé sans autre forme de procès.
Et pour coiffer le tout, le financement. Le rapport dit en substance que la principale façon de faire face à l'explosion des coûts, c'est l'augmentation du fardeau fiscal, une hausse de plus de 2 milliards par année. Ce n'est pas dit clairement. On parle de franchise, ou de hausse de la TPS, mais ça revient exactement au même. Et le ministre Couillard a dit non.
Le danger, c'est qu'en écartant leurs propositions, on écarte aussi la réflexion que nous proposaient les auteurs du rapport. Il faut voir ce rapport comme un point de départ plutôt que comme un point d'arrivée. Ce document, largement consensuel, pose des questions qui n'avaient pas été posées, fait avancer la réflexion et nous amène plus loin. En enterrant le rapport, on risque aussi de mettre un point final au début de remise en cause et à laisser triompher la logique du statu quo. Ce serait dommage.
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