L’avis du banquier: le plus redouté

Ils se prononcent autant en politique québécoise

Chronique d'André Savard

Il n’y a rien de plus redouté que l’avis du banquier. Les individus ont leur cote de crédit. On apprend que notre pays aussi. Le Québec va pour le moment assez bien avec sa cote de catégorie A. Comme citoyen, notre cote s’évalue sur une échelle de un à neuf mesurée par des compagnies comme Equifax ou Trans-Union.
Il est assez étrange de voir sa valeur établie par sa capacité d’avoir des dettes et d’y faire face. Sans la bonne cote, au garde-magasin, on ne vous donnera pas le pouvoir de porter une grosse culotte. On juge comment vous avez payé dans le passé et quels seront les facteurs qui pourraient modifier la cote à la baisse ou à la hausse dans l’avenir.
Le prestige associé aux banques, à la monnaie, à la grande entreprise mondiale est énorme au point que leurs porte-paroles passent pour des oracles scientifiques.
Si vous entendez à la télévision des pronostics sur le P.I.B. d’une nation, la seule mention répétée du Produit Intérieur Brut suffira à prouver qu’on est dans le domaine du sérieux.
Les prévisions économiques ont tant de portée, les registres font tellement foi, qu’un rapport du banquier s’avére l’arme d’influence la plus efficace pour annoncer un désastre. Un des économistes les plus chevronnés du XX ième siècle, J. K. Galbraith, a pourtant exprimé des réserves sévères sur ce culte des prévisions dans son court essai Les Mensonges de l’Économie :
« Le mensonge commence par un fait d’une évidence incontournable, écrit-il, mais généralement ignoré : on ne peut anticiper avec certitude le comportement futur de l’économie, le passage des périodes fastes à la récession ou à la dépression et vice versa. Les prédictions sont surabondantes mais les connaissances ne sont pas solides. Tout est lié à la conjonction protéiforme de l’action incertaine de l’Etat, du comportement inconnu des entreprises et des individus, et, au niveau mondial, de la paix ou de la guerre ».

Comme Galbraith le note, l’économie n’a rien d’une science exacte. Le banquier paraît plus objectif que d’autres. S’il se prononce à propos du secteur public ou sur la bureaucratie, sur la rigueur de la gestion, il risque d’avoir cent fois plus d’échos dans la grande presse qu’en aura une bulle pontificale.
L’actuel président de la Banque Nationale gagne plus de cinq millions par année payables en argent et en actions boursières. Comme dans beaucoup de grosses entreprises, on assiste à ce que le Galbraith nomme « l’autorémunération des directeurs ». Comme le note Galbraith ni le conseil d’administration ni les actionnaires ne remplissent les fonctions de garde-fou.
La bureaucratie peut être énorme dans la grande entreprise sans que cela paraisse puisque qu’on l’a renommée le « management ». L’appropriation indue des revenus passe sous la rubrique « prime au rendement » et le tour est joué. On prétexte que c’est parce que la banque progresse. Le jour où ça ira mal on prétextera que c’est parce que le directeur met beaucoup d’énergie à redresser la situation.
« L’une des manifestations courantes de l’autorité dans l’entreprise, écrit Galbraith, est la fixation du salaire des directeurs, dans un contexte où l’ampleur de leur rémunération est la mesure de leur succès. » Les experts qui se prononcent dans les colloques sur le dégraissage de l’Etat ou qui conseillent sur la « bonne attitude entrepreneuriale », sont embauchés par des institutions qui n’ont pas de leçons à donner. « Le conseil d’administration, poursuit Galbraith, est une instance d’aimable compagnie, qui se réunit sous le signe de l’autosatisfaction et du respect fraternel mais qui est totalement soumise au pouvoir réel de la direction générale. »
***
Ils se prononcent autant en politique québécoise. Le thème de la rationalisation économique sert de véritable trame au débat. À chaque fois que la population est appelée à se prononcer sur l’indépendance, on a beau évoquer la « voix du cœur », celle-ci est soumise à une mise au silence. Au dernier référendum, Michel Bélanger, identifié à la fondation de la Banque Nationale, présida le camp du non. Sa seule présence conférait encore plus d’importance aux opinions négatives exprimées contre l’hypothèse qu’un Québec indépendant puisse participer à un pacte continental de libre-échange.
Comme toujours on disait aux Québécois que l’indépendance du Québec constituait une violation, une entorse aux normes admises. Les représentants du patronat, des banques et du Fédéral venaient renseigner la nation québécoise sur la nature des contraintes publiques que l’on doit subir sous peine de représailles.
L’indépendance du Québec ne constitue ni une impossibilité structurelle ni une remise en cause du credo économique. Dès que l’option monte dans les sondages, c’est systématique pourtant: on commence à en parler comme d’un événement à l’échelle de la Bible et des catastrophes. Le banquier n’est jamais loin, juste pour prouver que ces prédictions sont scientifiques alors que l’adversaire se nourrit de réalités oratoires.
Si c’est le financier qui le dit, ce doit être sérieux. Pourquoi croyez-vous qu’on le paie? Et quelle paie s’il vous plaît! Il sait de source sûre qu’advenant l’indépendance du Québec, on va fermer les robinets.
Il y a bien un défilé de l’amour canadien en faveur du Québec dans les médias, pour faire bonne mesure, mais il a une connotation économique. Nous, Canadiens, on fait tout pour eux, et eux… On gouverne pour eux et se laisse gouverner par eux et on les aime quand même par-dessus le marché! Laissés à eux-mêmes, qu’est-ce qu’ils pourraient faire de plus?
Si cela arrive, dit le banquier, on les convoquera pour telle heure. On attendra le résultat pour avant-hier! Plus de complaisance! On leur donnera l’ordre de raccourcir les délais!
Et l’électeur en vient à se demander si l’indépendance n’est pas comme une renégociation d’hypothèques, une renégociation d’autant plus problématique qu’il n’est pas certain que la nation québécoise ait un statut de propriétaire. C’est le banquier et ses affiliés qui sauraient dire… C’est eux qui détiennent les tableaux, les graphiques, les pourcentages…
André Savard


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3 commentaires

  • Georges-Étienne Cartier Répondre

    27 novembre 2007

    Cet échange m`amène à l`idée qu`il nous faudrait nous mettre à penser sérieusement ,et bien sûr à dire gravement, contre le québec sans le ROC dont la propagande fédéraliste nous rabat les oreilles pour nous terroriser,le ROC sans le QUÉBEC : que deviendrait il, comment évoluerait il, de quoi souffrirait il, comment se déliterait il...
    Nous ne manquons certes pas d`experts aptes à se livrer avec crédibilité à cet exercice.
    Il y a beaucoup de plaisir en vue là dedans. Et de pronostics délicieux à répendre.
    La meilleure défense , c`est l`attaque, ou plus exactement la contre attaque : encore et toujours !

  • Raymond Poulin Répondre

    27 novembre 2007

    Pour déniaiser les néophytes en matière économique, rien comme les nombreuses oeuvres de John Kenneth Galbraith, qui joua un rôle prépondérant dans l'application de la politique économique de guerre aux USA pendant la Deuxième Guerre mondiale et contribua, pendant 70 ans, à dégonfler bien des baudruches. En plus du petit bouquin recommandé ici, je propose notamment Voyage dans le temps économique, au Seuil. Ces deux livres devraient être au programme du cours obligatoire d'économie dans les cégeps. Sans s'enferrer dans les mathématiques et les graphiques, les étudiants en apprendraient davantage là-dedans que dans leurs manuels sur les rouages réels de l'économie et sur les véritables hérésies économiques des grandes puissances, des spéculateurs, des banquiers et même des économistes.

  • David Poulin-Litvak Répondre

    27 novembre 2007

    Merci pour ce texte M. Savard. Cela souligne l’importance, en fait, de préparer un contre argumentaire, et même de prendre les devants, sur les rhétoriques fédéralistes inévitables. Il n’y a pas, comme vous le savez, que la question économique qui est brandie pour épeurer les gens, il y a aussi celle de fascisme ou de nationalisme ethnique, et ainsi de suite. Je crois que l’indépendance politique pourrait raisonnablement être présentée comme un moyen d’être pleinement maître de son économie interne, par la fixation souveraine de sa politique économique, d’optimiser le secteur public québécois en éliminant les dédoublements avec la fédération, etc.
    Évidemment, il faut ici accentuer le fait que le Canada scindé en deux peut difficilement se passer de négociation avec son voisin. L’ensemble des relations d’un État étant liées, il va donc de soi que le maintient du libre-échange avec le Canada fera partie de l’ordre du jour. Le Québec a aussi un avantage dans cette négociation : la dette. Si le Canada refuse de négocier, votons une loi de nationalisation des effectifs canadiens sur le territoire québécois et faisons-leur cadeau de la dette. La réalité est que le Canada nouveau, scindé en deux, sera bien plus fragile, à mon sens, que le Québec.