L’aveu de Philippe Couillard

D7aa81134ba81fbda096088eaabd88f7

Couilard avoue: les compressions frappent les plus faibles





Ça y est. C’est dit. Les compressions budgétaires massives imposées au nom d’une atteinte rapide du déficit-zéro frappent aussi les services publics aux personnes les plus vulnérables de la société québécoise.


Timidement, cette semaine, le secret de Polichinelle était reconnu comme tel par Philippe Couillard lui-même.


Question d’un journaliste : «Pourquoi vous n’avez pas été en mesure de protéger les services aux plus vulnérables, tel que vous vous étiez engagés à le faire au moment de votre entrée en fonction?».


Réponse du premier ministre : «Parce que condamner le Québec à des déficits perpétuels et l’endettement, c’est la plus sûre façon de nuire aux personnes les plus vulnérables».


Encore une fois, on justifie de s’en prendre aux plus fragiles d’entre nous au nom de leur propre bien-être futur, un jour, on ne sait trop quand.  Les privations sont réelles, mais l’amélioration de leur sort, elle, reste hypothétique.


Il y a quelque chose de profondément judéo-chrétien dans cette rhétorique du «sacrifice» imposé à d'autres en vue d’un «paradis» quelconque à la fin de leurs jours.


Lucien Bouchard, au nom de son propre déficit-zéro, justifiait ses propres compressions de la même manière.


Bizarre tout de même comment les «sacrifiés» sont souvent les mêmes et rarement ceux qui gravitent autour du régime du jour.


L’austérité a toujours ceci de particulier qu’elle est invariablement à géométrie variable.


Or, dans la vraie vie, lorsque des services publics aux personnes qui en ont le plus besoin sont réduits, disparaissent ou sont sous-traités au privé, le dommage est réel et les séquelles durent longtemps.


Cet «aveu» tardif du premier ministre, livré du bout des lèvres, ne change donc rien à la réalité.


***


Vendredi dernier, voici d’ailleurs ce que j’en écrivais déjà avant ledit «aveu» :


«Les compressions budgétaires n’affecteront pas les services directs à la population.» Vous connaissez sûrement le refrain. Le problème est qu’il sonne aussi faux qu’un piano désaccordé. Sans remettre en question la «gestion serrée des fonds publics» — un bel euphémisme —, la Protectrice du citoyen le dit pourtant crûment : l’austérité se déploie au «détriment» des citoyens. Déposé hier, son rapport annuel en liste plusieurs exemples concrets. La chasse effrénée au déficit zéro fait mal. En santé et dans les services sociaux, elle frappe durement les personnes âgées ou handicapées de tous âges, intellectuelles ou physiques.»


Bref, un aveu, mais pas encore d’acte de contrition...


***


Mardi, à la période de questions, l’opposition officielle péquiste, la deuxième opposition caquiste et Québec solidaire ont tour à tour questionné le premier ministre sur les effets négatifs des compressions sur les plus vulnérables – des plus jeunes au plus vieux. Y compris pour les personnes handicapées intellectuelles et autistes.


Sa réponse est demeurée imperturbable :


«Les efforts de redressement budgétaire sont importants justement pour protéger les services à la population. La plus grande menace qui guette les personnes vulnérables au Québec, c'est que le Québec continue à s'enfoncer dans le déficit, la dette, et là on va atteindre profondément et pour longtemps nos services publics. On a donné instruction aux organismes publics de tout faire pour protéger les services, particulièrement aux personnes les plus vulnérables, mais il faut garder le cap parce que ce sont justement ces personnes vulnérables qui doivent reconnaître dans le gouvernement leur allié, et je suis certain que ce cas va être pris en considération par mes collègues des ministères touchés, mais s'assurer également que le message à la population, c'est de dire que des services publics et des services sociaux et de solidarité bâtis sur la carte de crédit, la dette et les déficits, ça ne tient pas, ce n'est pas un discours véritable, ce n'est pas un discours crédible.»


Encore une fois, on justifie des compressions aux plus fragiles en  leur promettant qu’un jour, tout ira mieux...


***


La fameuse «théorie de la marge de manœuvre à dégager»


C’est ce que j’appelle la fameuse «théorie de la marge de manœuvre à dégager». On coupe, beaucoup, nous laisse-t-on toujours entendre, pour dégager une nouvelle marge de manoeuvre budgétaire. Ce qui, au sein de la population, est compris comme une promesse de réinvestissement futur dans les mêmes services publics qu'on a réduits.


Depuis vingt ans, chaque premier ministre à chaque nouvelle vague de compressions répète en effet que les «coupures» dégageront une «marge de manœuvre» permettant éventuellement de mieux protéger la pérennité des services publics.


Un joli refrain, mais la réalité passée a amplement démontré qu’il était faux.


Qui plus est, selon la plateforme électorale du Parti libéral du Québec de l’an dernier, cette fameuse marge de manœuvre irait ailleurs.


Les «surplus budgétaires» «prévus dès 2015-2016», y lit-on, «seront alloués à 50 % aux réductions d’impôt pour les contribuables de la classe moyenne, et à 50 % à la réduction du poids de la dette par des versements supplémentaires au Fonds des générations».


Si le gouvernement a changé d’idée sur cette question fondamentale, ce serait bien qu’il en informe la population. Sinon, il faudra croire que cet engagement, du moins celui-là, tient toujours.


***


Les «champions de la coupure»


Une autre réponse que donne le premier ministre vient sous forme d'attaque.


Se tournant vers le chef de l’opposition officielle, il rappelle que:


«Les champions de la coupure en éducation, ce n'est pas de ce côté-ci de l'Assemblée qu'ils sont mais de leur côté, champions toutes catégories, toutes époques confondues, M. le Président, les plus sévères compressions. Pas un ralentissement de croissance, des coupes massives. C'est arrivé sous leur gouvernement. C'est également ce parti politique qui a coupé le nombre de professionnels de soutien dans les écoles de façon magistrale et qu'on a dû doubler ce nombre au cours des années qui ont suivi avec d'importants investissements publics. Alors, un peu de mesure, un peu de mesure, M. le Président, parce que, quand même, les mémoires sont fixées dans le réseau de l'éducation pour ce qui est du bilan de nos collègues de l'opposition.»


Or, les pots cassés par les compressions exagérées du gouvernement Bouchard ne justifient en rien ceux du gouvernement Couillard.


Une autre réponse habituelle est de tabler sur  l’équilibre budgétaire en accusant du même coup le PQ de défendre un projet politique – la souveraineté qui, selon le premier ministre, «prévoit la ruine financière du Québec». Rien de moins.


***


 


Et pourtant...


Et pourtant, pas plus loin que l’an dernier,  le premier ministre s’engageait au contraire à protéger les plus vulnérables des compressions.


Le 24 mai 2014, dans son premier discours d’ouverture, il déclarait ceci :


«Certains programmes seront jugés pertinents, mais insuffisamment pourvus en ressources. D’autres, au contraire, seront revus en profondeur. Là encore, ces recommandations seront présentées publiquement. Dans ce genre d’action, les consensus sont difficiles. Le gouvernement écoutera les divers points de vue, mais agira de façon nette et décisive. Dans tous les cas, les services destinés aux personnes les plus vulnérables de notre société et la sécurité de la population seront l’objet d’une attention particulière.»


Un mois auparavant, le 25 avril 2014, voici comment Le Devoir rapportait la position d'alors du premier ministre :


«Ces compressions, désignées par le premier ministre comme des « efforts budgétaires », prennent la forme d’un gel de l’embauche, et donc du non-remplacement de tous les départs à la retraite. Ces « gains d’efficacité », selon le terme employé, doivent s’élever à 2 % de la masse salariale des ministères, des organismes et des sociétés d’État. Pour les réseaux de la santé et de l’éducation, le gel de l’embauche ne vise que l’administration ; les services à la population sont en principe épargnés.
(...)


Avant même le dépôt du budget et des crédits budgétaires au début juin, le gouvernement Couillard mettra sur pied une Commission sur la réforme de la fiscalité des particuliers et des sociétés, qui se penchera notamment sur les crédits d’impôt accordés au secteur privé, et une Commission sur la révision permanente des programmes.
 
Cette commission jugera de la pertinence de l’ensemble des programmes gouvernementaux afin de recommander de réduire l’ampleur de certains et d’en abolir d’autres. Les missions fondamentales de l’État que sont la santé, l’éducation et l’aide aux personnes vulnérables ne seront pas visées, a certifié Philippe Couillard

 


***
 


Comme le chantait si bien Claude Gauthier, que les gens sont «fragiles à des promesses d’élection»... 


Le constat, je l’ai déjà fait ici et ailleurs, tous partis confondus, et je le ferai à nouveau à l'effet que de plus en plus, des pans entiers des plateformes électorales des partis politiques, y compris certains de leurs engagements les plus formels, deviennent jetables après usage dès qu'ils prennent le pouvoir. Pas toujours, mais de plus en plus souvent.


Ce phénomène est le produit de nombreux facteurs, dont un manque croissant de cohérence et de transparence devant l'électorat.


Un second facteur parmi d'autres, et découlant du premier, est dans la manière même que l'on rédige et prépare de plus en plus les plateformes électorales. Modulées et modelées sur des sondages internes pointus et l'usage de «groupes de discussion» - les «focus groups» -, les plateformes se font souvent le reflet non pas des principes guidant un parti, mais des tranches de l'électorat que l'on cherche à séduire. Ce que j'appelle le «clientélisme chirurgical».


L'opération ne fonctionne pas toujours, mais elle fonctionne parfois de manière spectaculaire.


C''est justement parce que les plateformes sont trop souvent modulées sur une stratégie électorale clientéliste qu'elles prennent le chemin de la filière 13 dès après la prise du pouvoir.


Et après, on se demandera pourquoi autant de citoyens se «désengagent« de la politique et du politique.
 




Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé