L'autre secteur privé

17. Actualité archives 2007


On a souvent tendance à opposer les secteurs public et privé. Or les rapports entre les deux sont plus complexes et nuancés qu'il n'y paraît. Le secteur privé peut servir l'intérêt public ou le bien commun. Et une entreprise privée peut fort bien appliquer chez elle les valeurs et les principes de la propriété collective et de la démocratie participative.



Le Québec est d'ailleurs riche d'une longue tradition dans cette lignée, notamment par la force de son secteur coopératif. On a oublié que la plus grande banque québécoise, le Mouvement Desjardins, est une coopérative, qui ne peut pas être vendue à une autre banque, car elle appartient à ses cinq millions de membres, et qui réinvestit ses bénéfices, prenant la forme de ristournes, dans la communauté.
Cet automne, le mouvement de l'économie sociale et solidaire fête son dixième anniversaire. À la suite du Sommet économique convoqué par Lucien Bouchard en 1996, le gouvernement créait le Chantier de l'économie sociale. Nancy Neamtan en prenait la direction. L'économie sociale, y compris les coopératives, compte aujourd'hui plus de 7000 entreprises qui fournissent de l'emploi à quelque 125 000 personnes et représentent plus de 3 % du PIB québécois.
On trouve des entreprises d'économie sociale dans tous les secteurs économiques, des services à domicile pour personnes âgées à la coopérative forestière.
Les principaux porte-parole de l'économie sociale et solidaire refusent, généralement, de qualifier leurs entreprises de «privées». Ils proposent plutôt une façon de découper la réalité économique en trois composantes : l'économie publique (l'action de l'État), l'économie privée (celle des entreprises à but lucratif) et l'économie sociale (regroupant les entreprises à propriété collective ou dont la vocation spécifique est de nature sociale).
Or l'économie sociale est une «vraie économie», comme le dit l'ancien président du Mouvement Desjardins, Claude Béland. Elle est le fait d'entreprises qui produisent des biens ou des services et les distribuent en vue de répondre aux besoins des consommateurs.

Les entreprises d'économie sociale n'appartiennent pas à l'État, mais à leurs propriétaires. Ces entreprises peuvent être financées en partie par des fonds publics. Qu'en est-il des écoles «privées», des garderies «privées» et de la plupart des autres entreprises qui jouissent également d'aides publiques sous diverses formes ?
L'école privée du Québec ne l'est, en réalité, qu'à moitié, puisqu'elle est subventionnée, en majorité, à hauteur de 60 % et qu'elle applique le même régime pédagogique que l'école publique.
Il en est de même pour les services de garde à l'enfance. Les centres de la petite enfance sont des organismes privés, mais à but non lucratif. Les CPE sont d'ailleurs l'un des exemples de réussite de l'économie sociale et solidaire.
Depuis quelques années se sont multipliées au Québec les expériences de coopératives de santé pour favoriser un meilleur accès aux services de santé de première ligne. Ces coops ne sont pas, comme les CLSC, des organismes publics, mais des organisations privées à but non lucratif et à propriété collective (voir, à ce sujet, l'ouvrage récent du professeur Jean-Pierre Girard, Notre système de santé autrement, aux éditions BLG).
Toutes ces organisations «privées» servent à leur manière, et dans une large mesure, l'intérêt public, le bien commun, leur collectivité et appliquent des principes démocratiques.
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L'économie sociale et solidaire est «l'autre secteur privé». En fait, le secteur privé idéal qui, dans le calcul de ses coûts et de ses bénéfices, inclut les impacts de son activité sur la cohésion sociale et la qualité de l'environnement. Les entreprises d'économie sociale et solidaire participent aux stratégies de développement local et régional, adoptent les principes de la démocratie participative, favorisent le partage des risques et la permanence des emplois, participent au développement durable et à l'éducation économique de ses membres.
Toutes les entreprises ne devraient-elles pas poursuivre ces mêmes objectifs ? D'ailleurs, plusieurs ne le font-elles pas déjà, s'inscrivant dans la mouvance de l'investissement responsable et du commerce équitable ?
Un vaste mouvement d'appui à l'entrepreneuriat social se déploie d'ailleurs à l'échelle planétaire. Le journaliste new-yorkais d'origine montréalaise David Bornstein a publié cette année aux éditions La Découverte Comment changer le monde, Les entrepreneurs sociaux et le pouvoir des idées nouvelles.
Un entrepreneur social est un individu qui, ayant mis au jour un problème social à résoudre, met à profit sa ténacité, son enthousiasme, sa créativité, pour imaginer une solution concrète, rassembler les ressources nécessaires à sa mise en oeuvre et sa diffusion à toute la société.
Selon Bornstein, cette conception de l'esprit d'entreprise au service de la société se répand comme une traînée de poudre aux quatre coins du monde. Des fondations comme Ashoka et Skoll (créée par le fondateur d'e-bay, un autre Montréalais d'origine, Jeff Skoll) soutiennent à l'échelle mondiale des projets de cette nature.
Le secteur privé n'est pas homogène, et il peut servir l'intérêt public, ou ce qu'on appelle le bien commun. Vivement le jour où l'autre secteur privé deviendra la norme.
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Mise au point : en voulant dire trois choses différentes dans le même paragraphe, j'ai donné l'impression, dans ma chronique du 11 septembre (parue le 12), de renvoyer dos à dos les imams qui appellent à la violence et les rabbins hassidiques qui tiennent à leurs écoles séparées. Il va de soi que ces deux situations sont complètement différentes et que l'amalgame des deux est abusif. Je m'excuse auprès des lecteurs qui ont pu être choqués par cette mauvaise formulation.
michel.venne@inm.qc.ca

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Michel Venne35 articles

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Directeur général Institut du Nouveau Monde

Michel Venne est le fondateur et le directeur général de l’Institut du Nouveau Monde. Il est le directeur de L’annuaire du Québec, publié chaque année aux Éditions Fides. Il prononce de nombreuses conférences et est l’auteur de nombreux articles scientifiques. Il est membre du Chantier sur la démocratie à la Ville de Montréal, membre du comité scientifique sur l’appréciation de la performance du système de santé créé par le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec, membre du conseil d’orientation du Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques favorables à la santé, membre du conseil d’orientation du projet de recherche conjoint Queen’s-UQAM sur l’ethnicité et la gouvernance démocratique.





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