Les difficultés économiques et financières qu’éprouvent depuis quelques années les pays occidentaux ne sont pas de nature passagère. Il s’agit au contraire d’une crise profonde suscitée par la politique budgétaire que poursuivent ces pays depuis le milieu des années 1970. Sauf pendant une partie des années 1990, l’endettement des gouvernements n’a cessé de croître au cours des 35 dernières années.
En 2010, l’endettement du secteur public de l’ensemble des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a atteint un peu moins de 97,6 % de leur PIB combiné. Autrement dit, la dette publique totale des pays de l’OCDE est maintenant presque égale à la valeur de leur production annuelle de biens et services.
Étant donné l’ampleur des déficits budgétaires enregistrés l’année dernière, on prévoit que le niveau d’endettement de 2011 (qui ne sera officiellement établi que dans un an) sera encore plus élevé. Mais ce qui est plus inquiétant encore, c’est que ce niveau d’endettement augmente beaucoup plus vite depuis 2008 qu’au cours des années antérieures.
La gravité de la crise varie d’un pays à l’autre, comme l’indiquent les ratios dette/PIB de 2010 publiés récemment par l’OCDE. Le ratio le plus faible est celui de l’Estonie (12%), le plus élevé celui du Japon (200 %).
À mi-chemin de ces deux extrêmes se trouvent la Belgique (101 %), la France (94 %), l’Irlande (102 %), le Portugal (103 %) et les États-Unis (94 %).
Deux pays sont plus lourdement endettés que ces derniers : la Grèce (147 %) et l’Italie (127 %). Et deux autres le sont un peu moins : le Canada (84,2 %) et le Royaume-Uni (82,4 %).
Un problème structurel
Mais ce qui est commun à tous ces pays, c’est que la part des travailleurs actifs dans la population totale tend à diminuer par suite du vieillissement de la population et de la hausse du chômage. La conséquence en est que plus on tarde à revenir vers l’équilibre budgétaire, plus la situation risque de se détériorer. Le problème des finances publiques n’est pas uniquement conjoncturel, il est aussi structurel.
Dans une étude récente (Fiscal Consolidation : Part 3 -Long-Run Projections and Fiscal Gap Calculations), des économistes de l’OCDE ont tenté d’évaluer l’ampleur des sacrifices budgétaires que chacun des pays membres de cette organisation devra consentir pour assurer sa viabilité financière à long terme. Plus précisément, en tenant compte de diverses variables démographiques et économiques, on a tenté de déterminer l’ampleur des hausses de recettes ou de compression des dépenses (mesurées en pourcentage du PIB) que chaque pays devrait effectuer pour stabiliser d’ici 2050 son ratio dette/PIB à 50 % (un niveau d’endettement jugé raisonnable). L’étude appelle « écart budgétaire » l’ampleur de l’effort ainsi consenti.
Par exemple, si un pays a un « écart budgétaire » de 10 %, cela signifie que son gouvernement doit dès maintenant, et de manière permanente, procéder à des compressions de dépenses et à des hausses de recettes dont la valeur combinée correspond à 10 % du PIB, s’il veut voir son ratio dette/PIB évoluer d’ici 2050 vers 50%.
Bref, l’« écart budgétaire » constitue un indice de la dimension structurelle du problème des finances publiques.
Ce qui ressort de cette étude, c’est que, mis à part la Suisse, la Suède, le Luxembourg et la Corée du Sud, tous les pays de l’OCDE ont un « écart budgétaire », ce qui signifie qu’ils devront tous réduire leurs dépenses ou hausser leurs impôts s’ils veulent parvenir à un niveau d’endettement raisonnable d’ici 2050. Le pays dont l’« écart budgétaire » est le plus élevé est le Japon (9,6 %), suivi des États-Unis (6,9 %), du Royaume-Uni (5,75 %), de la Nouvelle-Zélande (5,5 %), de l’Irlande (3,9 %), de la France et de la Pologne (3,1 %) et du Canada (2,5 %).
Ainsi, bien que certains pays de l’Union européenne, notamment la Grèce et l’Espagne, soient aux prises avec de très graves difficultés financières à court terme, dans une perspective à long terme, aucun pays de l’OCDE (mis à part le Japon) n’est en plus mauvaise posture financière que les États-Unis.
Quant au Canada, sa situation pourrait être qualifiée de « moyenne », puisqu’il se situe dans une position intermédiaire entre les pays mentionnés ci-dessus et une dizaine d’autres pays (Allemagne, Grèce, Pays-Bas, Autriche, Australie, etc.) dont l’« écart budgétaire » se situe entre 2,0 et 0,4 %.
Gamme de solutions réduite
Au cours des prochaines années, les enjeux politiques dans presque tous les pays développés porteront sur la façon de fermer l’« écart budgétaire » et de réduire le niveau d’endettement.
Selon le scénario classique, les partis de gauche seront naturellement portés à proposer des hausses d’impôts et les partis de droite à privilégier les compressions de dépenses, ceux du centre essayant de trouver un juste équilibre entre les deux. Pourtant, il se pourrait fort bien que la gamme des solutions soit plus réduite que ne le laisse croire un tel scénario.
En effet, on ne peut prélever de nouveaux impôts sans pénaliser de quelque manière le fonctionnement de l’économie. Les hausses d’impôts dans les pays où le niveau de la fiscalité est déjà élevé entraînent deux types de difficultés : l’évasion fiscale et l’exode de travailleurs spécialisés et d’entrepreneurs.
L’existence du « marché noir » de la main-d’oeuvre au Québec et ailleurs au pays illustre la première de ces difficultés. L’exode d’entrepreneurs et de travailleurs spécialisés dont souffre la France depuis quelques années illustre la deuxième : on estime à environ 400 000 le nombre de Français vivant actuellement à Londres, ce qui ferait de celle-ci la quatrième plus importante ville francophone en Europe - après Paris, Lyon et Marseille.
Si les possibilités de hausser les impôts sont limitées, les gouvernements devront forcément procéder à des compressions de dépenses, et notamment des dépenses « discrétionnaires », c’est-à-dire celles liées aux programmes sociaux. Il s’agit là d’opérations politiquement suicidaires, puisqu’elles se soldent généralement par l’absence de « gagnants » et un nombre élevé de « perdants ». Et pourtant la nécessité de telles opérations paraît de plus en plus évidente.
On se demande d’ailleurs pourquoi des gens sensés voudraient faire une carrière politique dans une conjoncture où les choix sont aussi peu attrayants. Mais il y aura toujours des Pauline Marois, des Françoise David, des Thomas Mulcair pour promettre des châteaux en Espagne à une population vilement exploitée à des fins électorales.
Les membres de la classe politique sont bien conscients des problèmes que nous réserve l’avenir. Mais ce qui leur tient le plus à coeur, c’est leur avenir. D’où leur empressement à parler de tout sauf de la dure réalité qui nous guette.
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Richard Bastien - Collaborateur régulier de la revue Égards, l’auteur a été économiste au ministère des Finances à Ottawa
Politiques économiques
L’austérité n’est pas un choix, mais une nécessité
Les hausses d’impôts dans les pays où le niveau de la fiscalité est déjà élevé entraînent deux types de difficultés : l’évasion fiscale et l’exode de travailleurs spécialisés et d’entrepreneurs.
Il est bien évident que l'évasion fiscale (paradis fiscaux) est un "effet", et surtout pas une "cause" du manque à gagner de l'État. On peut la mentionner, mais surtout pas la combattre... Quelle rigueur!
Richard Bastien2 articles
Président de l'Institut Égards, propriétaire de la revue Égards et vice-président de la maison d'édition Justin Press
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