Si un extrémiste s'avisait de molester un chiite au coin d'une rue, à Ville Saint-Laurent, le député de la place, Stéphane Dion, monterait aux barricades pour dénoncer cet acte barbare au nom de la Charte des droits et libertés et veillerait à ce que ce crime soit sévèrement puni, et c'est tout à son honneur.
Mais vendre des armes canadiennes à l'oligarchie des Al Saoud, un régime tyrannique qui massacre par milliers les chiites et, par extension, les sunnites, à l'intérieur du royaume wahhabite, en Syrie et au Yémen, ce crime contre l'humanité ne semble pas scandaliser le même Stéphane Dion, ministre des Affaires étrangères, et c'est tout à son déshonneur.
Faites-moi la preuve
Quoi de mieux qu'un argument fallacieux pour calmer les consciences ébranlées? Pour se justifier d'avoir serré la main du diable, le ministre Dion veut avoir la preuve que les 900 blindés dont il a autorisé la vente, en catimini, le 8 avril dernier, seront utilisés contre des civils par cette monarchie sanguinaire.
Est-il encore nécessaire de rappeler le sombre bilan de ce régime de terreur en matière de violation des droits de la personne pour le persuader de mettre fin à ce contrat de la honte? A-t-on vraiment besoin de plus d'images de décapitation, de lapidation, de viol, de torture, de massacre de civils pour s'en convaincre?
L'argument de la preuve d'abus qu'il invoque ne tient tout simplement pas la route, comme l'ont rappelé à juste titre, le 25 avril dernier, Amnistie internationale et une dizaine d'organismes signataires d'une lettre adressée au premier ministre Justin Trudeau. Ils y affirment que «le contrôle des exportations du Canada ne requiert ni une "preuve" ni une "certitude", mais plutôt un "risque raisonnable". Étant donné ce que l’on sait du dossier épouvantable – et qui va en s’aggravant – de l’Arabie saoudite en matière de droits [de la personne], tant à l’intérieur du pays que chez son voisin le Yémen, [ils estiment] que ce risque est évident». Voilà qui est clair.
Le 29 mars, 10 jours avant que Stéphane Dion n'autorise l'octroi des sinistres licences d'exportation pour les premiers 11 G$ du lucratif contrat de 15 G$, le réseau de télévision américain PBS a diffusé, à son émission phare Frontline, un documentaire percutant, Saudi Arabia Uncovered, où de jeunes Saoudiens dévoilent, en caméra cachée et au péril de leur vie, le vrai visage de «notre amie l'Arabie saoudite», celui de la répression, de la persécution et de la misère de tout un peuple vivant sous le joug de l'esclavage.
Une signature tachée de sang
L'autre argument officiel, avancé par le premier ministre Justin Trudeau, est que le gouvernement des «Sunny Ways» ne peut renier la signature de l'ancien premier ministre conservateur, Stephen Harper, qui a autorisé en premier lieu, le 14 février 2014, la vente des fameux blindés de General Dynamics à l'Arabie saoudite.
Au siège social de l'ONU, où il se trouvait le 16 mars dernier, Justin Trudeau a prétendu qu' «il serait effectivement à peu près impossible pour le Canada de faire affaire dans le monde s’il y avait une perception que n’importe quel contrat, qui va au-delà du mandat d’un gouvernement, pourrait ne pas être honoré».
Cette affirmation est contredite par le ministre Dion lui-même, qui a admis, le 12 avril dernier, qu'il avait le pouvoir de suspendre ou de «révoquer la licence d'exportation» si on lui fournissait des «informations crédibles» prouvant que ces armes seraient utilisées «à mauvais escient». Or, Amnistie internationale et les groupes qui, le 27 avril dernier, se sont déplacés au parlement pour interpeller le premier ministre Justin Trudeau ont contesté cette version. Selon eux, ce risque est bien réel et la signature du gouvernement, immorale, violait notre propre loi ainsi que le droit international.
En effet, voilà un gouvernement qui prétend ramener les principes de la démocratie et de l'éthique au cœur de sa politique étrangère, mais qui renie sa parole à la première occasion. «Le Canada est de retour», le slogan de Justin Trudeau, n'aura duré que le temps d'un selfie. À quoi sert, alors, de se faire le chantre des valeurs canadiennes dans les forums internationaux, quand on n'a pas le courage de les défendre lorsqu'elles sont mises en péril?
Le commerce infléchira la dictature
L'une des vieilles théories qui n'ont jamais été démontrées dans la pratique, recyclée par le ministre Dion pour défendre l'indéfendable, consiste à dire: faisons du commerce avec les dictatures, on finira bien par les influencer et les amener à la démocratie.
Il faut «choisir les bons leviers pour tenter d'améliorer la situation des droits de la personne en Arabie saoudite», a-t-il affirmé. Comment peut-on être naïf à ce point et penser qu'en vendant des armes au régime totalitaire des Al-Saoud, on va contribuer au respect des droits de la personne?
Et comme si la naïveté ne suffisait pas, voilà que le ministre Dion prétend infléchir la dictature wahhabite par le simple passage des étudiants saoudiens dans nos universités.
À ce jour, les faits démontrent le contraire. Ce sont les potentats saoudiens qui font courber l'échine des dirigeants occidentaux, par l'appât de l'argent, par le chantage et par la menace. Les exemples ne manquent pas, le président américain, Barack Obama, en sait quelque chose et il n'est pas le seul.
Le 25 janvier dernier, La Presse canadienne nous apprenait que les collèges Algonquin et Niagara ont été autorisés à ouvrir en Arabie saoudite des campus desquels les femmes étaient exclues. Comble d'incohérence, cette discrimination, qui va à l'encontre de nos valeurs et de nos chartes, avait été autorisée par le ministre de la Formation, des Collèges et des Universités de l'Ontario.
Ainsi, pour de lucratifs contrats d'armement, nos gouvernements et nos institutions n'hésitent pas à se mettre des œillères afin de masquer la réalité d'un régime décadent qui arme et finance les groupes djihadistes au Moyen-Orient et dans le monde et qui répand son idéologie salafiste en Occident, y compris au Canada, afin de saper les bases de la démocratie.
Le leadership du Canada
Dans un texte qu'il a signé dans le Globe and Mail du 8 décembre 2015 sous le titre «Le Canada peut être leader: rappelez-vous notre lutte contre l'apartheid», Brian Mulroney, ancien premier ministre du Canada, relate la bataille qu'il a menée dès 1984, avec les membres de son gouvernement, pour amener les dirigeants du monde à imposer des sanctions économiques à l'Afrique du Sud en vue de mettre fin à l'apartheid et faire libérer Nelson Mandela.
Auparavant, un autre premier ministre, Pierre Elliott Trudeau, s'était opposé à ce que le Canada exerce des pressions commerciales sur Pretoria et considérait les sanctions économiques comme étant «irréalistes».
Mulroney savait qu'il dirigeait un pays qui n'avait pas le poids politique d'une superpuissance, mais il a démontré que le Canada pouvait donner l'exemple. Il s'est tenu debout face à Margaret Thatcher et Ronald Reagan et a bien positionné le Canada en matière de respect des droits de la personne.
Pas étonnant que le premier voyage de Nelson Mandela à l'étranger, le 11 février 1990, quatre mois à peine après sa libération, après 27 ans en prison, ait été au Canada. Sa gratitude à l'égard du Canada et du Québec était immense. Je peux en témoigner, j'ai eu le privilège de le rencontrer lors de sa visite à l'hôtel de ville de Montréal le 19 juin 1990.
C'est ce leadership qui nous manque terriblement aujourd'hui, car le Canada, qui fait partie de plusieurs forums internationaux et régionaux (ONU, Commonwealth, Francophonie, Amériques et Asie-Pacifique), peut exercer une influence constructive et montrer la voie. Or, en vendant des armes à un régime sanguinaire, Justin Trudeau a décidé de ramener le Canada à «une puissance par courtoisie».
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