Cinq ans plus tard

L'appareil de renseignement américain: une vulnérabilité persistante (2)

11 septembre 2001



Deuxième texte d'une série de trois extraits du livre Le 11 septembre 2001, cinq ans plus tard, Le terrorisme, les États-Unis et le Canada, qui vient d'être publié aux Éd. du Septentrion




Comme l'ensemble de l'appareil de sécurité américain, la communauté du renseignement n'a pas été épargnée par le rapport définitif de la Commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis. Le scandale des armes de destruction massive en Irak et la traque infructueuse de l'ennemi public numéro un, Oussama ben Laden, n'ont fait que rajouter au malaise.
L'Intelligence Reform and Terrorism Prevention Act, adopté en décembre 2004 pour remédier aux insuffisances mises en évidence par le 11 septembre 2001, doit aujourd'hui faire ses preuves. La réorganisation de cette immense toile d'araignée paraît encore bien fragile.
La communauté est officiellement composée de 16 organisations, qui s'occupent pour tout ou en partie d'activités de renseignement. Depuis le 11-Septembre, elle a accueilli trois entités supplémentaires : le Département de la Sécurité intérieure créé dans la foulée des attentats, les garde-côtes et le service de lutte contre le narcotrafic (DEA). Ces nouveaux venus sont sous l'autorité du directeur national du renseignement (DNI), poste qui a été mis en place avec la réforme de 2004, mais dont la création était recommandée depuis déjà de nombreuses années.
Le DNI a la lourde tâche d'insuffler un véritable esprit d'équipe entre les agences et, surtout, de centraliser et de recouper les informations recueillies. Nouveau «tsar» de la communauté -- au détriment du directeur de la CIA qui portait jusque-là la double casquette --, il est celui qui délivre dorénavant le fameux rapport quotidien (daily briefing) au président. Il opère en étroite collaboration avec le nouveau Centre national de lutte antiterroriste, qui fédère l'ensemble des composantes de la communauté en la matière.
Un budget colossal

Le budget de la communauté est classé secret pour des raisons de sécurité nationale. Il a néanmoins été officiellement dévoilé à deux reprises, en 1997 et en 1998, où il était respectivement de 26,6 et de 27,7 milliards de dollars américains. Cette somme représente le total des budgets affectés aux agences et aux activités de renseignement pour l'ensemble de l'appareil gouvernemental américain, y compris le département de la Défense.
En novembre 2005, lors de ce qui semble avoir été une maladresse de sa part au cours d'une conférence publique, une responsable du renseignement (Mary Margaret Graham, deputy director of national intelligence for collection) a dévoilé le budget actuel qui se chiffrerait à 44 milliards (48,5 milliards de dollars canadiens) pour l'année fiscale 2006. Ce qui représente une augmentation de près de 65 % en 7 ans.
Contrairement au mythe, la part attribuée à la CIA serait de l'ordre d'environ 10 % (près de 5 milliards $US), alors que les composantes liées au département de la Défense se partageraient plus de 85 % du total (38 milliards $US).
En comparaison, le budget de la communauté du renseignement américain est presque équivalent au budget total de la Défense de la France, 150 fois supérieur à celui du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), le double du budget de la santé du Québec et près du quadruple de celui de l'éducation.
Pourquoi Ben Laden court-il toujours ?
Bien que considéré comme affaibli et ne pouvant pas se déplacer très facilement, Ben Laden n'est pas encore tombé aux mains des Américains. Si d'autres célébrités planétaires, comme Saddam Hussein, Abou Moussab al-Zarqaoui ou Zacarias Moussaoui, ont été mises hors d'état de nuire, l'apatride saoudien semble inaccessible. Un grand jury américain l'a pourtant inculpé pour la première fois le 8 juin 1998 pour conspiration en vue d'attaquer les structures de défense des États-Unis.
S'il court toujours le 11 septembre 2006, plus de 3000 jours se seront écoulés depuis lors sans que les Américains parviennent à l'arrêter. Sa tête a été mise à prix à 50 millions de dollars américains.
Selon plusieurs anciens officiels du renseignement, la non-arrestation de Ben Laden serait plus due à un manque de réelle volonté politique qu'à un problème de localisation. Il se trouverait au sud du Waziristan, à la frontière pakistano-afghane, mais le Pakistan aurait tendance à tergiverser en la matière, selon le ministre afghan des Affaires étrangères, Rangin Dadfar Spanta (mai 2006).
Bien que le directeur national du renseignement, John Negroponte, ait déclaré qu'il serait «souhaitable que Ben Laden soit capturé ou tué à la première occasion», les Américains ont laissé échappé une telle occasion chaque fois qu'elle s'est présentée depuis le 11-Septembre.
L'ancien commandant des Forces spéciales de la CIA sur le terrain, Gary Bernsten, affirme que, lors de la bataille de Tora Bora en décembre 2001, son équipe l'avait localisé et aurait pu le neutraliser. Mais l'administration Bush a refusé de leur fournir les moyens nécessaires (Gary Berntsen et Ralph Pezzullo, Jawbreaker : the Attack on Bin Laden and Al Qaeda : A personal Account by the CIA's Key Field Commander, New York, Random House, 2005).
Trois ans plus tard, les propos d'Éric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, corroborent largement ceux de Bernsten : «Oussama Ben Laden est parfaitement localisé... que ce soit par le biais des Forces spéciales, par le biais des agents du renseignement, par le biais des satellites, des drones. On sait qu'il est au Waziristan sud. Pour l'instant, les Américains [...] ne font rien» (Jean-Michel Aphatie, 1er novembre 2004, «Entretien avec Éric Denécé». rtl.fr).
Il semble qu'ils aient conservé la même politique depuis lors...
Charles-Philippe David
_ Titulaire, Chaire Raoul-Dandurand, Université du Québec à Montréal
_ Pierre-Louis Malfatto
_ Chercheur, Chaire Raoul-Dandurand, Université du Québec à Montréal
_ Éric Marclay
_ Chercheur, Chaire Raoul-Dandurand, Université du Québec à Montréal
_ Benoît Gagnon
_ Chercheur, Chaire Raoul-Dandurand, Université du Québec à Montréal


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